Africa-Press – CentrAfricaine. Quelque part au milieu des falaises escarpées du Liban, se cachent des trésors emprisonnés dans de l’ambre qui nous aideront à comprendre le passé de la vie sur Terre. En ce matin ensoleillé, les micropaléontologues Dany Azar et Sibelle Maksoud partent à leur recherche. Sur les hauteurs de Hammana, à l’est de Beyrouth, la route dévoile peu à peu une immense falaise, le Jezzinien. Elle est ainsi nommée car elle atteint son épaisseur maximale géologique à Jezzine, ville libanaise où a été définie une unité géologique du même nom. À côté, une autre formation géologique appelée grès du Liban. Cette région est un important site d’étude pour la compréhension de la stratigraphie et de la paléontologie du crétacé inférieur, soit il y a environ 130 millions d’années. Ici, plus de 3000 inclusions ont été prélevées dans l’ambre.
La mer apparaît au loin. Au-dessus, la pollution a formé un épais nuage qui voile le ciel bleu. Près d’un large pont où passe la route qui relie la capitale libanaise à la vallée de la Bekaa et qui coupe la falaise en deux, Sibelle Maksoud repère un possible gisement d’ambre. « Le grès du Liban date du barrémien inférieur [environ 125 millions d’années, le quatrième étage stratigraphique du crétacé inférieur]. Dans celui-ci, il y a un bloc marin dans lequel on trouve beaucoup de fossiles: des oursins, des huîtres… Il y a aussi les charophytes, qui sont les premières plantes apparues sur Terre « , explique la paléontologue, à l’approche du site au bord de cette route fréquentée.
Le mur qui prévient les éboulements rend plus difficile l’accès au terrain. Elle l’escalade et s’accroche à des racines pour grimper, puis sort de son pantalon de randonnée un petit marteau. « Honnêtement, pour rechercher l’ambre, nous n’avons pas besoin de grand-chose « , lance-t-elle en souriant. Là, elle se met à creuser les différentes couches de terre. Sibelle Maksoud lève la tête vers le haut de la falaise: seuls quelques arbres sont plantés: « Ici, il faut imaginer qu’il y avait une belle forêt tropicale ! Un joli environnement avec les charophytes et de la résine qui se dépose petit à petit pour protéger l’arbre et le tronc. Et puis, autour, il y a les insectes et les dinosaures… » Elle essuie quelques gouttes de sueur qui perlent sur son front. La recherche de l’ambre demande patience, observation et minutie. Et de savoir casser sans détruire, prélever sans arracher. « Il faut vraiment creuser la terre ; mais tout ceci, c’est du lignite, du bois, des dépôts végétaux « , montre-t-elle en ressortant un petit morceau.
Après avoir fait virevolter un peu de poussière et dégagé plusieurs couches, de petites touches rouges apparaissent, très peu visibles à l’œil nu. « Voilà ! Ce qui est rouge, là… On peut trouver l’ambre de plusieurs couleurs: rouge, jaune, orangé… Là, ce sont des gouttelettes rouges. Des pierres qui peuvent contenir de tout petits insectes. »
Une période charnière où sont apparues les plantes à fleurs
L’ambre est une résine fossile qui a été sécrétée il y a des millions d’années par des arbres, principalement des conifères. En s’écoulant, elle a piégé des insectes, des morceaux de plantes, des spores et même de l’air ou de l’eau, qui ont formé ce qui est appelé aujourd’hui des inclusions. Une fois tombée, la résine a été recouverte par des couches de sédiments. Elle a ensuite subi une transformation chimique à la faveur d’une conjugaison de facteurs comme le temps, la chaleur, la pression et l’absence d’oxygène. La résine s’est alors durcie et est devenue ambre.
Sa taille est variable: d’une goutte d’eau à l’équivalent d’une pièce de monnaie. Peu importe sa grosseur: Sibelle Maksoud l’extrait avec précaution et le range dans un mouchoir blanc. Les morceaux d’ambre seront analysés par Dany Azar. Ce spécialiste de l’ambre libanais depuis plus de trente ans, professeur à l’université libanaise et à l’institut Nanjing, en Chine, retourne dès qu’il est au Liban dans son laboratoire personnel.
