Fahmi Saïd Ibrahim : « Il ne faut pas compter sur les touristes observateurs »

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Fahmi Saïd Ibrahim : « Il ne faut pas compter sur les touristes observateurs »
Fahmi Saïd Ibrahim : « Il ne faut pas compter sur les touristes observateurs »

Toufé Maecha

Africa-Press – Comores. A dix jours du premier tour du double scrutin, Fahmi Saïd Ibrahim, un des leaders du parti Juwa a accepté de répondre à nos questions. Nous avons abordé son avenir au sein du Juwa, de la sécurisation des éclations mais aussi des propos désobligeants tenus par le candidat Mouigni Baraka à l’endroit des électeurs Anjouanais.
Question : La campagne a démarré. C’est le moment pour chaque candidat de déballer son programme. Quels sont les deux principaux points défendus par Salim Issa Abdallah, le candidat à la présidentielle soutenu par le parti Juwa ?
Fahmi Saïd Ibrahim : Le candidat soutenu par le président Sambi s’est engagé fermement à écourter son mandat s’il est élu et rétablir la Tournante dans l’esprit de l’Accord de Fomboni. Donc une reforme constitutionnelle en perspective. Je l’ai entendu parler du renforcement de l’Etat de droit. Comment compte-t-il s’y prendre ? Il faudrait lui poser la question.

Question : Certains leaders se montrent de plus en plus méfiants vis-à-vis de la Cour suprême surtout depuis l’exclusion du candidat Juwa à Anjouan pour une condamnation fabriquée de toutes pièces, et le limogeage de la présidente de la Chambre électorale par le président-candidat. Comprenez-vous cette méfiance ?

FSI : Je pense que cette question préoccupe non seulement les leaders mais tous les Comoriens. Se voir privé d’un droit fondamental d’être candidat sur la base d’une fausse décision est extrêmement grave. Je sais de quoi je parle puisque j’étais son avocat à l’occasion de la procédure devant la Cour suprême. J’ai versé l’ordonnance de renvoi sur laquelle le nom de mon client Mohamed Soilihy ne figurait pas, j’ai versé le vrai arrêt et mon client n’a jamais été condamné. Malgré ces deux pièces, la candidature a été rejetée sur la base d’un faux arrêt produit par la partie adverse. J’avoue que c’est préoccupant. Il y a des limites en tout, et là, la limite a été franchie.

Question : Le candidat Daoudou Mohamed alias Kiki a fait une proposition qui semble intéressante : une candidature unique au sein l’opposition. Si sur le plan juridique le désistement est impossible à ce stade, sur le plan politique il l’est car les autres candidats n’auraient qu’à appeler leurs électeurs pour élire celui qui sera choisi au sein du bloc de 5 candidats de l’opposition. Que pensez-vous de cette proposition ? N’est-ce pas le meilleur moyen de faire face au président sortant ?

FSI : C’eut été une bonne proposition à condition qu’elle ait été évoquée, structurée et mise en œuvre il y a cinq ans. Malheureusement, dans notre culture politique, nous aimons l’improvisation et non la réflexion, l’anticipation, et la préparation. Je me rappelle que le 28 décembre 2019, à l’occasion d’une interview que j’avais accordée à Daoud Halifa dans mon cabinet, j’avais dit que l’opposition est bicéphale et surtout l’absence d’organisation structurée de celle-ci nous rendait peu crédible aux yeux de la population et de la communauté internationale. Les ambitions démesurées des uns et des autres ont fini par prendre le pas et affaiblir l’opposition. Au lieu de soutenir qu’Azali allait partir en 2021, nous avions quatre ans devant nous pour nous préparer, nous organiser et présenter un seul candidat face à Azali. Nous avons commis une faute politique qui risque de nous couter cher. En soi la proposition de Kiki est bonne mais elle est venue avec 4 ans de retard. Mais en même temps, il n’a rejoint l’opposition que depuis deux ans, après avoir quitté le gouvernement.

Question : Il y a quelques jours un député a perdu son siège par décision du bureau de l’Assemblée suite à son exclusion du parti CRC. La Constitution en son article 69 dispose que « tout député, en cours de mandat, démissionne de son parti ou change de formation politique perd automatiquement son siège à l’Assemblée de l’Union. Il est remplacé par son suppléant qui achève le mandat ». Est-ce que la radiation de la CRC dont a fait l’objet le mis en cause, peut-elle être assimilée à de la démission ou de changement de parti politique ?

FSI : L’article 69 est l’un des articles les moins compliqués à lire de la Constitution comorienne. Aucune des deux conditions fixées par cet article n’a été remplie. Le député en question n’a ni démissionné ni changé de parti, c’est à tort que le bureau l’a remplacé. L’Assemblée nationale a fait une interprétation alambiquée de l’article 69. C’est pourquoi, à sa place, j’aurais saisi la Cour suprême ne serait-ce que par principe.

