Découverte D’Un « Troisième État » entre la Vie et la Mort

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Découverte D’Un « Troisième État » entre la Vie et la Mort
Découverte D’Un « Troisième État » entre la Vie et la Mort

Africa-Press – Comores. Ces deux options ne suffisent plus pour caractériser l’état d’une cellule d’après une équipe de chercheurs américains: « même si un organisme meurt, certaines de ses cellules conservent la capacité de se réorganiser et peuvent former de nouvelles structures de vie », résume Peter Noble, chercheur à l’Université d’Alabama (Etats-Unis).

Dans une nouvelle étude, co-dirigée par Alexander Pozhitkov, des biologistes ont observé des cellules de souris et de poissons zèbres morts. Placées dans des boîtes de Pétri, ces cellules se sont spontanément assemblées entre elles, formant de petites sphères appelées des biobots. Ce concept n’est pas nouveau: les biobots font leurs premiers pas (littéralement) en 2020. Des chercheurs de l’université de Tufts (Etats-Unis) ont prélevé des cellules souches d’embryons de grenouilles qui se sont assemblées en sphères. Grâce aux cils à leur surface, les xénobots (du nom de la grenouille dont provenaient les cellules: Xenopus laevis), ont arpenté leur boîte de Pétri. Mieux: ils étaient même capables de s’auto-reproduire.

En 2023, un autre biobot révélait des capacités étonnantes. L’anthrobot pouvait réparer des neurones ! Au-delà des prouesses des biobots, ces expérimentations révèlent une considération importante: le « destin » d’une cellule n’est pas fixé ! Elles ne suivent pas forcément une voie prédéterminée, et sont capables de s’adapter à de nouvelles conditions environnementales.

« Quels mécanismes permettent à certaines cellules de continuer à fonctionner après la mort d’un organisme ? »

Dans leur nouvelle étude, Peter Noble et Alexander Pozhitkov ont observé l’expression des gènes dans les cellules de poissons zèbres et de souris morts. Contre toute attente, ils constatent des sursauts de transcription de certains gènes. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Physiology. Cette étude est intrinsèquement liée à la durée de conservation d’organes et de tissus pour les greffes, puisque ceux-ci continuent de fonctionner même après la mort de l’organisme. « Cette résilience soulève la question suivante: quels mécanismes permettent à certaines cellules de continuer à fonctionner après la mort d’un organisme ? », interroge Peter Noble.

Étudier l’expression génétique, pour quoi faire ?

L’information stockée dans l’ADN est découpée en gènes: des portions de chromosomes. Une enzyme, appelée ARN polymérase, lit et transcrit l’information contenue dans ces gènes en un nouveau code: des ARNm, aussi appelés « transcrits ». Ceux-ci serviront à la fabrication de molécules utiles à la cellule, comme des protéines par exemple. D’autres types d’ARN remplissent des rôles fonctionnels variés. L’ensemble de ces processus biochimiques est regroupé sous le terme d’ »expression génétiqu ». Celle-ci est donc un indicateur de l’activité cellulaire, mais pas le seul.

Sciences et Avenir: Comment vous êtes-vous intéressé à la frontière entre la vie et la mort ?

Peter Noble: Quand Alexander Pozhitkov m’a proposé, au détour d’une bière, d’étudier la mort, j’ai d’abord cru à une plaisanterie. Mais il voyait déjà plus loin que nos travaux en cours. À l’époque, nous travaillions sur l’ADN, et l’expression des gènes, qui est liée à leur activité. Intuitivement, on s’attend à ce que les transcriptions des gènes soient actives pendant la vie et cessent à la mort, n’est-ce pas ? Mais contre toute attente, on a découvert que l’expression de certains gènes augmente beaucoup après la mort – tant chez la souris que chez le poisson zèbre, par exemple !

Au début, j’étais sceptique quant à ces données. Cependant, en appliquant une technique statistique, nous avons identifié des « vagues » distinctes d’augmentation de l’abondance des transcrits. Il est intéressant de noter que les gènes concernés sont associés à divers processus biologiques, notamment le stress, l’immunité, l’inflammation… La question qui se posait alors était la suivante: pourquoi ? Nous n’avons donc pas tout à fait cherché à étudier la frontière entre la vie et la mort. Notre curiosité a simplement été piquée par la question de savoir pourquoi la transcription de certains gènes augmentait juste après la mort de l’organisme.

« Les mécanismes de survie jouent un rôle clé dans la durée de vie des cellules et des tissus »
Comment expliquer la restructuration spontanée des cellules prélevées, en amas ?

La restructuration spontanée des cellules en amas est une propriété émergente qui n’était pas bien comprise. Ce qui est particulièrement fascinant est que des cellules individuelles peuvent former de nouveaux organismes multicellulaires (tels que les xénobots) sans adhérer à des voies de développement prédéterminées.

Par exemple, dans les embryons de grenouilles, les cellules sont munies de cils qui leur servent à expulser le mucus. Cependant, les xénobots réutilisent les cils d’une autre façon: pour naviguer dans leur environnement. Cette découverte suggère que les cellules ont une capacité inhérente à s’adapter à de nouvelles conditions environnementales. De futures études pourraient approfondir la plasticité des systèmes cellulaires. De précédents travaux suggèrent également que les interactions physico-chimiques, telles que les réseaux bioélectriques, agissent comme la « colle cognitive » qui lie les sous-unités individuelles en de plus grandes entités émergentes.