Travailler après l’explosion du port de Beyrouth
Soufflé. Le laboratoire de l’université libanaise dans lequel Dany Azar poursuivait ses recherches a disparu lors de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020. Ce jour-là, aux alentours de 18 heures, des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium explosent dans le port. L’accident cause la mort de 235 personnes et en blesse plus de 6500. L’université libanaise, où exerce Dany Azar, se situe à une vingtaine de kilomètres de là. « Les collections n’ont pas été touchées. J’ai réparé ce que j’ai pu réparer », relate Dany Azar.
Cinq ans plus tard, le laboratoire n’a toujours pas été reconstruit. « Nous n’avons pas les fonds nécessaires pour renouveler le matériel », poursuit-il. Parti travailler en Chine pour des raisons économiques, il a reconstitué un laboratoire pour ses recherches sur l’ambre dans l’appartement familial, où il rapporte les objets de ses explorations et où il travaille avec l’assistance de son épouse, Sibelle Maksoud.
Les premières recherches scientifiques sur l’ambre du Liban remontent au début des années 1960. En 1962, le professeur Aftim Acra, de l’université américaine de Beyrouth, découvre à Jezzine l’un des plus anciens spécimens d’ambre contenant des inclusions biologiques. Cette découverte marque le début de l’étude paléontologique de l’ambre libanais. À la faveur de scientifiques passionnés, les découvertes se poursuivent, en dépit des crises économiques, sociales et politiques et des guerres. « L’ambre libanais est important car c’est une fenêtre sur 130 millions d’années [voire plus lorsqu’il y a des gisements qui datent du jurassique], explique Dany Azar. C’est à ce moment-là qu’il y a eu un changement drastique dans l’écosystème mondial et que sont apparues les plantes à fleurs. »
À cette époque, l’actuel Liban occupe une position équatoriale et fait partie du Gondwana, supercontinent ancien qui a existé entre le néoprotérozoïque (environ 600 millions d’années) et le jurassique (environ 150 millions d’années). Cette région bénéficie alors d’une biodiversité très épanouie. « Il y a très peu de gisements à insectes fossiles connus de cette époque-là, explique Vincent Perrichot, paléontologue, spécialiste des insectes fossiles à l’université de Rennes. Le Liban offre l’essentiel des gisements d’ambre que nous connaissons autour de la transition jurassique-crétacé. » Dans le Liban d’aujourd’hui, les chercheurs en ont répertorié plus de 500 du crétacé inférieur, dont 32 contenant des fossiles, et 19 gisements d’ambre du jurassique terminal.
Une espèce identifiée pour la première fois au Liban
Outre le Liban, l’ambre est présent dans plusieurs régions du monde. « Il y a un ambre plus ancien dans les Dolomites [Italie], mais il n’est pas très bien préservé « , précise Dany Azar. Le plus célèbre se trouve en Birmanie: un ambre du crétacé supérieur (environ 99 millions d’années) réputé pour la richesse de ses inclusions – insectes, plumes de dinosaures et restes de vertébrés. Le plus abondant est l’ambre balte, daté de 30 à 35 millions d’années. Plus jeune (20 millions d’années), celui de République dominicaine est célèbre pour ses insectes parfaitement conservés. Mais l’ambre du Liban reste pour l’heure unique. « C’est un des plus anciens ambres fossilifères, qui a livré des fossiles en inclusions d’arthropodes terrestres, de petits vertébrés ou de plantes « , poursuit Vincent Perrichot.
Sur le site de Hammana, Sibelle Maksoud assène de petits coups de marteau dans la terre grise et ocre de la montagne: « La terre est passée par plusieurs crises. Nous pouvons les lire dans les couches géologiques et les insectes. Cela permet une comparaison entre biodiversité ancienne et actuelle, en rapport avec les changements climatiques. » Les recherches menées par Dany Azar, Sibelle Maksoud et leurs collègues ont mené à d’importantes découvertes.
L’ambre emprisonné dans le grès du Liban à Hammana a permis de prélever le « moustique le plus ancien « , jubile Dany Azar, qui a publié les résultats à la fin de l’année 2023. Le spécialiste a découvert une espèce identifiée pour la première fois au Liban et seulement dans ce pays, nommée Libanoculex. « Actuellement, chez les moustiques, ce n’est que la femelle qui pique. Sur ce site, nous avons trouvé un mâle avec un appareil buccal hématophage – qui est en mesure de sucer le sang. Nous avions là des représentants d’une espèce qui peuvent raconter une certaine histoire d’un groupe actuel « , ajoute Sibelle Maksoud.
