Par JAMES RAMAROSAONA
Africa-Press – Comores. 1.800 éléments des forces françaises, de la gendarmerie et des CRS se trouvent depuis le week-end dernier à Mayotte, décidés à lutter contre l’immigration dans ce département français dans le cadre de « Wuambushu ». Cette opération visant à la destruction d’un millier de bidonvilles abritant 5.000 personnes à Mayotte et d’expulser environ 10.000 sans-papiers, à majorité des Comoriens, vers l’île comorienne d’Anjouan crée des vagues. Tenue dans la discrétion totale en février, « Wuambushu » fut finalement reconnue par le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin, en précisant qu’elle ne se concrétise qu’après la fin du Ramadan : « L’action menée à Mayotte est une restauration de la paix républicaine. C’est une action difficile mais extrêmement résolue. »
Se trouvant dans l’Océan Indien, Mayotte, 4ème île des Comores accepta de rester avec la France lors du référendum de 1974 pour devenir le 101ème département français en 2011. Sa population est estimée à 300.000 habitants dont la moitié est française, les autres sont des immigrés, dont la majorité des Comoriens et une frange partie des Malgaches.
Mayotte vit dans une situation économique précaire : 80 % des Mahorais vivent sous le seuil de la pauvreté et le taux du chômage atteint 34 %. Dans un tel environnement des irrégularités s’y installent dans divers aspects de la vie quotidienne. D’autant plus que les services publics français ne réussissent pas à couvrir les besoins de la population mahoraise. Ce qui explique en partie la délinquance, l’insécurité et l’immigration irrégulière dans cette île. Trois volets fondamentaux visés par l’opération « Wuambushu ». Le programme est bien défendu par des élus de Mayotte. « Wuambushu permettra de résoudre les problèmes d’insécurité locaux » s’exclame Masour Kamardine, député de Mayotte. Sa collègue, Estelle Youssouffa brandit que « l’opération est dans le cadre de la loi, donc légale. En moyenne, il y a 20.000 reconduits de Mayotte par an. Il faut agir pour stopper une telle immigration. »
Situation intenable
Des Mahorais dont les jeunes contestent cette opération. Il en est de même pour des membres de la diaspora comorienne en France, qui ont tenu des meetings à Marseille et à Paris ces derniers temps. Avec comme cible le régime français dont le président Emmanuel Macron et le ministre Gérald Darmanin, « qui continuent de garder main mise sur Mayotte, une île comorienne. »
Ils ajoutent : « Le gouvernement français nous traite (ndlr : les Comoriens) comme de rien. La France à travers leurs présidents successifs veut toujours garder Mayotte pour des raisons militaires. C’est encore une forme de colonisation flagrante en ce troisième millénaire. Parce que la France ne suit pas une résolution des Nations Unies acceptant Mayotte comme comorienne. »
La première destruction des bidonvilles devait démarrer dans la matinée du 25 avril, mais n’a pas eu lieu. Saisi par une dizaine d’avocats représentant une vingtaine des Mahorais, le président du tribunal de Mamoudzou (principale ville de Mayotte) a suspendu l’expulsion constatant des irrégularités. La justice demande une garantie de relogement. Bref, le premier acte proprement dit de l’opération « Wuambushu » échoue.
« En ordonnant l’évacuation et la démolition d’habitations sans prévoir la moindre modalité de stockage des affaires d’une vie entière, la juge retient que le préfet de Mayotte a commis une voie de fait » analyse Marjane Ghaem, l’un des avocats des habitants. Sur la télévision locale Kwezi Tv, le préfet de Mayotte Thierry Suquet, a pris acte de cette décision et a tout de suite fait appel.
Ce n’est pas le premier revers du ministre Gérald Darmanin dans cette affaire. A noter que dans la matinée du 25 avril le gouvernement comorien, à travers son ministre des Affaires étrangères Fakridine Mahamoud, a refusé l’accostage d’un bateau transportant des migrants de Mayotte : « Le port de Mutsamudu sur l’île d’Anjouan n’est pas en mesure d’opérer sur l’embarquement et le débarquement de passagers de ce jour jusqu’au 26/04/2023, date à laquelle nous vous informerons de l’éventuelle reprise des opérations. » A Paris, l’ambassadeur des Comores, Mada Ahmadi poursuit : « cette opération ne va pas apporter le vivre-ensemble à Mayotte. (…) Il y a de la violence, parce que les gens ne sont pas contents. (…) C’est normal que le gouvernement comorien n’aille pas recevoir des expulsés de Mayotte, parce que ce sont des Comoriens qui sont chez eux à Mayotte . »
Cette interruption ne déstabilise pas le représentant de la République à Mayotte. Visitant un quartier de la ville, le 26 avril, Thierry Suquet rassure que la destruction des bidonvilles aurait lieu dans les prochains jours : « On respecte la justice. Quand on aura réglé les malentendus, on démolira ces habitations indignes dans lequel il n’est pas possible de laisser vivre des gens.»
