Abu Bakarr Mansaray, un artiste ingénieur à la Cité des sciences

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Abu Bakarr Mansaray, un artiste ingénieur à la Cité des sciences
Abu Bakarr Mansaray, un artiste ingénieur à la Cité des sciences

Africa-Press – Congo Brazzaville. Un artiste sierra-léonais à la Cité des sciences et de l’industrie ? A priori, on pourrait trouver l’idée étrange. En regardant le travail d’Abu Bakarr Mansaray, artiste à l’imaginaire scientifique et technique survolté, on ne peut qu’acquiescer. S’il s’agit de sa première exposition personnelle, à 52 ans, il a déjà participé à une bonne dizaine de grandes expositions dont la biennale de Venise en 2015 et « Les initiés » à la Fondation Louis Vuitton à Paris en 2017.

Découvert par André Magnin

Son travail si particulier, des sculptures et des dessins techniques d’objets volants identifiés ou non, a été découvert en 1991 par le critique d’art André Magnin. Ce dernier à la recherche d’un artiste, John Goba, qu’il finit par trouver en sillonnant Freetown, capitale de la Sierra Leone, tombe par hasard sur les sculptures en métal d’un jeune homme, Abu Bakarr Mansaray. « Les objets qu’il vendait paraissaient ultra-sophistiqués, comme des constructions d’ingénieur. Il s’agissait de modèles réduits de machines qui crachaient du feu ou qui actionnaient des organes mécaniques. Pour mettre au point ces pièces, il récupérait des moteurs de réfrigérateurs, de machines ou de moulins à café », se remémore André Magnin. Il travaillait alors pour le milliardaire italien Jean Pigozzi, qui l’avait chargé de constituer sa collection d’art contemporain africain. Abu Bakarr lui montre un carnet de croquis. « J’avais sous les yeux une incroyable succession de plans et de projections, avec des pages de calculs, des notes et des formules. J’en ai montré à un ami ingénieur qui m’a confirmé la véracité de certains principes que développe Abu Bakarr », explique André Magnin.

« Les dessins étaient des travaux préparatoires. ils n’étaient pas des œuvres, à ses yeux. Il faut s’imaginer au début des années 1990, en Sierra Leone, vendre un dessin, cela n’existe pas. Le marché de l’art n’existe pas. Les sculptures apparaissaient plus comme des objets de décoration ou des objets amusants. Il n’a pas la conscience d’être dans une démarche artistique, ni d’être un artiste dans le sens où on peut l’entendre de manière occidentale. Il crée ces objets parce qu’il en éprouve la nécessité et l’envie », détaille Gaël Charbau, commissaire de l’exposition.

Un artiste marqué par la guerre

Au moment où André Magnin le découvre, le pays plonge dans le chaos. Une guerre civile qui va ravager le pays pendant une décennie et aujourd’hui considérée comme l’une des plus violentes du continent. Des enfants soldats drogués, enrôlés de force par des chefs de guerre, vont semer la terreur dans un pays où l’enjeu se nomme diamants de sang, l’argent des diamants servant à acheter des armes et à poursuivre la guerre.

Abu Bakarr Mansaray ne trouve plus de matériel pour créer ses sculptures, André Magnin lui conseille alors de se concentrer sur les dessins et de laisser libre cours à son imagination. En 1998, des militaires l’ont mis dans un avion. Il s’est retrouvé avec femme et enfants aux Pays-Bas. Il y restera jusqu’en 2013. Les dessins de cette époque sont traversés par la violence de la guerre qui hante l’artiste.

Des dessins et sculptures évoquent un univers de machines

Les neuf dessins et deux sculptures présentés à la Cité des sciences, prêtés par la collection d’art contemporain africain de Jean Pigozzi, nous plongent dans un univers de machines, d’avions ultra-sophistiqués, de soucoupes volantes et de techniques improbables comme un « Téléphone nucléaire découvert en enfer »… Dans ce monde imaginaire qu’il façonne, un « Homme digital », un « Avion sorcière », ou un « Falcon Métal », Abu Bakarr Mansaray trace au crayon papier et au stylo des machines accompagnées de légendes et de schémas explicatifs avec force détails. Parfois, il rajoute des touches de couleurs. La précision du dessin rappelle celle des dessins techniques tracés au rotring, avec engrenages, roues, boulons…

Un artiste sur sa planète

Il y a une petite dizaine d’années, il est revenu en Guinée et en Sierra Leone. « Avec l’argent gagné, il a acheté des terres, des champs aurifères, semble-t-il, construit des maisons, acheté des 4×4. Depuis, il fait fructifier son argent. Il est souvent en brousse et il est compliqué de le joindre », raconte André Magnin. « Nous ne sommes en communication que lorsqu’il m’envoie un texto, il m’appelle son papa. En général, il me demande de la thune ou passe des commandes », poursuit malicieusement celui-ci. Il lui faut entre six mois et un an pour faire un grand dessin. Pas la peine d’envisager une rencontre, d’escompter le croiser lors d’un vernissage, l’artiste vit dans son monde, sur sa planète.

* Abu Bakarr Mansaray, Cité des sciences et de l’industrie, Paris, jusqu’au 22 février.

** Le catalogue, qui accompagne cette exposition, présente outre les œuvres exposées, d’autres dessins de l’artiste, dont certains sont inspirés par le chaos de la guerre civile. C’est aussi la première monographie sur cet artiste insaisissable et complexe. Les textes d’André Magnin, Myriam Odile Blin, mais aussi de Gérard Azoulay, responsable du Centre national d’études spatiales, éclairent des œuvres qui font véritablement voyager dans un autre monde.

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