Comores – Azali Assoumani : « J’ai une grande ambition pour mon pays »

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Comores – Azali Assoumani : « J’ai une grande ambition pour mon pays »
Comores – Azali Assoumani : « J’ai une grande ambition pour mon pays »

Africa-PressComores. Réformes économiques, révision de la Constitution, production d’énergie, promesses pétrolières, relations avec la France, critiques de l’opposition… Le président de l’Union des Comores s’explique et expose son projet pour l’archipel.

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Pour les Comores, le délicat enjeu économique de la diaspora

Étrange destin que celui d’Azali Assoumani, qui, dix ans après avoir cédé démocratiquement le pouvoir à Ahmed Abdallah Sambi, a retrouvé le palais de Beit-Salam, siège de la présidence comorienne. Ce colonel de 60 ans, formé à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc, et passé par l’École de guerre, en France, reprend les rênes du pays avec de nouvelles ambitions. Et un mode de gouvernance qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il a pu être lors de sa précédente expérience.

La première fois, en avril 1999, il était arrivé aux commandes après un putsch, présenté a posteriori comme une intervention de l’armée destinée à prévenir une guerre civile, alors que le pays traversait une crise sécessionniste (1997-2001). La deuxième, en 2016, représente une alternance, Azali faisant alors partie de l’opposition. Après des assises nationales, dont le principe avait été acté sous son prédécesseur, Ikililou Dhoinine, et dont il a confirmé la tenue quelques mois seulement après son retour, le nouveau chef de l’État s’appuie sur les conclusions de ces consultations, rendues publiques en février 2018, pour annoncer la nécessité de réformer la Constitution héritée des accords de Fomboni (2001).

La règle d’une présidence tournante entre les trois îles de l’archipel, Grande Comore, Anjouan et Mohéli, est maintenue, mais pour une période de cinq ans renouvelable une fois, contre un seul mandat autorisé auparavant. Azali Assoumani prend « le risque », comme il l’affirme lui-même, de remettre en jeu son mandat plus tôt que prévu, la nouvelle Constitution, approuvée par référendum en juillet 2018 à plus de 92 %, lui offrant la possibilité de conserver son fauteuil jusqu’en 2029 et non plus jusqu’en 2021.

Pendant probablement dix années désormais, au lieu de cinq, le président sera ainsi issu de la même île. Les trois postes de vice-président (un par île) sont supprimés, comme les gouvernements insulaires et la Cour constitutionnelle. Le président devient en outre également le chef de gouvernement.

Il concentre donc désormais une grande partie du pouvoir entre ses mains. Revers de la médaille, il affronte seul l’impatience des Comoriens, dont les attentes sont légion. Dans l’entretien qui suit, il répond à toutes nos questions. Sur l’organisation de la Conférence des partenaires pour le développement des Comores (à Paris, les 2 et 3 décembre), ses objectifs en matière de réformes économiques, ses relations avec Emmanuel Macron, les critiques formulées à son endroit par l’opposition, la nouvelle Constitution, sa gouvernance, les promesses pétrolières, le rôle de la diaspora ou encore son évolution personnelle. À sa manière, sans ambages…

Jeune Afrique : Vous organisez les 2 et 3 décembre à Paris la Conférence des partenaires pour le développement des Comores. Qu’en ­attendez-vous concrètement ?

Azali Assoumani :

Depuis vingt ans, les Comores jouissent d’une certaine stabilité politique. Cette stabilité doit être renforcée et, pour y parvenir, nous devons développer notre pays de manière durable et moderne, améliorer significativement la qualité de vie de la population, donner envie aux jeunes de s’inscrire dans un véritable projet national où ils puissent trouver des perspectives d’avenir.

Après mon élection, j’ai clairement fixé le cap : l’émergence des Comores en 2030. Et lorsque j’ai rencontré le président Macron, en juillet, je lui ai demandé si nous pouvions organiser cette conférence à Paris pour réunir les bailleurs de fonds – la Banque mondiale, la BAD, l’AFD, le Pnud notamment – et les opérateurs du secteur privé susceptibles de nous accompagner dans cette démarche. Il a tout de suite accepté, et je l’en remercie. Nous sommes désormais très optimistes, car nous connaissons notre potentiel.

Tablez-vous sur un montant précis à réunir ?

Oui, nous espérons réunir 4,2 milliards de dollars.

Pour développer quels secteurs en particulier ?

