Construction Du Temple De Karnak Et Migration Du Nil

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Construction Du Temple De Karnak Et Migration Du Nil
Construction Du Temple De Karnak Et Migration Du Nil

Africa-Press – Congo Brazzaville. Aujourd’hui situé à cinq cents mètres à l’est du Nil, près de Louxor, en Égypte, Karnak est l’un des complexes religieux les plus imposants de l’Antiquité. Occupé pendant environ trois millénaires, il se compose de plusieurs structures consacrées à trois divinités principales (Amon-Rê, Montou et Mout) vénérées dans l’ancienne capitale religieuse de Thèbes. Si le site est fouillé depuis un siècle et demi, on ne sait toujours pas à quand remonte sa fondation, ni quel emplacement a été choisi pour ériger les premiers bâtiments du complexe désormais inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Une équipe internationale apporte aujourd’hui une réponse fondée sur l’analyse de la géologie du site, démontrant que les fluctuations du cours du Nil n’ont cessé de chambouler le paysage et que le complexe a été construit en conséquence, s’agrandissant au fur et à mesure de l’éloignement des bras du fleuve ou de leur comblement. Cette construction se présente ainsi comme le résultat d’une adaptation active à la géographie naturelle.

Pour construire le temple de Karnak, les Anciens Égyptiens ont profité de la migration du Nil

Comme le rapportent les auteurs dans la revue Antiquity, malgré les innombrables fouilles et études menées sur le site majeur de Karnak, le mystère perdure quant à la date de la première occupation. La majorité des chercheurs penchent pour une origine remontant à la Première Période intermédiaire (vers 2152-1980 avant notre ère), tandis que d’autres supposent une occupation prédynastique, donc bien plus ancienne (entre 3900 et 3100 avant notre ère). Si ces deux théories reposent sur des découvertes archéologiques, la seconde se réfère à des objets analysés hors de leur contexte d’origine, et donc plus difficiles à interpréter ; elle paraît donc d’emblée plus fragile.

Les études précédentes étaient incomplètes

Pour lever le doute, plusieurs équipes ont entrepris de reconstituer l’environnement de Karnak à l’époque de sa construction en s’appuyant à la fois sur des éléments obtenus à partir de fouilles archéologiques et sur des carottages. Mais, selon les auteurs de la présente étude, ces analyses étaient « limitées » et donc « incomplètes »: les carottages étaient trop peu nombreux et pas assez profonds ; il faudrait aller au-delà de 5 mètres, ce qui n’a jamais été réalisé. Ce faisant, ces premières tentatives ont tout de même réussi à suggérer « l’existence probable d’un lit de rivière non identifié, de date et de taille inconnues, à l’est du site, et celle d’un deuxième lit à l’ouest pendant le Moyen Empire (vers 1980-1760 avant notre ère) », relatent les auteurs.

200 carottages stratégiquement placés

Pour obtenir des résultats plus précis et plus concluants, l’équipe dirigée par des archéologues des universités de Southampton, en Grande-Bretagne, et d’Uppsala, en Suède, a pour sa part procédé à 200 carottages stratégiquement placés, couvrant à la fois le site monumental et ses environs. Ces carottages ont permis de prélever des échantillons sédimentaires à une profondeur moyenne de 6,4 mètres, allant à certains endroits jusqu’à plus de 11 mètres. La plupart ont pu être datés archéologiquement, grâce à la présence de dizaines de milliers de fragments de céramiques sur le site, les chercheurs procédant ailleurs par luminescence optiquement stimulée (en mesurant la lumière émise par certains minéraux comme le quartz ou les feldspaths).

Karnak se trouvait à l’origine sur une île

L’analyse des carottages indique que Karnak a été initialement construit sur une terrasse fluviale naturelle située à environ 72 mètres au-dessus du niveau de la mer, « vestige préservé d’une ancienne plaine fluviale, qui a été érodée à l’est et à l’ouest par l’incision de chenaux fluviaux, laissant un segment de terrain élevé, une terrasse (ou une île), dans la partie est/sud-est du site actuel, qui a ensuite été occupé », expliquent les chercheurs.