Qu’avez-vous observé en étudiant l’expression génétique des cellules d’animaux morts ?

En 2017 déjà, nous avions observé une augmentation dans la transcription de certains gènes, après la mort des poissons zèbres et des souris. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces « vagues ». Au cours de l’évolution, certaines voies ont pu se développer pour favoriser la guérison, ou la « réanimation » après une blessure grave. Ce qui constituerait un avantage adaptatif. L’abondance accrue des transcrits de la réponse à l’inflammation, par exemple, indiquerait qu’un signal d’infection ou de blessure est détecté par les cellules encore vivantes après la mort de l’organisme. Par ailleurs, ces augmentations pourraient aussi être dues à la dégradation rapide de certains répresseurs de gènes ou de voies entières conduisant à la transcription de gènes.

Comment expliquer les disparités en termes de durée de vie entre différents types de cellules ?

Nos récentes découvertes éclairent notamment les facteurs qui influent sur la survie et le fonctionnement de cellules après la mort d’un organisme. En effet, leur durée de vie varie beaucoup d’un type de cellule à l’autre. A titre indicatif, les globules blancs chez l’Homme meurent entre 60 et 86 heures après le décès. Mais certaines cellules musculaires de la souris peuvent être cultivées 14 jours après leur mort. On atteint même un mois pour les fibroblastes de moutons et de chèvres.

La durée de vie dépend entre autres, de l’activité métabolique des cellules. Par exemple, les neurones ou les cellules musculaires cardiaques ont des besoins énergétiques élevés. Elles sont donc plus difficiles à cultiver que des cellules graisseuses, adipocytes, ou des fibroblastes qui n’ont que peu de besoins énergétiques.

Les mécanismes de survie jouent également un rôle clé dans la durée de vie des cellules et des tissus. On observe une augmentation significative de l’activité des gènes liés au stress et des gènes liés au système immunitaire après la mort de l’organisme, ce qui est susceptible de compenser la perte d’homéostasie, l’équilibre physiologique des cellules. D’autres facteurs tels que les traumatismes, les infections, l’âge ou le sexe affectent aussi considérablement la viabilité des cellules. C’est l’une des raisons pour lesquelles les transplantations représentent un véritable défi médical.

Alors quelles sont les interactions entre ces variables et comment permettent-elles à des cellules de fonctionner après la mort ? Une des hypothèses qu’on pourrait avancer est la suivante: certains canaux présents dans les membranes des cellules génèrent des signaux électriques, permettant aux cellules de communiquer entre elles et d’exécuter des fonctions. Ils pourraient ainsi façonner la structure de l’organisme qu’ils forment.

« La vie et la mort sont traditionnellement considérées comme opposées, alors qu’elles ne le sont pas »
Pourquoi peut-on véritablement parler d’un « troisième état » entre la vie et la mort ?

Nous avons imaginé le concept de « troisième état » parce que la vie et la mort sont traditionnellement considérées comme opposées, alors qu’elles ne le sont pas. Alexander et moi avons déjà discuté du « crépuscule de la mort », que nous avons défini comme la transition d’un corps vivant à un cadavre en décomposition. À l’époque, nous n’étions pas conscients de la possibilité d’un troisième état, que nous avons rapporté plus tard.

Le troisième état ne correspond pas aux transformations développementales, telles que la métamorphose des chenilles en papillons ou l’évolution des têtards en grenouilles, car il s’agit de processus de développement. Le troisième état se distingue de ces transformations parce que les cellules ont la capacité de se développer en organismes multicellulaires dotés de nouvelles fonctions. Imaginez que vous preniez une seule cellule d’un être humain vivant et que, grâce à des techniques d’ingénierie sophistiquées, vous lui permettiez de se développer en un nouvel organisme multicellulaire. Ce nouvel organisme ne serait plus considéré comme un être humain, mais l’est-il ? Il est constitué du même matériel génétique qu’un être humain. Devrions-nous accorder à ce nouvel organisme multicellulaire les mêmes droits qu’à un être humain vivant ? Une autre question intéressante est la suivante: quelles sont les nouvelles propriétés ou les nouveaux comportements de ce nouvel organisme, et quels sont les mécanismes sous-jacents ?

Quelles implications pratiques ces résultats peuvent-ils avoir pour la médecine ?

Les implications pratiques sont potentiellement nombreuses, mais aucune n’a été réalisée jusqu’à présent. Le laboratoire Levin, dont sont issus les anthrobots, suggère que des biobots pourraient être injectés dans le corps pour dissoudre la plaque d’athérome chez les patients atteints d’athérosclérose ou pour éliminer l’excès de mucus chez les patients qui souffrent de mucoviscidose. Les robots issus de tissus vivants individuels pourraient également être utilisés pour administrer des médicaments sans déclencher de réaction immunitaire indésirable puisqu’ils sont issus des cellules du patient lui-même. Quant à nos derniers travaux, ils éclairent les mécanismes sous-jacents du don d’organes et de tissus, ainsi que de la greffe. Une meilleure compréhension de la manière dont certaines cellules continuent de fonctionner, voire de se métamorphoser en de nouvelles entités multicellulaires quelque temps après la mort d’un organisme, est prometteuse pour l’avancement de la médecine personnalisée et préventive.

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