Le retour étonnant de la vie dans les zones libérées par les glaciers

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Le retour étonnant de la vie dans les zones libérées par les glaciers
Le retour étonnant de la vie dans les zones libérées par les glaciers

Africa-Press – Comores. Le WWF France et le conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie (ASTERS) viennent de présenter les résultats de leur programme “Ice&life” sur l’évolution des espaces libérées par le retrait des glaciers dans le massif alpin. Le phénomène est massif puisque ces étendues glacées ont perdu 60% de leur surface depuis 1850. Dans le monde, hors inlandsis du Groenland et du continent antarctique, 210.000 glaciers couvrant 665.000 km2 sont affectés par le changement climatique.

“Entre 1850 et 2022, la surface des glaciers alpins est passé de 620 km2 à 210 km2”

Dans la revue Nature, le glaciologue Jean-Bernard Bosson a ainsi calculé que d’ici la fin du siècle, 149.000 km2 (soit la surface du Népal) serait ainsi libéré des glaces dans le cas d’un scénario d’augmentation des températures de 2°C et de 339.000 km2 (la surface de la Finlande) si la tendance actuelle de croissance d’émissions de gaz à effet de serre est maintenue.

Chercheur à ASTERS, Jean-Bernard Bosson a dirigé le programme “Ice&Life”. “Ce n’est pas neutre, affirme le chercheur. Entre 1850 et 2022, la surface des glaciers alpins est passé de 620 km2 à 210 km2, soit 410 km2 de désenglacement, ce qui représente 15 lacs d’Annecy ou encore quatre fois la surface de Paris”, affirme le glaciologue. Bien que ces zones soient situées en haute altitude, la végétation colonise rapidement ces surfaces.

Ainsi, des espaces libérés il y a un siècle sont aujourd’hui couverts par des forêts d’épicéas. “Si on laisse faire la nature sur ces zones partout dans le monde, la séquestration de carbone par cette végétation représentera l’équivalent de 10.000 km2 de forêts tropicales”, assure Jean-Bernard Bosson. Le conservatoire d’espaces naturels appelle donc à une protection stricte de toutes ces régions qui perdent leurs glaciers, ce qui est le cas pour le Mont-Blanc depuis seulement 2020 avec la publication de l’arrêté de protection des habitats naturels de ce massif. Actuellement, dans le monde, moins de la moitié des glaciers sont situés au sein d’aires protégées.

Dès que la glace se retire, la vie apparaît rapidement

Avec le programme Ice&life, les écologues ont pris le chemin des moraines. En se retirant, la glace libère des substrats rocheux et des éboulis a priori peu favorables à l’émergence de la vie. “Pourtant, les dynamiques de constitution d’écosystèmes complexes sont relativement rapides”, s’étonne Jérôme Poulenard, spécialiste des sols et socio-écosystèmes de montagne à l’Université Savoie Mont-Blanc. Le grand intérêt de ce terrain d’étude, c’est donc de suivre en temps réel la succession des espèces colonisatrices, des premières bactéries aux plantes “pionnières”, en passant par la cohorte des champignons, collamboles, insectes volants. “La vie ne part pas de rien, pondère cependant Jérôme Poulenard. Sur la surface des glaciers, des accumulations de poussières permettent une activité bactérienne qui sert de point de départ à la colonisation”, poursuit le chercheur.

C’est le cas pour les lacs qui se forment dans les cavités creusées par le glacier. “Le premier organisme à coloniser ces étendues d’eau nouvelles, c’est l’algue chloromonas qui ne vient pas de bien loin puisque c’est elle qui colore de rouge les glaciers l’été, expose Florent Arthaud, spécialiste des lacs d’altitude à l’Université Savoie Mont-Blanc. Le passage de la glace à l’eau liquide n’affecte pas l’algue même si l’eau est saturée de matières en suspension qui donnent au lac un aspect laiteux qui rend difficile la pénétration de la lumière et donc la photosynthèse.”

Des micro-organismes unicellulaires comme les cryptophytes et les chrysophycées apparaissent ensuite, ce phytoplancton attirant le zooplancton comme les rotifères pour une ébauche de chaîne alimentaire. “Et sur la suite de la colonisation, il faut bien dire qu’on manque de connaissances”, avoue Florent Arthaud. Comment arrivent par exemple les insectes volants ? Le vent paraît être l’acteur le plus évident, mais le passage des oiseaux migrateurs, le déplacement des animaux et même les chaussures des randonneurs paraissent être des véhicules potentiels pour les graines, les œufs, les individus matures.

L’étude de la “zone critique” de la Terre

L’évolution de ces milieux est donc un sujet d’étude majeur. Ces colonisations sont apparues très souvent dans l’histoire de la Terre, au gré des périodes de glaciations et de déglaciations. Mais cette fois-ci, pour la première fois, des chercheurs sont là pour étudier les mécanismes de reconquête de lieux hostiles à la vie. Pour Jérôme Poulenard, c’est une occasion unique de voir comment les plantes arrivent à coloniser des zones rocheuses sans sol. “En moins de dix ans, on voit s’installer des plantes comme l’épilobe des moraines, une vivace qui pousse jusqu’à 2700 mètres d’altitude, détaille le chercheur. Le substrat étant très pauvre, on voit aussi arriver des légumineuses qui grâce à la symbiose bactérienne peuvent capter l’azote de l’air comme par exemple le trèfle palissant Trifolium pallescens”.

C’est toute la théorie de la “terrestrialisation” des végétaux aquatiques il y a 500 millions d’années qui est ainsi mise à l’épreuve. Les évolutionnistes ont élaboré un scénario où des algues vivant dans des mares de faibles profondeurs ont pu s’enraciner dans des substrats rocheux avec l’aide de bactéries et surtout de champignons mycorhiziens qui les ont aidées à élaborer un sol fertile, première étape de la surface des continents par les végétaux.

Les successions d’organismes vivants constatées sur les terres libérées par les glaces épousent ces hypothèses. “Ainsi, les plantes pionnières sont toutes en symbiose avec des champignons mycorhiziens”, constate Jérôme Poulenard. Le chercheur se trouve donc au bon moment sur un terrain d’observation privilégié qui en fait un membre très actif de “l’observatoire de la zone critique” (OZCAR). Ce réseau de laboratoires en plein air étudie les interactions entre l’atmosphère, les sols, les couches géologiques, les organismes vivants dans cette étroite bande entre les basses couches de l’atmosphère et les 100 premiers mètres de la croute terrestre où se concentre la vie. Les désastreux reculs des glaciers auront au moins cet avantage de nous ramener aux premiers âges terrestres.

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