Nous avons identifié trois secteurs prioritaires. Le tourisme, dont le potentiel est immense, en veillant au respect de l’environnement et en proposant une offre différente de ce que l’on peut trouver chez nos voisins immédiats que sont Maurice ou les Seychelles. L’agriculture, ensuite. En visant l’autosuffisance alimentaire mais aussi en développant la culture de nos produits phares – l’ylang-ylang, la vanille, le cacao et le girofle –, qui devront toutefois être transformés sur place et non plus exportés directement, afin de créer de la valeur ajoutée et évidemment des emplois locaux. Enfin, la pêche, un secteur peu exploité jusqu’ici, alors que nous disposons de ressources très importantes et demandées un peu partout dans le monde.

Tout cela suppose l’amélioration de la production d’électricité. Sans énergie, difficile d’imaginer développer l’économie du pays rapidement…

Nous en sommes conscients. Depuis dix ans, c’est un problème majeur. Que nous avons réglé dans l’immédiat en misant sur le thermique. Nous avons acheté des groupes électrogènes pour faire face à l’urgence. Mais l’avenir, ce sont les énergies renouvelables, et nos atouts en la matière sont considérables. Notamment dans le solaire, l’éolien et la géothermie. Nous y travaillons déjà.

Comment évoluent vos relations avec la France depuis la crise d’octobre 2018, liée, encore une fois, à l’éternelle pomme de discorde que constitue Mayotte ?

Elles vont dans le bon sens car tout le monde y met du sien, fait preuve d’esprit d’ouverture mais aussi de bonne volonté. Cela ne signifie pas que le dossier soit réglé, évidemment, mais les tensions sont derrière nous. Le président Macron comme moi-même savons que ce qui nous lie est plus important que ce qui nous sépare. Et nos ministres des Affaires étrangères respectifs travaillent très bien ensemble.

Si Paris demeure votre premier partenaire commercial, les Comores entendent s’ouvrir à d’autres partenaires, au premier rang desquels figurent désormais la Chine et, plus récemment, l’Arabie saoudite. Que vous apporte cette nouvelle concurrence ?

Pour parvenir à notre objectif d’émergence, nous avons besoin de tout le monde et de toutes les compétences. J’ajouterai aux pays que vous avez évoqués le Japon, l’Inde, mais aussi la Russie, par exemple. La Chine est effectivement devenue notre deuxième partenaire, mais cela reste encore du bilatéral. Le secteur privé est peu présent mais commence à nous faire part de son intérêt, notamment dans le domaine des infrastructures.

À nous de faciliter les conditions d’investissement pour tous ceux qui le souhaitent. Nous savons que nous sommes un marché restreint, mais nous sommes aussi une porte d’entrée stratégique sur ceux, plus larges, qui appartiennent comme nous à la SADC [Communauté de développement d’Afrique australe] ou au Comesa [Marché commun pour l’Afrique orientale et australe]. Et, plus largement, sur le reste de l’Afrique, puisque nous avons ratifié l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale (Zlec).

Le président français Emmanuel Macron, à gauche, accueille le président des Comores, Azali Assoumani, pour des entretiens bilatéraux à l’Elysée à Paris, en France, le lundi 22 juillet 2019. © Michel Euler/AP/SIPA

Avec la réforme constitutionnelle de 2018, le cycle du pouvoir aux Comores a considérablement évolué. Vous pourriez rester à la présidence jusqu’en 2029 désormais, et non plus jusqu’en 2021, comme cela était prévu à l’origine. Qu’est-ce qui a motivé un tel bouleversement et que cela change-t-il en matière de gouvernance ?

C’est un changement extraordinaire. Le hasard a voulu que je sois chef de l’État en 2001, quand nous avons adopté le principe de rotation entre les trois îles qui composent les Comores, avec un mandat unique. À l’époque, c’était la bonne solution pour obtenir la paix et la sécurité. Je suis à nouveau à la tête du pays alors qu’il a fallu revoir ce système, qui, désormais, a plus d’inconvénients que d’avantages.

Avant, chaque île présentait ses candidats après une sorte de primaire, les autres n’étaient pas concernées. Celui qui occupait la présidence considérait que seule la période de son mandat importait, l’avenir du pays se limitant à cela. Tout était par ailleurs mis en œuvre pour préserver les intérêts d’une île en particulier, au détriment des autres.

Le communautarisme s’est enkysté. Et aucune continuité de l’État n’a jamais été mise en place. La modification actuelle conserve le principe de rotation, mais c’est désormais l’ensemble des Comores qui choisit l’heureux élu. Et le mandat renouvelable une fois impose un devoir de résultats à celui qui entend poursuivre sa mission. Lequel peut enfin travailler sur le long terme, avec une véritable stratégie de développement pérenne.