Elle devait couvrir une superficie d’environ 10 hectares, même s’il est difficile de la délimiter aujourd’hui. Mais ce qui est certain, c’est qu’avant sa formation, la zone « n’était pas propice à une occupation, ni à une construction permanente », le débit de l’eau étant trop rapide. Dans la mesure où elle ne contient des dépôts céramiques qu’en surface, les chercheurs disposent d’éléments datables pour situer chronologiquement le début de cette occupation. « Les céramiques les plus anciennes au sommet de la terrasse datent d’une période comprise entre la VIe et le début de la XIe dynastie (environ 2305-1980 avant notre ère), ce qui les situe dans la Première Période intermédiaire ou peut-être à la fin de l’Ancien Empire (environ 2591-2152 avant notre ère) », écrivent-ils. Voilà donc invalidée la seconde des datations présumées sur la seule base des fouilles archéologiques.

Le fleuve a migré vers l’ouest

Pour ce qui est des deux canaux esquissés par les précédentes analyses, les nouveaux carottages en dessinent des contours plus précis, permettant de reconstituer un paysage environnemental bien plus complexe. À l’ouest de la terrasse principale du site, plusieurs chenaux créés par le fleuve se sont progressivement ensablés naturellement, l’un a également été délibérément comblé par un dépôt de sable de plusieurs mètres d’épaisseur, ce qui a permis de gagner du terrain pour élargir le complexe.

Ce mouvement est cependant d’origine naturelle, soulignent les auteurs, car « tous ces changements fluviaux semblent être liés au développement d’un canal fluvial important plus à l’ouest, qui était présent dès le Nouvel Empire, voire avant, canal qui a ensuite migré vers l’ouest pour devenir le principal bras moderne du Nil ». Au cours de cette migration, le fleuve s’est divisé en plusieurs chenaux, qu’il a ensuite agrégés ou bien cessé d’alimenter.

Un immense bras oriental s’est ensablé de lui-même

Le Nil s’est également déplacé côté est pendant le Moyen Empire et la Deuxième Période intermédiaire ; si les précédentes études l’avaient mis en évidence, la dimension de ce bras n’avait pas encore été estimée, or il devait mesurer entre 220 et 500 mètres de largeur au cours de la Troisième Période intermédiaire (vers 1076-664 avant notre ère) ! Malgré ses dimensions plus qu’imposantes, ce bras important du Nil a fini par s’ensabler vers le 5e siècle avant notre ère et il fait aujourd’hui partie de la plaine inondable de la rive orientale du Nil.

Le site religieux a évolué en même temps que le paysage

Cette étude permet ainsi de montrer combien Karnak s’est agrandi au fur et à mesure de l’évolution du paysage, et combien sa construction est intrinsèquement liée aux variations du cours du Nil. Les chercheurs extrapolent alors ces données géologiques en opérant un rapprochement avec un mythe de la création mentionné dans plusieurs textes égyptiens. Il est en effet écrit dans les Textes des Pyramides, qui datent de la fin de l’Ancien Empire, « que le dieu créateur s’est manifesté sous la forme d’une terre émergeant d’un lac, d’un monticule primitif ». Selon les chercheurs il serait donc envisageable que l’emplacement du complexe religieux puisse avoir été choisi « parce qu’il correspondait à cette image cosmogonique », même s’ils reconnaissent qu’il faut être prudent avec cette interprétation. Ils admettent ainsi que l’emplacement initial aurait tout aussi bien pu relever d’un choix plus pragmatique « sur des terres non inondables, en face d’at-Tarif, un centre d’activité de l’Ancien Empire ».

Il n’est pas aisé de reconstituer ni de déduire une intention ; mieux vaut donc s’en tenir aux faits. Grâce à cette étude, on sait que les Anciens Égyptiens ont su profiter des caprices du fleuve pour développer leur site cultuel et qu’ils ont aussi contribué à préparer le terrain pour récupérer des terres à bâtir. Pour prendre pleinement mesure de l’impressionnante évolution de ce paysage unique, les chercheurs vont continuer de sonder la plaine inondable de la région de Louxor.

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