Mathématiques : pourquoi certains problèmes résistent-ils encore ?

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Mathématiques : pourquoi certains problèmes résistent-ils encore ?
Mathématiques : pourquoi certains problèmes résistent-ils encore ?

Africa-Press – CentrAfricaine. La résolution de problèmes constitue, à bien des égards, l’essence des mathématiques. “Il y a des problèmes élégants, des sommets majestueux qui nous défient depuis longtemps. Pour celui-ci en particulier, le chemin à gravir a longtemps semblé sans issue, mais les petits cailloux semés par plusieurs générations de mathématiciens nous ont permis d’émerger du brouillard”, confie avec poésie Pierre Charollois, maître de conférences à Sorbonne Université.

Certains problèmes jouent ainsi avec la patience et le sens logique des experts en la matière. C’est notamment le cas de ceux exposés par l’Allemand David Hilbert lors du deuxième congrès international des mathématiciens organisé à Paris en 1900. Cet érudit, contemporain de Henri Poincaré, avait alors présenté la liste de 23 problèmes encore irrésolus qui méritaient l’attention de ses pairs.

Lire aussiIl a fallu près de 100 ans pour résoudre ce problème mathématique

Cent vingt-quatre ans plus tard, 12 ont été entièrement résolus. Les autres constituent, pour nombre de mathématiciens, des rêves de jeunesse. Le 12e notamment. Il peut être ainsi posé: étant donné un polynôme à coefficients entiers (x5 + x + 1 par exemple), comment énumérer les solutions de l’équation x5 + x + 1 = 0 de façon élégante ? Autrement dit: trouver la ou les formules qui permettront de donner toutes les solutions d’une famille de polynômes à coefficients entiers.

Pour comprendre cet énoncé et les difficultés qui se sont posées et se posent aux mathématiciens, il est nécessaire de faire un peu de pédagogie sur un des champs des mathématiques: la théorie des nombres. Ses praticiens parlent de corps de nombres ou de polynômes. Ce sont des ensembles de nombres positifs ou négatifs (1, 2, 3 ou 5, par exemple) et de variables (y, x, z… ) au sein desquels z on peut additionner, soustraire, multiplier ou diviser. Et ces corps peuvent être simples ou très compliqués.

Une formule pour la liste complète des solutions

“Le premier corps de nombres, qui constitue la base de tous les autres, c’est le corps des nombres rationnels. Il est constitué par les fractions p/q, où p et q sont des nombres entiers positifs ou négatifs. Ensuite, cela se généralise. Par exemple, si on considère l’ensemble des nombres de la forme a + b 2, avec a et b nombres rationnels, on obtient alors le corps de nombres engendré par la racine carrée de 2. J’aurais pu prendre un exemple analogue avec la racine cubique de 3 ou bien d’autres variantes. On construit ainsi une infinité de corps de nombres “, explique Loïc Merel, professeur à l’université Paris Cité.

Autre point important à connaître, précise Pierre Charollois, “on distingue les polynômes en fonction de leur degré. Prenons par exemple x2 – 100 ou x3 – 2, le degré d’un polynôme c’est la puissance de x. Le premier polynôme est donc de degré 2, le deuxième de degré 3. Les polynômes ont toujours autant de valeurs pour lesquelles ils s’annulent les mathématiciens parlent de racines que leur degré “.

L’équation x2 – 100 = 0 possède deux racines, 10 et – 10. En effet, ces deux nombres mis au carré donneront chacun 100 et le polynôme s’annule. En choisissant cet exemple simple, il est possible d’écrire les solutions facilement. En revanche, pour d’autres polynômes plus compliqués, il devient très difficile d’écrire la liste complète des solutions, sauf à les calculer avec plein de décimales, à l’aide d’une calculette ou d’un ordinateur par exemple. “Trouver la formule qui permette d’établir chaque liste de racines est une question générale dans notre domaine et c’est celle que posait David Hilbert il y a plus d’un siècle, explique Pierre Charollois. Certaines formules permettant d’énumérer les racines de polynômes à coefficients entiers ont d’ailleurs été trouvées avant lui. ”

Il y a deux cents ans, le mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss a démontré que la fonction exp (2iπt) permettait d’énumérer de façon élégante toutes les racines de la famille des polynômes rationnels xq – 1 en posant les valeurs de t en t = p / q. Par exemple, t = 1/5, 2/5, 3/5, 4/5 et 5/5 pour q = 5.