Une découverte à l’origine de « Jurassic Park »
Autre découverte majeure, cette fois au nord du Liban, près d’Ehden. En mars, Dany Azar et ses collègues ont publié les résultats de leurs recherches au cours desquelles ils ont découvert un insecte, une cochenille, datant de la période du jurassique. « Il y a tout pour faire une belle histoire et rappeler le film Jurassic Park », explique-t-il avant de tempérer: « Actuellement, l’ADN n’est pas préservé dans l’ambre. » Une précision d’importance sachant que l’histoire de la saga cinématographique est née d’une découverte dans cette région.
C’est en effet près de Jezzine qu’Aftim Acra a découvert en 1962 l’une des plus anciennes pierres d’ambre au monde contenant des inclusions biologiques. Une conversation avec son ami et collègue Paul Whalley du muséum d’Histoire naturelle de Londres (Royaume-Uni) à propos de la possible extraction d’ADN d’un insecte fossilisé dans l’ambre, serait parvenue jusqu’à l’écrivain américain Michael Crichton, l’auteur de Jurassic Park, adapté ensuite au cinéma par Steven Spielberg.
Sous la falaise de Mreijet, Sibelle Maksoud prend un petit morceau noir entre ses doigts: « Vous voyez, là, c’est du lignite, des bois fossilisés. Dans les inclusions biologiques que l’on trouve à différents niveaux, les insectes restent les mêmes. L’idée est de les utiliser comme outil biostratigraphique pour dater les différents niveaux géologiques. »
À quelques kilomètres du site de Hammana se trouve celui de Ain Dara, lui aussi au bord d’une route. Ici, tout est érodé. Pour ramasser de l’ambre, il suffit de se pencher. Sibelle Maksoud continue son exploration près d’une tortue venue se reposer à l’ombre d’arbustes feuillus. Une première petite pierre orange foncé l’attire. Elle la récupère sur le terrain escarpé et, après l’avoir un peu nettoyée, l’observe à la loupe. « Je vois quelque chose de très joli… Mais ce n’est pas un insecte: ce sont des perforations dans l’ambre. Il s’agit d’un bivalve marin qui a mangé l’ambre et a laissé des trous dedans. C’est à partir de cette observation que l’on peut dire qu’il s’agit d’un niveau redéposé de l’ambre, pas d’un niveau originel « , décrit-elle.
Sibelle Maksoud continue sa collection. Sur le terrain depuis plus de dix ans, la paléontologue a gardé la même fascination. Elle lance dans un rire: « C’est incroyable le fait de sentir que nous sommes les premiers à toucher ces pièces… depuis plus de 100 millions d’années ! »
Un trésor national à valoriser
Précieux et important pour la recherche, l’ambre libanais est aussi en danger. Au-delà de la recherche, le micropaléontologue Dany Azar mène un combat pour sa préservation depuis plus de vingt ans. De nombreux sites au Liban sur lesquels il est possible d’en trouver ont disparu. D’autres sont aujourd’hui menacés en raison d’un manque d’information et de sensibilisation de la population, mais aussi par des constructions. Dany Azar tente de convaincre les autorités libanaises de l’importance de protéger ces sites et de créer un muséum d’histoire naturelle. Un lieu où pourrait être conservé l’ambre déjà récolté par les chercheurs. « C’est un matériel qui doit être valorisé « , insiste le chercheur.
Ce dernier s’attelle aussi à sensibiliser le plus grand nombre à son intérêt. D’abord autour de lui: à l’université, dans sa famille ou lors des fouilles. Plusieurs personnes qui avaient trouvé de l’ambre sur le terrain savent désormais qu’il faut le conserver et le donner aux chercheurs lorsqu’ils en trouvent. « Nous avons rencontré un homme un jour dans le Akkar [région au nord du Liban] qui connaissait l’ambre, qui en avait sur le terrain, mais qui le ramassait et le brûlait car il voyait des choses à l’intérieur et il pensait que c’étaient des mauvais esprits « , souligne Dany Azar. Le chercheur espère voir l’ambre devenir un trésor national.
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