Tendance et libre opinion: Les imaginaires chez le Comorien et construction identitaire

9
Tendance et libre opinion: Les imaginaires chez le Comorien et construction identitaire
Tendance et libre opinion: Les imaginaires chez le Comorien et construction identitaire

Par MOHAMED DJALIM Ali
, Enseignant-chercheur à la Retraite

Africa-Press – Comores. Comprendre le fonctionnement de nos institutions de la famille, base de la société, à l’Etat, forme organisée de la nation, en passant par les institutions intermédiaires dont je ne saurais citer ici tous les noms, est l’ambition que je poursuis dans cet article destiné à un public large et diversifié. Cette réflexion se veut être l’expression complémentaire d’un non-dit et d’un non-osé ressenti au cours de la dernière conférence publique tenue sur la Place Badjanani par un jeune doctorant en sociologie urbaine, en l’occurrence Salec Halidi Abdérémane, sur le thème de « Moroni, ville héritage et bidonvilles contemporains ». Un sujet qui a suscité autant de passion que des interrogations restées encore sans réponse.

Dans la société comorienne comme dans toute société, « l’individu et les groupes se construisent leur identité autant à travers leurs actes que les représentations qu’ils s’en donnent. Ces représentations témoignent donc des imaginaires collectifs qui sont produits par les individus vivant en société et témoignent à leur tour des valeurs qu’ils se donnent en partage, dans lesquelles ils se reconnaissent et qui constituent leur mémoire identitaire ».

Pour mieux cerner le fonctionnement de la société comorienne, il convient donc de plonger en profondeur dans les imaginaires des comoriens qui représentent ce « au nom de quoi » les identités, nationale ou collective, se construisent. Ces imaginaires, chez nous les insulaires, sont aussi nombreux que complexes et leur compréhension est plus que jamais indispensable si les comoriens que nous sommes veulent s’éviter des drames que d’autres sociétés ont connus dans leur histoire et qui sont dus à des revendications « communautaristes » souvent meurtrières.

Il y a les imaginaires se rapportant à l’espace, témoignant de la façon dont les individus d’un groupe social se représentent leur territoire, s’y meuvent, le structurent en y déterminant des points de repère et s’y orientent. Dans quelle mesure, à l’inverse, l’extension du territoire, son relief, son climat influent sur les comportements et les représentations des individus y vivant. Pour comprendre le comportement des comoriens face à toutes ces questions qui le tourmentent quand il s’agit de la gestion de l’espace, il faut le représenter à l’image d’un volcan – Karthala – qu’on croit endormi alors qu’il bouillonne en son fond. Autrement dit, les comoriens agissent et se comportent à l’image d’une mer ou d’un océan au calme plat mais capable de se transformer en tempête. En effet, on leur apprend ou qu’ils ont conscience de leur appartenance à une Nation une et indivisible qui dispose d’un corps consistant dans son sol et dans les hommes qui vivent sur ce sol formé de quatre iles (Ngazidja, Ndzuani, Maoré et Mwali) et qui dispose également d’une âme formée par une histoire, une langue, une culture et une religion communes mais l’on a le droit de se demander si son comportement ne porte pas les stigmates de cette géographie divisant et divisée, source des identités collectives ou insulaires.

Partout quand les hommes éprouvent de l’amour pour leur nation, celle-ci devient ce qu’on convient d’appeler la Patrie pour laquelle ils sont prêts à mourir quand elle est menacée. Le comorien, « Mmassiwa », lui, « placerait » son île ou son village avant la nation quand et surtout il constate que celle-ci est abandonnée et inorganisée en l’absence de l’Etat qui est

défini comme la nation organisée et administrée. Un bon citoyen peut mourir pour sa nation si l’état qui en est son organisateur joue son rôle en assurant le bien-être de tout un chacun au sein de la nation. Faute de quoi, les citoyens se replient sur eux-mêmes développant des stratégies de différenciation sur la base des valeurs-refuges qu’ils arrivent des fois à fustiger si tout va pour le mieux en eux. Et c’est bien ce paradoxe là qui heurte le bon sens qui, en toute bonne logique, situe la Nation organisée, en d’autres termes l’Etat au dessus de tout. Car aucune autre institution locale, soit-elle, ne peut se prévaloir le droit de se placer au dessus de celui de l’Etat qui demeure à jamais la première institution, par excellence, de la nation.

