Africa-Press – CentrAfricaine. Les 110 kilomètres qui séparent Obo de Bambouti, dans la préfecture du Haut-Mbomou, transforment un simple trajet en véritable expédition. Situées respectivement à 1320 et 1429 kilomètres de Bangui, ces deux localités vivent dans un isolement géographique qui s’aggrave chaque année. Sur ce parcours difficile, deux villages servent de repères aux voyageurs téméraires: Ngoumé, à 7 kilomètres d’Obo, et Ligwa, à 25 kilomètres plus loin.
En saison sèche, le voyage reste pénible. Les véhicules progressent lentement sur une piste défoncée, parsemée de nids-de-poule et de ravines. Mais quand les pluies s’abattent sur cette partie reculée du territoire centrafricain, la route devient un piège mortel. La terre rouge se transforme en bourbier visqueux, avalant roues et essieux. Les voyageurs peuvent mettre trois semaines à un mois pour boucler un trajet qui devrait normalement se faire en quelques heures. Le rythme de progression tombe parfois à deux ou trois kilomètres par jour, transformant chaque kilomètre en conquête douloureuse.
Cette situation d’enclavement extrême pousse les populations du Haut-Mbomou vers une dépendance totale au Soudan du Sud voisin. Sucre, carburant, sel, savon, ciment, médicaments: tous les produits de première nécessité franchissent la frontière depuis le pays voisin. L’État centrafricain brille par son absence dans cette zone stratégique, laissant ses citoyens se tourner vers l’étranger pour leurs besoins les plus élémentaires.
Les préparatifs d’un voyage sur cet axe ressemblent à ceux d’une expédition en terre inconnue. Vivres pour plusieurs semaines, bidons d’eau potable, ustensiles de cuisine, matériel de couchage: tout doit être soigneusement calculé et emporté. Vélos renforcés, motos tout-terrain ou robustes camions allemands MAN chargés de marchandises s’engagent sur cette piste incertaine, où les embouteillages naturels, la boue collante et les coupures multiples transforment chaque déplacement en loterie dangereuse.
“S’il n’y avait pas le Soudan du Sud, on vivrait ici comme à l’époque des premières civilisations”, confie amèrement un habitant d’Obo interrogé par l’équipe de reportage du CNC. Cette phrase résume parfaitement l’ampleur de la dépendance. Le carburant atteint des prix prohibitifs qui étranglent l’économie locale: 2000 francs CFA le litre d’essence, jusqu’à 3500 francs pour le gasoil. Ces tarifs explosent littéralement les budgets familiaux et paralysent toute activité économique. La MINUSCA et les organisations humanitaires elles-mêmes s’approvisionnent depuis le Soudan du Sud, reconnaissant implicitement l’incapacité de l’État centrafricain à desservir cette partie de son territoire.
Cette situation génère une inflation galopante qui frappe de plein fouet les populations les plus vulnérables. Un sac de ciment, vendu entre 11000 et 12000 francs à Bangui, grimpe à 40000 francs en saison sèche et peut atteindre 50000 francs quand les pluies rendent la route totalement impraticable. Les tôles ondulées de 3 mètres passent de 7500 francs dans la capitale à 30000, voire 40000 francs à Obo. Ces prix astronomiques rendent la construction d’un logement décent pratiquement impossible pour la majorité des habitants. Construire devient un privilège réservé aux plus fortunés, condamnant les autres à vivre dans des habitations précaires.
Le prix des denrées alimentaires suit la même courbe ascendante vertigineuse. Un sac de riz qui coûte 25000 francs à Bangui peut atteindre 45000 francs à Obo. L’huile de cuisine, le sucre, la farine voient leurs prix doubler ou tripler selon les saisons et l’état de la route. Cette hausse constante du coût de la vie pousse de nombreuses familles vers la malnutrition et la pauvreté extrême.
Aux difficultés logistiques majeures s’ajoutent les pratiques douteuses et systématiques de certains agents de l’État. À l’entrée d’Obo, policiers, gendarmes et soldats des Forces Armées Centrafricaines organisent des fouilles minutieuses et imposent leurs propres “taxes douanières” informelles. Ces prélèvements frappent tous les moyens de transport: 7500 francs CFA pour un simple vélo, davantage pour une moto, et des sommes considérables pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers de francs pour les camions de marchandises.
Cette économie parallèle florissante enrichit quelques individus au détriment de l’intérêt général, au lieu d’alimenter les caisses de l’État. Dans une ville frontalière au potentiel économique important, l’absence criante de la douane officielle laisse le champ libre à tous les abus imaginables. Ceux qui devraient faire respecter la loi et protéger les citoyens se transforment en collecteurs privés sans scrupules, vidant de son sens la notion même de service public et d’équité fiscale.
Les commerçants qui tentent de faire des affaires entre ces deux localités subissent un véritable racket organisé. Ils doivent négocier à chaque contrôle, payer des “facilitations” multiples, et supporter des délais imprévisibles qui peuvent anéantir leurs bénéfices. Beaucoup préfèrent abandonner cette activité ou se tourner vers les circuits informels, privant l’État de recettes fiscales légitimes.
Cette situation d’abandon territorial a des conséquences dramatiques sur l’accès aux services sociaux de base. L’éducation souffre énormément: les enseignants refusent souvent d’être affectés dans ces zones reculées, et quand ils acceptent, ils peinent à recevoir leurs salaires. Les fournitures scolaires, quand elles arrivent, coûtent une fortune. De nombreux enfants abandonnent l’école, perpétuant le cycle de la pauvreté et de l’ignorance.
Le système de santé n’est pas en reste. Les médicaments essentiels manquent cruellement, et leur acheminement depuis Bangui coûte si cher que les prix deviennent inabordables pour la population. Les évacuations sanitaires vers la capitale relèvent de l’exploit, condamnant de nombreux malades à mourir faute de soins appropriés. Les femmes enceintes accouchent dans des conditions précaires, sans assistance médicale qualifiée.
L’agriculture, pourtant prometteuse dans cette zone fertile, pâtit également de cet enclavement. Les paysans ne peuvent écouler leurs productions vers les marchés urbains à cause des coûts de transport prohibitifs. Ils se contentent de l’autoconsommation ou de la vente locale à des prix dérisoires, décourageant toute ambition de développement agricole à grande échelle.
Le Haut-Mbomou est un exemple parfait de l’abandon de pans entiers du territoire centrafricain par un État défaillant. Entre Obo et Bambouti, ces 110 kilomètres d’enfer racontent l’histoire douloureuse d’un gouvernement qui a renoncé à désenclaver ses propres citoyens, les condamnant à vivre aux marges géographiques et économiques de leur propre pays. Cette négligence administrative et politique transforme des Centrafricains en étrangers sur leur propre terre, obligés de se tourner vers un pays voisin pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.
Source: Corbeau News Centrafrique
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