Décret sur les prérogatives de SGG: « C’est une violation de la Constitution »

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Décret sur les prérogatives de SGG: « C’est une violation de la Constitution »
Décret sur les prérogatives de SGG: « C’est une violation de la Constitution »

Andjouza Abouheir

Africa-Press – Comores. Tombé en début de soirée de ce mardi 06 août, le décret concernant les prérogatives du Secrétaire général du gouvernement suscite de nombreux débats parmi les juristes. Pour mieux comprendre les implications de ce texte, nous avons interrogé Yhoulam Athoumani, juriste et membre du mouvement Les Nouveaux Démocrates des Comores, ainsi que Dr Rafsadjani Mohamed, juriste et docteur en droit public à l’université de Toulon. Leurs perspectives distinctes offrent un éclairage précieux sur les points forts et les éventuelles lacunes de cette nouvelle législation.
Question: Le chef de l’État vient de signer un décret dans lequel les prérogatives du Secrétaire général du gouvernement semblent être renforcées. Votre réaction ?
Dr M. Rafsandjani: Intrinsèquement, le secrétariat général du gouvernement est un poste à forte consonance technique. Cependant, il se trouve que son titulaire semble lui accorder une aura politique importante, fait de hiérarchie, d’autorité voire à certains égards d’initiative politique. Ce décret, semble-t-il, avait pour objectif d’accorder le fait au droit. Mais c’est au prix d’une modification du paradigme de base de nos institutions. Il entérine dans les textes des prérogatives qui sont en inadéquation avec le régime présidentiel posé par notre constitution rapprochant le SGG des prérogatives d’un chef de gouvernement et même à certains égards d’un chef des gouverneurs. C’est inquiétant pour l’équilibre des institutions surtout qu’une refonte d’une telle ampleur contribue à modifier le régime de la Constitution. Quitte à le transformer en Premier ministre, il eût fallu réviser la constitution avec l’intervention du pouvoir constituant souverain à savoir le peuple et assumer la migration vers un régime parlementaire.

Yhoulam. A: Ce décret est illégal et viole manifestement notre Constitution. Pour donner un exemple, ce décret viole le principe de l’autonomie des îles et porte atteinte à la légitimité et à l’indépendance des gouverneurs. Je rappelle que ces derniers sont élus au suffrage universel direct et qu’ils jouissent, selon la Constitution, de la libre administration et de l’autonomie de gestion. Or, le décret que je conteste précise, à son article 36, que tous les arrêtés des gouverneurs sont visés d’abord par le SGG sous peine de nullité avant leur publication au journal officiel. Comment peut-on permettre à un SGG, puissant qu’il soit, de remettre en cause la libre administration des îles autonomes ? C’est du jamais vu dans un État de droit.

Question: Un point central des débats concerne le pouvoir du Secrétaire Général du Gouvernement d’évaluer et de contrôler les ministres. Pensez-vous qu’il s’agit d’un abus de pouvoir ou est-ce une mesure parfaitement légitime ?
Dr M. Rafsandjani: Un abus, c’est peu dire. En réalité, tout dépend de ce qu’on entend par contrôler et évaluer. Si cela suppose que les ministres sont responsables devant le SGG, qu’ils doivent obtenir sa confiance et rendre des comptes sur la politique menée, c’est plus un abus, c’est une violation de la Constitution. La Loi fondamentale est assez claire sur la question. Aux termes de son article 72, contrôler l’action du gouvernement est une prérogative de l’Assemblée de l’Union. Et l’autre autorité devant laquelle l’action du gouvernement pourrait être évaluée, c’est le Président de la République directement dans la mesure où c’est lui qui nomme et donc lui qui révoque les ministres. Le pouvoir de révocation, que ne dispose pas le SGG, suppose en effet un pouvoir d’évaluation et de contrôle. On imagine mal qu’un tel privilège puisse échapper au chef de l’État ou au Parlement même par une délégation volontaire de son titulaire.

Yhoulam. A: le fait que le SGG puisse évaluer les membres du Gouvernement constitue une humiliation à l’endroit de ces ministres. Et là encore une fois, ce décret a violé notre Constitution, en ce sens qu’il fait du secrétariat général du gouvernement, une entité supra- gouvernementale. Or, cette entité n’a même pas été prévue par la Constitution ni même par aucune loi. Le fait de permettre au SGG d’évaluer les ministres suppose qu’il devient leur supérieur hiérarchique. Ce qui est contraire à la Constitution. Je rappelle que ces ministres sont nommés par le président. Celui-ci est aussi chef du gouvernement. Il est le seul donc à pouvoir coordonner l’action gouvernementale. Déléguer ce pouvoir à un SGG relève d’une absurdité totale.

Question: Est-ce que c’est un décret ou une loi qui doit modifier lesdites prérogatives ?
Dr M. Rafsandjani: L’institution elle-même de SGG n’est prévue ni par la constitution ni par la loi. Les seuls textes qui régissaient cette dernière étaient jusqu’à présent des actes réglementaires, il n’y a donc pas de contre-indication particulière que ces prérogatives soient amendées par décret. Ce n’est pas la première fois, le décret du 17 décembre 2014 a aussi été modifié par décret en 2016. Cependant, la hiérarchie des normes fait du décret l’acte normatif le plus bas de la pyramide et son contenu se doit donc de respecter les lois et surtout la Constitution. Or, comme évoquées plus haut, certaines prérogatives sont potentiellement en contradiction avec les exigences de la Constitution.

Yhoulam. A: il y a trois possibilités: soit de saisir la Cour suprême (section administrative) en vue d’obtenir son annulation pour illégalité. Soit le président retire son décret et édicte un nouveau décret confirmé à la Constitution. Soit d’attendre que l’Assemblée nationale adopte un texte d’organisation du secrétariat général du gouvernement et qui préciserait les missions du SGG. Pour ma part, Azali doit revoir son décret le plus rapidement possible.

Source: lagazettedescomores

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