Africa-Press – Comores. Sciences et Avenir: Notre univers ne contiendrait que 5% de matière ordinaire, 70% d’énergie noire et 25% de matière noire, c’est ça? Est-ce que cela signifie qu’on ignore 95% de ce qui constitue l’Univers? Ça fait beaucoup quand même, non?…
Julien Masbou: Oui, mais c’est pour cela qu’on bosse (rires). Moi, je prendrais le problème dans un autre sens. Il faut considérer que nous avons aujourd’hui les moyens de mesurer l’étendue de notre ignorance… On arrive à dire que l’on sait qu’il existe beaucoup de choses qu’on ne connaît pas. Et ça devient une force parce qu’en parvenant à quantifier cet inconnu, ça permet d’avancer un peu, de débroussailler le terrain.
Mais, tout cet inconnu ne conduit-il pas à remettre les théories en question, à se dire qu’on s’est peut-être totalement fourvoyé et parti dans de mauvaises directions pour expliquer l’Univers?
Ce qui est certain, c’est que le modèle actuel est incomplet puisqu’il n’en décrit que 5%. C’est un peu comme lorsqu’on a découvert la lumière. Il existe la lumière visible. Mais on s’est aperçu aussi qu’il existait l’infrarouge, et l’ultraviolet. Nous nous trouvons un peu dans cette situation, en commençant à nous apercevoir qu’il existe d’autres choses que de la lumière visible.
Pour en revenir à l’énergie noire et la matière noire, nous parvenons pour le moment uniquement à les quantifier et les cartographier. La matière noire, nous savons que c’est de la matière, que ça pèse de manière gravitationnelle. Maintenant, la question que l’on pourrait se poser, c’est: est-ce que la balance qui nous permet de peser cette matière dysfonctionne? Toutes les tentatives de vérification de la qualité de notre balance nous ont indiqué que non.
« La surprise de découvrir une galaxie qui n’avait pas besoin de matière noire pour expliquer sa rotation ! »
Cette proportion entre matière connue et inconnue se retrouve-t-elle uniquement dans notre galaxie?
Ce 5% de matière connue et 70% de matière noire, c’est la proportion globale mesurée pour tout l’Univers. Mais, tout récemment, il y a moins de dix ans, les scientifiques ont découvert, pour la première fois, une galaxie située à 1 milliard d’années-lumière de la nôtre qui n’avait pas besoin de matière noire pour expliquer sa rotation. Lorsqu’on pèse cette galaxie, on s’aperçoit qu’à priori, elle n’en contient pas.
Ça ressemblerait à quoi la matière noire? Et pourquoi est-ce si compliqué de la voir et de la capturer?
On pense que c’est une nouvelle particule. Il existe plusieurs modèles. Le plus avancé est celui des Wimps, pour Weakly Interacting Massive particles, des “particules massives interagissant faiblement“. Et mon métier c’est de créer comme un immense filet à papillons pour les attraper, à la manière du Super-Kamiokande, le détecteur japonais construit pour capturer cette autre particule, le neutrino.
Car, comme le neutrino, la matière noire est neutre. Ce sont des objets qui interagissent très peu avec la matière. Avec le neutrino, il faut un maillage suffisamment petit. Avec la matière noire, le maillage utilisé est encore trop gros. Et ce n’est pas la taille de la particule qui est en cause mais l’intensité de la force avec laquelle elle entrera en interaction avec le piège. La manière dont la matière noire percute les objets fait qu’elle les traverse sans problème. Et c’est là toute la difficulté. Donc, on a construit un réservoir de xénon liquide car un élément comme le xénon émet de la lumière ou un courant électrique lorsqu’il est excité et que quelque chose le percute. Lorsque cela se produira, il deviendra possible de remonter jusqu’à l’origine de l’émission et comprendre ce qui l’a provoquée.
« Il existe quatre forces pour expliquer la physique »
Comment êtes-vous sûr que votre « filet à papillons » est adéquat pour chercher la matière noire?
