Olivier Caslin
Africa-Press – Comores. Voilà plusieurs mois qu’Azali Assoumani avait prévu de se rendre à Paris et de rencontrer des médias français. D’abord annoncée début juin, cette visite, à l’origine privée, a finalement été avancée au début du mois de mai, le chef de l’État comorien profitant de sa venue à Londres pour le couronnement de Charles III pour faire une escale.
Un hasard du calendrier plutôt bienvenu. Depuis le lancement, le 24 avril, de l’opération policière « Wuambushu » par la France, qui vise à lutter contre l’immigration clandestine à Mayotte, les tensions sont vives avec Paris et, Azali Assoumani ne décolère pas. Le 8 mai, il a été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron pour s’expliquer sur ce dossier.
Planifiée initialement pour revenir sur la présidence comorienne de l’Union africaine (UA), effective depuis février dernier, sa venue en France a surtout été l’occasion pour Azali Assoumani de rappeler sa position concernant un litige qui empoisonne depuis bientôt cinquante ans les relations de son pays avec l’ancien colonisateur.
Jeune Afrique : Pourquoi cette visite à Paris maintenant et non en juin, comme cela était initialement prévu ?
Azali Assoumani : Parce qu’il y a urgence à trouver une solution à la situation actuelle de Mayotte. Les Comores et la France ont des relations obligées, ne serait-ce que parce que 300 000 Comoriens vivent en France métropolitaine. L’approche aujourd’hui employée par Paris pour régler le problème mahorais est mauvaise. Il est plus que temps de nous asseoir autour de la table pour tenter de trouver une réponse satisfaisante pour tout le monde.
Aviez-vous pu vous entretenir avec le président Emmanuel Macron pour faire connaître votre position sur l’opération « Wuambushu » avant qu’elle ne fuite dans la presse française ?
Dès que nous avons été au courant, nous avons fait connaître notre opposition. Je suis venu à Paris en janvier pour rencontrer le président Macron, ainsi que ses ministres Gérald Darmanin [Intérieur] et Sébastien Lecornu [Armées]. J’ai insisté pour qu’ils trouvent un moyen de gérer cette crise de manière discrète et efficace. Nous avons été désagréablement surpris de voir le lendemain la presse française annoncer dans le détail l’opération, nous plaçant ainsi devant le fait accompli.
Il n’y a donc pas eu d’échanges réguliers entre la France et les Comores avant son lancement ?
Aucun. Après cette visite à l’Élysée, durant laquelle nous avons fait savoir notre désaccord, nous ne nous sommes reparlés avec mon homologue français que fin avril, quelques jours après le lancement de « Wuambushu ». Emmanuel Macron m’appelait pour que je lui confirme que nous empêchions bien les bateaux en partance de Mayotte d’accoster aux Comores. Ce que je me suis empressé de faire, en lui précisant que j’avais personnellement donné cet ordre.
Vos relations étaient pourtant bonnes jusque-là…
Depuis sa première visite à Moroni en 2018, j’avais bon espoir en effet de poursuivre les discussions que nous avions entamé avec son prédécesseur, François Hollande, au sujet notamment d’un assouplissement du visa, mais Emmanuel Macron semble être confronté à d’autres problèmes internes. Sinon pourquoi venir en créer d’autres maintenant avec les Comores ?
Comment sortir de ce rapport de force déséquilibré entre la France et les Comores ?
En mettant tout en œuvre pour rétablir notre relation et l’améliorer. « Wuambushu », lancée depuis Paris, est inacceptable. Comment puis-je affirmer que Mayotte appartient aux Comores et accepter que des Comoriens soient expulsés de Mayotte ?
La France doit comprendre notre position et nous accompagner plutôt que de créer des problèmes supplémentaires entre nous. Nous nous étions entendus par le passé avec Paris pour empêcher un maximum de bateaux de partir d’Anjouan pour rallier Mayotte, mais nous n’avons pas les moyens d’interdire complètement ces traversées. Ceux qui arrivent à passer sont accueillis à Mayotte. Ce ne sont pas les Comoriens qui les laissent entrer, mais des réseaux qui gagnent beaucoup d’argent. Le ticket pour un kwassa-kwassa coûte 1 500 euros.
Est-ce que cette crise, vue comme migratoire à Paris, n’est pas plutôt économique ?
Il faut rétablir certaines vérités. Les Comoriens ne cherchent pas à aller à Mayotte pour s’y installer mais pour tenter ensuite de rejoindre la France métropolitaine. Mayotte n’est qu’une étape. Ils ne s’y rendent pas pour faire fortune. Ils n’y vont même pas pour suivre des études ou pour bénéficier d’équipements de santé, car ceux dont nous disposons aujourd’hui aux Comores sont de meilleure qualité. Nous avons justement investi ces dernières années pour ne plus leur donner de tels prétextes pour rejoindre Mayotte.
Beaucoup partent également pour visiter leurs proches sur place. Tous les Mahorais ont des liens familiaux avec l’une des trois autres îles. Avant l’établissement du visa Balladur, en 1995, personne ne parlait d’un problème comorien à Mayotte. Les gens séjournaient une semaine puis rentraient dans leurs îles. Maintenant, s’ils partent, ils ne peuvent plus revenir.
