Les scolytes, de petits insectes redoutables qui s’attaquent au bois et ravagent des forêts entières

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Les scolytes, de petits insectes redoutables qui s’attaquent au bois et ravagent des forêts entières
Les scolytes, de petits insectes redoutables qui s’attaquent au bois et ravagent des forêts entières

Africa-Press – Comores. Ils ne sont pas plus grands qu’un grain de riz. Pourtant les typographes, des insectes de la famille des scolytes de cinq millimètres de long, ravagent des hectares entiers de forêt. Pour faire face à ces ravageurs, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a présenté lundi 15 avril 2024 un plan national “scolytes et bois de crise”. Objectif: tenter notamment de mieux valoriser les bois touchés par les scolytes car ces insectes qui se glissent sous les écorces d’épicéa font d’énormes dégâts dans les forêts du Grand Est. “Dans le contexte du changement climatique, les pouvoirs publics, mais aussi l’ensemble de la filière forêt-bois, ne peuvent plus se contenter d’agir en réaction aux crises successives en forêt, comme nous l’avons fait jusqu’à présent”, a annoncé Marc Fesneau, dans un communiqué du ministère. C’est dans ce contexte que Sciences et Avenir a interrogé Christophe Bouget, ingénieur, docteur en écologie et chercheur à l’Inrae. Dans un entretien, le scientifique parle de ces petits insectes ravageurs, de leur impact sur les écosystèmes forestiers, et propose des pistes de réflexion quant aux actions à entreprendre, ou plutôt à éviter, pour préserver nos forêts.

“Ces insectes ravageurs s’attaquent à des arbres déjà affaiblis”
Sciences et Avenir: Que sont ces insectes qui ravagent les forêts de France ?

Christophe Bouget: Les scolytes appartiennent à l’ordre des coléoptères. Ils sont xylophages, se nourrissant de bois, et la plupart détruisent les tissus sous-corticaux, notamment des pins, des sapins, des épicéas mais également des chènes.

Ces insectes ravageurs, dits « de faiblesse », s’attaquent à des arbres déjà affaiblis par d’autres facteurs de stress, comme les sécheresses ou les canicules, et alors incapables d’allouer suffisamment de ressources à leur défense.

Ces scolytes inquiètent, et tout particulièrement les typographes, de petits insectes à la carapace marron, qui affectionnent les épicéas, creusant sous leur écorce pour y pondre leurs œufs. La consommation intense des tissus sous-corticaux par les larves interrompt le flux de sève sous l’écorce et entraîne le jaunissement des houppiers. En cas d’infestation massive, ces ravageurs peuvent entraîner la mort de l’arbre.

Même si cet insecte est bien connu dans nos forêts du Grand Est, son cycle s’est accéléré avec le réchauffement climatique. Les œufs éclosent dès le mois de mars dans des arbres déjà affaiblis par les sécheresses, et plusieurs générations peuvent se succéder durant la même année.

19 juillet 2023, Saxe-Anhalt, Haldenslenben: la larve d’un scolyte du pin à douze dents est observée sur la face inférieure de l’écorce d’un pin dans un tunnel d’alimentation. Les forestiers de l’Office des forêts de Flechtingen ont détecté le dendroctone du pin dans leurs forêts à la fin de l’année 2022. Les arbres infestés sont en cours d’abattage et de traitement. Crédit: Klaus-Dietmar Gabbert / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

Ces typographes ont envahi ces dernières années toute la moitié nord de la France ainsi que la région Auvergne-Rhône-Alpes, et peut-être même la Gironde. Les conséquences de ces attaques sont importantes: depuis 2018, les sécheresses répétées et les fortes températures enregistrées dans le Grand Quart Nord-Est de la France ont provoqué des mortalités massives d’épicéas et de sapins. On estime ainsi que depuis 2018, le volume de bois touché s’élève à 37 millions de m3.

Quelles peuvent être les conséquences de la présence des scolytes ?

Ces dégâts sont considérables. Ils se situent à la croisée de plusieurs enjeux tels que le changement climatique, l’affaiblissement et la mortalité des arbres, l’altération des paysages forestiers mais aussi la dégradation de la quantité de ressource en bois et de la qualité des produits.

Par exemple, un chêne attaqué peut voir son bois coloré par des agents de piqûres, des scolytes qui cultivent des champignons de type Ambrosia dans leurs galeries pour alimenter leurs larves. Ces champignons, en symbiose avec les scolytes, tapissent les parois des galeries, donnant ainsi au bois une couleur localement noire. Le bois de chêne ainsi affecté perd de sa valeur lorsqu’il est utilisé comme bois d’œuvre.

Parmi ces scolytes agents de piqûres, un certain nombre sont des espèces cosmopolites, considérées en France métropolitaine comme des espèces exotiques envahissantes.

Les scolytes s’attaquent-ils aux arbres morts, malades, ou bien aux arbres vivants ?

Les scolytes colonisent généralement les arbres malades, stressés ou récemment abattus. Grâce à une colonisation brutale et abondante, ces ravageurs peuvent même s’en prendre aux arbres sains, comme des ravageurs primaires.