Il existe quatre forces pour expliquer la physique. La force électromagnétique, à laquelle la matière noire ne réagit pas. Sinon, on l’aurait déjà observé. La force gravitationnelle et c’est grâce à ça qu’on peut la peser et dire qu’elle existe. La force forte, responsable de la cohésion des protons et des neutrons au sein du noyau des atomes. La matière noire n’interagit pas avec cette force, sinon, elle aurait déjà été capturée dans ces noyaux. Et, enfin, la force faible, celle qui explique la radioactivité et la façon dont les atomes se désintègrent. Et plusieurs modèles estiment que la matière noire pourrait interagir avec cette force nucléaire faible.
Aujourd’hui, on dispose donc d’une cuve remplie de 10 tonnes de xénon liquide parce que la force faible est tellement faible qu’on estime qu’il est nécessaire de mettre beaucoup de masse pour l’arrêter.
Et l’énergie noire, c’est aussi une particule?
Alors, non, ça, c’est autre chose. Depuis que l’Univers est né voilà un peu plus de 13 milliards d’années avec le Big Bang, tous les objets, planètes, étoiles etc., se sont éloignés les uns des autres. On dit que l’Univers est en expansion. Derrière cette expansion se trouve la constante de Hubble qui explique ce phénomène. Or, aujourd’hui, on s’aperçoit que la constante de Hubble, en fait, elle n’est pas si constante… La vitesse d’expansion pourrait changer.
C’est une des découvertes qui agite la communauté des astrophysiciens depuis 5 ans. Ce que l’on observe, c’est que l’expansion est de plus en plus rapide. Et cette accélération, c’est ce que l’on appelle l’énergie noire. Plein de nouvelles expériences ont démarré récemment pour étudier ce phénomène. Par exemple, l’observatoire Vera Rubin au Chili.
S’agissant de quelque chose qui serait aussi abondant que la matière noire, c’est curieux de ne pas en trouver.
Alors, je vais vous prendre une analogie. Vous savez qu’il y a de l’air dans la pièce. Prouvez-le moi… Vous agitez votre main, vous sentez le vent. Nous, dans notre idée, c’est de se dire que notre galaxie est remplie de matière noire parce qu’on la pèse et qu’il y a un vent de particules de matière noire qui nous arrive dessus. Mais, ça ne suffit pas pour caractériser les composants dudit vent.
« Pour observer la matière noire, nous disposons de trois méthodes… »
Sans oublier le problème principal que constituent les rayons cosmiques. Le soleil et toutes les étoiles émettent des particules dans l’Univers. Nous sommes en permanence bombardés d’une gigantesque quantité de matière. Pour vous donner une idée, la radioactivité, c’est un atome qui se casse et émet une particule. Eh bien, un seul être humain de 70 kilos émet 8000 particules par seconde ! Donc, pour être capable de capturer la matière noire, il est indispensable de se placer dans un environnement le plus silencieux possible afin d’éviter le bruit de fond. Pour cela, nos expériences sont abritées dans un laboratoire souterrain sous une montagne, sous 1500 mètres de roche, derrière des portes en acier, afin de filtrer au maximum toutes ces activités cosmiques. Parce que la pollution due à toutes les particules, cosmiques comme radioactives, est énorme. C’est la même problématique lorsqu’on veut observer les étoiles en ville ou au bord d’une autoroute. Trop de pollution lumineuse pour percevoir quoi que ce soit.
Malgré tout, vous conservez bon espoir de parvenir un jour à capturer de la matière noire?
Oui et l’une des premières raisons, c’est que lorsque l’on fait une cartographie de cet Univers inconnu, on estime avoir exploré 50% des possibilités. On serait à 99%, oui, je serais pessimiste. De plus, nous commençons à investiguer d’autres pistes.
Pour observer la matière noire, nous disposons de trois méthodes. La première est l’observation directe. C’est mon filet à papillons. La deuxième méthode est indirecte. Je sais qu’il en existe dans les galaxies. Je vais donc essayer de voir si celles-ci émettent un signal étrange que je pourrais expliquer comme étant de la matière noire. Et la troisième, c’est d’essayer d’en fabriquer. Le CERN s’y emploie avec son accélérateur de particules. On envoie des particules les unes contre les autres, en en créant ainsi de nouvelles, et en espérant générer de la matière noire. Nous avons donc pas mal de raisons d’espérer qu’un jour nous parviendrons enfin à résoudre le mystère de cette particule. Mais, pour le moment, nous jouons au jeu du chat et de la souris. Elle nous échappe encore.
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