L’opposition vous reproche ce changement des règles du jeu, mais aussi de concentrer tous les pouvoirs entre vos mains, de manière dictatoriale…

Demain, ils peuvent prendre ma place. Ils n’ont qu’à travailler pour parvenir à leurs fins. En 2006, j’étais au pouvoir et j’avais un candidat pour me succéder. Il a été battu. Je l’ai accepté, car nous sommes en démocratie, c’est la règle. En 2016, j’étais dans l’opposition, et j’ai gagné. Je ne pensais pas revenir en politique, sincèrement. C’est la gabegie et l’irresponsabilité de certains de mes prédécesseurs qui m’y ont contraint. Je respecte la Constitution à la lettre et travaille à l’avenir de notre nation. Personne n’a été pris par surprise : j’ai annoncé mes intentions en 2016 lors de mon élection, la Constitution a été adoptée par référendum, et non en catimini, en 2018, et j’ai remis mon mandat en jeu en 2019.

Pour le reste, l’opposition sait ce qu’elle a à faire : convaincre les Comoriens du bien-fondé de ses propositions ou de ses critiques. À l’occasion des prochaines législatives, par exemple. Et non en s’époumonant à raconter n’importe quoi sur les réseaux sociaux. C’est quand même le monde à l’envers ! Certains au sein de cette opposition ont attenté à ma vie, à Mohéli, en tentant de crever les roues du train d’atterrissage de mon avion, ou à celle de mon vice-président, qui a essuyé dix-sept tirs de kalachnikov. Sans parler d’autres tentatives de déstabilisation.

Et ils ont le culot de vouloir me faire passer pour un dictateur ? Les seules personnes qui ont été emprisonnées sont les responsables ou les commanditaires présumés de ces actes odieux. La justice décidera. Pour le reste, personne ici n’est incarcéré pour délit d’opinion, aucune manifestation n’est empêchée, le journal qui appartient à l’État ouvre ses colonnes aux membres de l’opposition… De quel type de dictature parlent-ils ? Soyons sérieux.

La diaspora comorienne est très importante et contribue de manière décisive à l’économie nationale. Se pose aujourd’hui, comme ailleurs sur le continent, la question de sa participation aux différents scrutins nationaux. Y êtes-vous favorable ?

Évidemment. La diaspora comorienne représente près de la moitié de notre population, et son rôle économique est indéniable. Nous avons tous un ou plusieurs parents à l’étranger, en particulier en France. Maintenant, nous ne sommes pas là pour improviser et faire n’importe quoi. Il y a notamment des écueils logistiques majeurs.

Depuis des lustres, on évoque les promesses de gaz ou de pétrole aux Comores. Est-ce un mythe ou une réalité ?

C’est une réalité. Il y a des perspectives dans toute la région, même le Mozambique a fait de récentes découvertes. Nous serions vraiment maudits si nous étions les seuls à ne pas en avoir. Maintenant, soyons prudents et patients. C’est un sujet sensible, qui ne supporte pas l’approximation. Nous devons maîtriser tous les paramètres, disposer des ressources humaines capables de gérer cela, tirer les leçons de ce qui a pu se passer ailleurs. Nous nous querellons déjà pour rien, alors imaginez si une île plutôt qu’une autre se retrouve avec du pétrole…

Notre priorité aujourd’hui concerne les secteurs que nous avons évoqués précédemment, ce que nous pouvons faire avec les ressources qui existent déjà.

Azali Assoumani (Comores). Président de l’Union des Comores élu le 11 mai 2016. C’est son deuxième mandat. A Paris, le 06.10.2016. © Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/Jeune Afrique-R

Vous avez quitté le pouvoir en 2006 puis êtes revenus aux affaires en 2016. Êtes-vous un président différent ?

Je suis certainement moins fougueux, plus patient. Ceux qui travaillent à mes côtés depuis longtemps vous diront : « Ce n’est plus l’Azali que nous avons connu. » Sous-entendu, le militaire… On a beau dire, personne ne peut vraiment comprendre de l’extérieur ce que cela signifie et ce que cela implique d’être président.

A fortiori dans les pays comme les nôtres, où la continuité de l’État n’existe pas, où tout prend un temps infini, où il faut se battre comme un forcené pour trouver des financements. J’ai une grande ambition pour mon pays et je ne supporte guère la médiocrité, mais j’ai dû apprendre à composer. À supporter, par exemple, que des projets que j’avais lancés avant mon départ, en 2006, comme l’université ou l’hôpital public, aient été zappés par mes successeurs et qu’il faille aujourd’hui quasiment tout recommencer. Que de temps perdu pour les Comoriens…

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