Il importe de signaler des affrontements sporadiques entre les jeunes délinquants mécontents et les forces de l’ordre le week-end dernier. La situation est très tendue, et les propos de Salime Mdéré, un élu du département sur Mayotte la 1ère le 24 avril concernant les jeunes ne fait qu’attiser le climat de haine. « Au lieu de gamins, je les qualifie de délinquants, de voyous et de terroristes. Je pèse bien mes mots. S’il n’y en a pas un qui est tué, il y en aura toujours d’autres qui osent attaquer les policiers » balance-t-il d’un ton haineux. Au grand dam de tous.
Azali Assoumani critiqué de toutes parts
Le président comorien Azali Assoumani est aussi accablé des critiques. Pour la diaspora comorienne en France : « Azali Assoumani joue le jeu de la France (…) Il affiche verbalement l’idée de renouer le dialogue avec la France, mais concrètement il laisse faire…Il est au pouvoir depuis 14 ans. Curieuse coïncidence, il préside actuellement l’Union africaine mais demeure inactif pour défendre des Comoriens de même nationalité que lui à Mayotte. Une grande bourde d’un colonel putschiste qui rêve d’une virginité politique à l’Union africaine ! »
En juillet 2019, la France a octroyé environ 100 millions d’euros pour accompagner l’Union des Comores, avec une promesse de lutter contre le départ des ressortissants comoriens vers Mayotte. La députée Estelle Youssouffa s’insurge en visant directement une mauvaise gouvernance du colonel président : « qu’a fait le gouvernement comorien de cette somme depuis ! ». Le sénateur français Gérard Larcher va plus loin : « Nous (ndlr : France et Comores) avons eu un accord en 2019. Il faut que le gouvernement des Comores prenne ses responsabilités, sinon il faut en tirer les conséquences. Quand on ne respecte pas une convention internationale, il faut (ndlr : le gouvernement comorien) assumer les conséquences, et toutes les conséquences… Y compris la coupure d’aide. » A rappeler que la France est jusqu’à maintenant le principal bailleur des fonds de l’Union des Comores.
Opération parrainage des enfants
Des Réunionnais et des Malgaches craignent de dégâts collatéraux de l’opération « Wuambushu »de Mayotte en raison de la proximité de leurs îles. Beaucoup des Malgaches de Mahajanga sont familiers et entretiennent des liens de différentes sortes avec les Mahorais. Sans oublier que beaucoup de nombreux migrants africains dont des Comoriens périssent dans des naufrages en tentant chaque année de rallier clandestinement Mayotte, notamment à bord de kwassa kwassa (petite embarcation de pêche à moteur)
Patrick Baudoin, président de la Ligue française des droits de l’Homme disposant des antennes dans l’Océan indien, interpelle Paris : « Il existe certes de la délinquance à Mayotte, mais cette délinquance est partagée. Ne vous précipitez d’en vouloir aux seuls Mahorais et surtout aux jeunes. On est en train de violer les droits fondamentaux dans cette opération. La France n’est de plus en plus le pays des droits de l’homme mais le pays de la Déclaration des droits de l’homme »
De son côté, Me Saïd Larifou, opposant comorien et président de l’ONG panafricain Waraba lance un appel à une véritable prise de conscience, parce que le fond du débat à Mayotte est ailleurs : « Cette opération me semble inappropriée. Il s’agit d’une opération menée sur un territoire qui fait l’objet d’un contentieux entre la France et les Comores ». Car d’une part, l’Etat comorien revendique sa souveraineté sur le territoire de Mayotte. L’histoire rappelle qu’au début l’Archipel des Comores était composé de 4 îles : Mayotte, Anjouan, Moroni et Grande Comore ; et à un moment la capitale de l’archipel fut Mayotte. D’autre part, la France continue de coloniser Mayotte sous prétexte d’un référendum acquis à elle en 1974, sans respecter les résolutions de l’ONU.
La Russie entre dans la danse
Saïd Larifou reconnaît qu’il y a une insécurité voire une guérilla à Mayotte, mais la réelle problématique doit être discutée dans un climat serein à un moment ou à un autre : « Le drame qui nous affecte tous actuellement est le volet humanitaire. Il faut sauver des vies humaines, et dans ce sens je lance une opération urgente de parrainage d’au moins de 9.000 enfants abandonnés. C’est un appel à 9.000 personnes de parrainer un enfant abandonné de chaque. Ce n’est qu’après que nous aborderons ensemble le volet politique et diplomatique »
Pour paraphraser un député de gauche, ce n’est pas par charité que l’Etat français s’est attaché à Mayotte. L’objectif est militaire et économique : la maîtrise des matières comme la vanille ou le pétrole mais surtout la surveillance militaire du Canal de Mozambique où transite une part importante du pétrole venant du Moyen-Orient.
Mais la conjoncture internationale s’y mêle. En début de ce mois d’avril, Andrey Andrev, l’ambassadeur russe à Madagascar, également accrédité et aux Comores s’est déplacé à Moroni. Au cours duquel il n’a pas caché son appui au gouvernement comorien contre cette tentative française d’expulsion venant de Mayotte. De plus, le diplomate rassure la disposition de la Russie à soutenir l’Union des Comores dans sa volonté légitime de restituer l’île Mayotte sous sa souveraineté.
Voilà une déclaration qui ouvre à une lutte d’influence entre la France et la Russie dans l’Océan indien. D’où la complication de cette opération menée par Gérard Darmanin. « Wuambushu » n’est pas mort mais elle patine…
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