Peu après, son compatriote Leopold Kronecker, qui voulait obtenir d’autres fonctions pour énumérer les racines d’autres familles de polynômes, a mis en évidence le rôle des fonctions thêta elliptiques pour les corps dits quadratiques imaginaires, comme racine carrée de 3, de -5, ou de -d , en prenant n’importe quelle valeur entière de d.

Le degré d’un polynôme est la puissance de x. Les valeurs pour lesquelles le polynôme s’annule s’appellent les racines. Ce sont elles que l’on cherche.

“Au temps de David Hilbert, il existe donc déjà deux exemples pour énumérer les racines de familles de polynômes (ou corps de nombres), indique Pierre Charollois. Plus précisément, son problème est: par exemple, si je pars d’un corps de nombres dit quadratique réel (engendré par 2) ou d’un corps cubique engendré par la racine cubique de 2, existe-t-il des fonctions qui, à l’instar de celles utilisées par Gauss et Kronecker, sont adaptées ? Pendant plus de cent ans, on n’a pas eu de fonction candidate. ”

L’ordinateur pour vérifier le potentiel de la fonction

Jusqu’en 2023. À cette époque, Pierre Charollois est attiré par une fonction issue de la physique, mise en évidence dans les années 2000 par Giovanni Felder et Alexander Varchenko: la fonction gamma elliptique. Elle semble permettre de prendre en compte plus de variables. Rappelons en effet que la fonction exponentielle permet la prise en compte d’une seule variable, t. La fonction thêta elliptique a deux variables, t et ω. Et la troisième fonction issue de la physique en a trois: t, τ et σ. Ces familles de fonctions possèdent de nombreuses symétries. Par exemple, exp (2i π (t +1)) = exp (2i π t), et des phénomènes plus riches encore sont à l’œuvre pour les fonctions thêta ou la fonction gamma.

“Quand j’ai perçu le potentiel de cette fonction, j’ai appelé deux confrères, Nicolas Bergeron [décédé en 2024] et Luis García, pour tenter de spécialiser la fonction de t et τ, σ des physiciens en des valeurs t, τ et σ complexes cubiques. Et pour la vérifier, nous avons demandé à un ordinateur d’évaluer les solutions avec énormément de décimales pour savoir s’il s’agissait bien des racines de notre polynôme. Ce que David Hilbert ou Leopold Kronecker avant lui n’auraient pas pu faire. Et la réponse a été positive “, raconte Pierre Charollois.

Néanmoins, cette avancée considérée comme majeure ne permet pas de résoudre le 12e problème de Hilbert. Les mathématiciens ont certes pu expliciter des racines dans le cas d’une extension du corps de nombres engendré par la racine cubique de 7. Mais même si la précision de décimales donnée par l’ordinateur les convainc que c’est la bonne fonction, ils n’ont pu, pour l’heure, le démontrer. Cela reste une conjecture, mais pas encore un théorème.

“De plus, le polynôme sur lequel nous avons testé la fonction était de degré 12 et nous n’avons pu attraper que huit racines. Je dirai que nous avons précisé la question de David Hilbert: avec la fonction gamma qui est candidate, nous arrivons à énumérer deux tiers des racines du polynôme, alors que dans les cas de la fonction exponentielle et de la fonction thêta de Leopold Kronecker, on parvient à énumérer toutes les racines. Aujourd’hui, on se demande donc si une autre fonction permettrait d’attraper le tiers restant. La réponse partielle trouvée au 12e problème de Hilbert conduit ainsi à de nouvelles questions, et c’est souvent le cas en mathématiques. ”

De cette recherche émanent des solutions à certains problèmes plus concrets. Les fonctions développées en théorie des nombres ont un grand intérêt en cryptographie, pour encoder des informations de manière hautement sécurisée.

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