Dans nos études sur les chênes, en forêt de Chantilly par exemple, nous avons observé notamment que des chênes apparemment en bonne santé peuvent abriter ces insectes et des champignons dans leurs tissus, sans signes manifestes de dépérissement.

Ces ravageurs secondaires sont à l’affût, prêts à se reproduire massivement en cas de faiblesse de l’arbre. Au niveau de la grume de l’arbre, la partie du tronc vouée à être vendue et utilisée pour faire des planches, la quantité d’insectes et de champignons aux différentes hauteurs n’est pas équivalente. Certaines strates de l’arbre peuvent être plus occupées que d’autres. Des études sont actuellement menées pour mieux comprendre pourquoi les insectes et les champignons occupent ces arbres vivants de manière sélective, à différentes strates.

Des actions ont-elles été mises en place et montrent-elles des signes d’efficacité ?

Le modèle épicéa-typographe, étudié depuis de nombreuses années en dynamique des populations de scolytes, a fait l’objet d’études approfondies chez nos voisins, dans le parc national de Bavière. Ils ont étudié la stratégie du « laisser-faire » après les tempêtes de 1990 et de 1999, afin de montrer que l’absence de récolte des arbres fragilisés ou morts ne génère pas une pullulation des scolytes, mais qu’au contraire cela pourrait être bénéfique.

Laisser les arbres touchés par les scolytes permettrait de favoriser le développement des parasites et des régulateurs de scolytes, des auxiliaires régulateurs qui finissent par contrôler les populations de typographes.

Dans une grande forêt d’épicéas, partagée entre le parc national de Bavière, en Allemagne, et le parc national de Sumava, en Tchéquie, les arbres avaient le même état de santé et avaient subi les mêmes perturbations, mais les interventions face aux scolytes ont été différenciées des deux côtés de la frontière.

En Tchéquie, les forestiers sont intervenus massivement en tentant de piéger les scolytes, de récolter rapidement les arbres affaiblis par des récoltes dites « sanitaires » ou de « sauvetage ». Les forestiers allemands, quant à eux, ont adopté la stratégie du laisser-faire, acceptant un préjudice moyen, et ont démontré que cette stratégie pouvait être opérationnelle pour le contrôle des scolytes ravageurs et pour la conservation de la biodiversité forestière associée aux arbres morts.

“Réaliser une coupe rase de tous les arbres d’une parcelle est rarement la meilleure solution”
Peut-on espérer appliquer cette stratégie dans nos forêts françaises ?

Cette stratégie n’est pas applicable à toutes les forêts. En France, où l’épicéa pousse naturellement en zones froides et en altitude, un grand nombre d’épicéas ont été plantés hors de l’aire de distribution naturelle, notamment après la Seconde Guerre mondiale, sur financement du Fonds Forestier National.

Aujourd’hui, dans ces plantations, les conditions ne sont plus favorables à ces conifères, qui se retrouvent affaiblis, ce qui est une aubaine pour les scolytes. Les répercussions économiques sont désastreuses: des communes du Nord-Est de la France qui comptaient sur les ressources apportées par la vente du bois d’épicéa, déplorent un manque à gagner puisque les arbres sont en train de dépérir, et la qualité du bois avec.

En conséquence, les communes sont obligées de vendre leur bois comme bois de chauffage et non plus de comme du bois d’œuvre, générant d’importantes pertes économiques. En matière de gestion, le laisser-faire est difficilement applicable en raison des risques d’infestation dans les forêts voisines du territoire. D’autre part, le temps nécessaire aux auxiliaires pour atteindre des niveaux de population suffisamment importants pour réguler la population de scolytes est parfois incompatible avec le calendrier économique. Dans un territoire avec une activité forestière à fort impact économique, l’attente peut être impossible à supporter.

Quelles solutions existent alors pour les forêts touchées par les scolytes ?

Il n’existe pas de solution claire. Différents facteurs sont à prendre en compte comme l’essence de l’arbre, la place de la forêt dans le territoire, les enjeux économiques, les enjeux environnementaux, et les tendances climatiques.

Une chose est sûre, réaliser une coupe rase de tous les arbres d’une parcelle est rarement la meilleure solution. Cela empêche d’identifier et de laisser se reproduire les arbres résistants aux scolytes. Le chantier est certes plus facile à organiser, mais cela ne permet pas de sélectionner les arbres résistants qui donneront naissance à une nouvelle génération plus résistante.

Une coupe irrégulière pourrait permettre de sélectionner les arbres condamnés qu’il faut abattre, sans couper les arbres résilients ou sans symptômes, mais cela implique de passer plus de temps à évaluer l’état sanitaire physiologique des arbres. Cela est plus difficile à gérer qu’une coupe rase.

Finalement, il faut « apprendre en marchant », en diversifiant les expériences de gestion, dans un cadre de gestion adaptative. La forêt est en train de changer sous les effets du changement climatique. Certaines pratiques d’hygiène forestière héritées d’un savoir du 19e siècle ne sont plus appropriées dans un environnement changeant. Il est essentiel de continuer à apprendre et à s’adapter aux nouvelles conditions.

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