Le temps est aussi une autre dimension des imaginaires du comorien en quête de son histoire et qui témoigne de la façon dont il se représente « les rapports entre le passé, le présent et le futur ». Comme tous les peuples « swahilis » ou côtiers, la plupart des comoriens fixent tout naturellement leur regard vers l’océan qui demeure le trait d’union qui les lie à leurs origines sans doute outremer. Les comoriens, dans leur ensemble et sans distinction d’origine, sont fiers de leur appartenance à la communauté arabo-musulmane ; cependant force est de constater qu’une minorité d’entre eux s’affiche d’origine arabe tandis que la majorité s’identifie avec une certaine rationalité qu’expliquent la couleur de la peau et la langue, à la bantuité qui, tant s’en faut, n’est pas le monopole de l’Afrique Centrale et Australe.

Les traits communs des bantous, qu’ils soient d’Afrique Centrale ou de l’Afrique Orientale, nous renvoient à une autre dimension des imaginaires des comoriens qui se rapportent aux relations sociales, « témoignant de la façon dont ils se représentent ce que doivent être leurs comportements en société et qui engendrent ce que l’on appelle des “rituels sociaux”. Est-ce que toutes les catégories sociales (femmes, enfants, vieillards, etc.) ont le même droit à la parole, et est-ce qu’elles peuvent l’exercer de la même façon ? ». « Qui épouse-t-on chez les comoriens et avec quelles conditions se forment les unions conjugales ? ». Mais ces imaginaires concernent également les comportements et le rapport que, dans la société, les individus, suivant qu’ils relèvent de la ville ou de la campagne, ont vis-à-vis de la loi. Alors que le droit est fait pour être respecté par tous les citoyens, une partie des comoriens, essentiellement ceux vivant dans les villages se comportent en feignant ignorer la loi tandis qu’une autre, celle de la ville, se déploie de la respecter. Mais d’autres déchirures psychosociologiques et politiques, – la ville s’ouvre alors que le village demeure fermé -, expliquent surtout les incompréhensions caractéristiques de ces deux communautésavec les risques qu’elles courent de se laisser entrainées vers des situations dramatiques et meurtrières.

Enfin, il y a lieu de signaler les imaginaires des comoriens se rapportant à leurs lignages, c’est-à-dire la façon dont ils se représentent leurs héritages historiques, et qui témoignent de la valeur symbolique qu’ils attribuent à leurs filiations. Chez les comoriens, on reconnaît l’existence de deux formes de filiation : la filiation du “droit du sang” qui « instaurerait des sociétés fondées sur la « ségrégation », c’est-à-dire dans lesquelles l’autre est accepté dans son appartenance identitaire, à condition que celle-ci n’excède pas le groupe qui en constitue l’origine ». Ce droit de sang a donné lieu à la formation d’une organisation sociale différenciée constituée de groupes lignagers qui sont les fameux « mba » ou « ventre » qui admettent ses membres suivant leur filiation matrilinéaire. Une autre filiation qui me semble intéressante pour cette réflexion est celle du « droit du sol » qui instaurerait des sociétés fondées sur l’ « intégration », c’est-à-dire des sociétés dans lesquelles l’autre doit être re-identifié selon les valeurs de la cité (celles de la République ou celles du Anda na Mila ?) ou du sol (celles de la Nation ou celles du Mila na Ntsi ?). D’où une organisation sociale

centralisée autour de « machines intégratives » tel le « Grand Mariage » pour la société grand- comorienne ou le « Shungu » à Mwali sans oublier le « Barzandji » des Wandzuani, pour ne citer que ces quelques exemples. Pour mieux cerner ce qui précède, on doit comprendre que tous les humains de la terre se fixent des idéaux constructifs comme couronnement de la vie et fondement de leur identité. Celui du comorien sans lequel rien ne joue aucun rôle et rien n’a de sens est Son Honneur qui s’acquiert à travers l’incontournable épreuve du Grand-Mariage, cette forme de prestation sociale que tout comorien, en l’occurrence le Grand Comorien, doit s’acquitter pour être reconnu comme citoyen à part entière autrement dit pour lui permettre de devenir cet « Homme Intègre » ou « Mdrumdzima » au « Pouvoir de l’Honneur ».

Outre ces machines d’intégration et de construction d’identités collectives ou spécifiques qui leur sont léguées par l’histoire, les comoriens vont puiser dans l’islam d’autres instruments d’intégration qui vont leur permettre d’affirmer leur identité dans le cadre de l’islam orthodoxe, suivant le rite shaféite.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Comores, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here