L’instauration du visa a tout bloqué et ceux qui restent n’ont souvent pas d’autre choix que de faire des petits boulots mal payés – qui contribuent néanmoins à l’économie mahoraise. Nous avions d’ailleurs proposé en janvier que les rapatriements reposent sur le volontariat car, contrairement à ce que l’on fait croire en France, il y a des Comoriens qui veulent rentrer dans leurs pays. Plusieurs dizaines regagnent chaque jour Anjouan.
Attendez-vous une nouvelle aide financière, complémentaire des 150 millions d’euros accordés par le France en 2019 ?
Nous avons constaté que 70 % des budgets accordés par la France lui revenaient pour payer les experts qu’elle nous envoyait. Je pense que nous pouvons trouver des professionnels moins chers en passant des appels d’offres. La coopération française ne se voit pas aux Comores alors qu’elle y a investi vingt fois plus que d’autres de nos partenaires en quarante ans.
Quelles peuvent être les conséquences durables de cette crise avec la France ?
Notre histoire est établie dans le temps et notre relation n’a jamais vraiment été rompue depuis l’indépendance, malgré le différend mahorais. Maintenant, si la France persiste dans cette posture, la situation ne peut que s’aggraver davantage. Elle doit aussi comprendre que nous voulons être sûr que Mayotte ne soit plus un outil de déstabilisation pour les Comores comme cela a encore été le cas en 2018. Elle doit nous rassurer.
La France vous a-t-elle soutenu au moment de prendre la présidence de l’Union africaine, en janvier ?
Les Comores restent plus proches de la France que le Kenya. Paris devait donc opérer un choix, à un moment où le pays voit son étoile pâlir en Afrique de l’Ouest ou centrale. J’ai rappelé au président Macron à quel point les Comores sont des amis fidèles et sincères de la France, dans une région où elle n’en compte pas tant. Paris a tout à gagner à ce que je préside actuellement l’UA. Il devrait me faciliter la tâche plutôt que de lancer des interventions de police qui ne sont bonnes pour personne.
À la tête de l’UA, vous faites aussi face à votre première crise majeure : la guerre au Soudan. Quel rôle compte jouer l’organisation panafricaine alors que les États-Unis et l’Arabie Saoudite lancent des initiatives de pourparlers ?
Le Soudan est en effet venu s’ajouter aux priorités que je m’étais déjà fixées au Sahel, dans les régions des Grands Lacs et du bassin du Nil, pour lesquelles j’avais déjà multiplié les rencontres. Je salue bien sûr l’initiative américaine et saoudienne pour établir une trêve mais, au moment d’ouvrir les négociations, l’UA occupera toute la place que lui accorderont les belligérants car c’est à eux de dire en qui ils ont confiance ou non. Je sais, pour être en contact avec les deux camps, qu’ils souhaitent que le problème soit résolu par des Africains.
Vous êtes un proche de votre prédécesseur à la tête de l’UA, le président Macky Sall. Que pensez-vous de la situation actuelle au Sénégal ?
C’est peut-être le seul pays du continent à avoir respecté les alternances démocratiques depuis son indépendance. Le Sénégal se doit donc d’être exemplaire et nous devons l’aider à le rester. Macky Sall a démontré qu’il était un vrai démocrate. Il doit maintenant prouver qu’il compte bien préserver les acquis démocratiques de son pays.
L’année prochaine auront lieu les élections présidentielles dans votre pays. En cas de réélection, ce sera votre dernier mandat avant de passer le relais en 2029 à un Anjouanais, comme le stipule les règles de la présidence tournante. Ces règles sont-elles toujours d’actualité, alors que votre fils Nour semble déjà se tenir prêt ?
Il devra attendre 2049 pour cela. Je peux vous assurer qu’en 2029, le président comorien sera Anjouanais. Je ne serai pas le fossoyeur de la tournante que j’ai moi-même instituée en 2006. Je laisse cela a ceux qui me succéderont.
La campagne électorale vient donc de démarrer et l’opposition se met en ordre de marche en jouant la carte de l’union depuis la France. Qu’en pensez-vous ?
Que nous devrions donc avoir des élections pluralistes, et c’est une bonne nouvelle pour la démocratie comorienne. Jusqu’à présent, ils refusaient de participer et quand ils faisaient, c’était pour perturber le processus électoral, comme cela a été le cas en 2019.
Je leur rappelle qu’ils doivent néanmoins rentrer au pays pour prendre part au scrutin alors que certains d’entre eux font l’objet d’une condamnation judiciaire [notamment l’ancien ministre Mohamed Ali Soilihi, dit Mamadou, condamné à vingt ans de prison par la justice comorienne en novembre 2022].
Que leur proposez-vous ?
Qu’ils rentrent et sollicitent une grâce ou une amnistie. Je l’ai déjà fait par le passé. À moins qu’ils comptent rester à Paris jusqu’à la fin de leur peine.
La condamnation à perpétuité de l’ancien président Sambi, dans le cadre du programme de citoyenneté, doit certainement les inquiéter. Pourquoi avoir décidé en novembre de le traduire devant la Cour de sureté pour haute trahison ?
Parce qu’une nationalité ne se vend pas. Tous les pays imposent des conditions à respecter pour l’obtenir et on ne la brade pas pour de l’argent. C’est pour cela qu’il fallait ce procès. Je n’ai rien d’autre à ajouter sur ce dossier.
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