Question : Ces échéances électorales ont révélé les profondes divisions au sein des grandes formations politiques, en l’occurrence le Juwa et la CRC. Plusieurs des candidats présentés sont des vrais novices alors que vous regorgez de leaders charismatiques à même de contribuer considérablement au scrutin. On peut citer vous-même au sein du Juwa et votre collègue Ibrahim Soulé, mais aussi Said Ali Chayhane coté CRC. Comment expliquez-vous cette posture de ces grands partis ?

FSI : Ce sont malheureusement les querelles de clocher qui l’emportent sur les considérations de fond. Nous avons tendance à faire la politique par amitié, copinage et sentiments au détriment de la logique et du rationnel. Et pourtant nous sommes d’une culture islamique, les musulmans ont été les premiers à écrire sur la raison et la foi. Ces deux éléments sont parfaitement compatibles mais chez nous, nous préférons la foi et l’amitié au détriment de la raison et le rationnel. Nos choix politiques ne sont pas très souvent rationnels. Ibn Roushdi (Averroès) a pourtant développé la notion de la raison et la logique avant même les penseurs occidentaux. Malheureusement, la culture politique comorienne fait beaucoup plus appel aux sentiments, à l’amour et à l’émotion au détriment de la raison et de la logique. C’est la seule explication que je peux donner sur ce qui se passe dans les grands partis politique de ce pays.

Question : A l’occasion d’un entretien que vous avez accordé à un blogueur lors de votre passage à Anjouan en début de semaine, vous avez emprunté l’image de l’organisation soufi notamment les zawiyas, pour laisser entendre que vous allez quitter le parti Juwa. Avons-nous bien compris ?

FSI : Vous avez l’esprit très florissant mais je préfère aborder ce sujet après les élections. Pour le moment, ma priorité est l’élection de Dr Salim Issa, comme le souhaitent l’ancien président Sambi et l’ancien gouverneur Salami.

Question : Je pense que vous conviendrez avec moi que la sécurisation du vote reste l’enjeu majeur de ces élections. Concrètement, que comptez-vous faire pour vous y prendre ?

FSI : Je pense que vous avez parfaitement raison mais les dispositions de sécurisation des élections doivent être pensées et mises en œuvre par le directeur de campagne Djanffar Mansoib et son équipe en étroite collaboration avec les équipes des autres candidats de l’opposition, c’est un enjeu crucial.

Question : L’opposition anti-élection poursuit sa campagne. Elle appelle à un meeting contre le scrutin le 9 janvier prochain. Qu’en pensez-vous

FSI : Encore une fois l’attitude de certains opposants me déroutent. J’ai toujours compris que la souveraineté appartient au peuple. L’article 3 de différentes Constitutions du monde le rappelle. Comment peut-on concevoir que des leaders politiques s’organisent pour empêcher que le peuple puisse s’exprimer ? C’est une dictature, une violation de la souveraineté du peuple. Je peux comprendre que ces leaders fassent campagne pour boycotter mais pas à empêcher que ceux qui veulent participer puissent le faire. En revanche, que la question de la sincérité du résultat et de la sécurisation de celui-ci soient posées me semble parfaitement légitime, d’où l’intérêt de participer et faire en sorte que le résultat soit le plus honnête que possible. Il faut s’impliquer dans la sécurisation du scrutin et ne pas compter sur les « touristes » observateurs qui viendront nous dire qu’il y a eu quelques irrégularités mais qui ne sont pas de nature à entacher la sincérité des résultats. C’est la formule magique de nos vacanciers.

Questions : Dans une audio rendue publique, on entend l’ancien gouverneur Mouigni Baraka tenir des propos désobligeants à l’endroit des Anjouanais. Dans la même audio, il minimisait votre candidature.

FSI : En ce qui concerne les propos contre les Anjouanais, tout d’abord, je condamne avec toutes mes forces ces insultes. Il vient de nous livrer ses convictions profondes sur la nation comorienne, c’est un manque de respect total à l’endroit des Anjouanais mais plus grave encore, ses propos fragilisent la nation comorienne déjà fragilisée par le contexte politique actuel. Entendre aujourd’hui Mouigni tenir de tels propos contre une partie de la population, cela me préoccupe au plus haut point. Les propos de Mouigni Baraka sont d’une gravité extrême. En ce qui concerne ce qu’il a dit à mon endroit, il serait indécent de ma part d’en faire des commentaires face à la gravité de ses propos tenus contre une partie de la nation comorienne, les Anjouanais. Tout Comorien devrait se sentir insulté par l’ancien gouverneur. Comment comprendre qu’un ancien gouverneur puisse affirmer qu’il n’y a rien à faire si ce n’est d’acheter les voix des Anjouanais ? C’est très grave. Cette manière de faire de la politique est insoutenable, inadmissible. Je pense qu’il se trompe lourdement et un candidat à la présidentielle ne devrait pas tenir de tels propos.

Source: lagazettedescomores

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