COP 30 Difficulté du Financement Contre la Déforestation

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COP 30 Difficulté du Financement Contre la Déforestation
COP 30 Difficulté du Financement Contre la Déforestation

Africa-Press – Congo Brazzaville. Le puits de carbone terrestre a capté 21% des émissions humaines de CO2 au cours de la dernière décennie. La photosynthèse opérée par les plantes en général, les arbres en particulier, reste donc un outil puissant d’atténuation de l’effet de gaz à effet de serre. Mais il pourrait être bien plus efficace s’il n’était affaibli par l’action de l’humain. Selon le dernier bilan du Global carbon Project (GCP), entre 2015 et 2024, le puits terrestre s’est effondré de 25%.

En cause: la déforestation et le changement d’affectation des sols, c’est-à-dire la conversion de milieux naturels en zones agricoles ou anthropisées. « C’est dans la bande tropicale que les émissions provenant du changement d’affectation des terres sont les plus importantes du fait de la déforestation alors que des puits nets réapparaissent dans des régions de reforestation ou d’afforestation (gain de la forêt sur des terres abandonnées par l’agriculture) comme une grande partie de l’Europe et la Chine », détaille Corinne le Quéré, chercheuse à l’université East Anglia (Royaume-Uni) et co-auteur du GCP.

Le Brésil, l’Indonésie et la République démocratique du Congo (RDC) représentent à eux trois 57% des émissions nettes liées à l’usage des terres. Des pays africains et asiatiques, qui étaient auparavant des pays capteurs de CO2, sont devenus émetteurs du fait de la dégradation de leurs forêts et de leur développement basé sur les énergies fossiles. A l’inverse, la Chine qui contribuait fortement à ce déséquilibre est aujourd’hui devenue le premier pays à contribuer à combler une partie des émissions nettes, et ce grâce à la plantation de milliards d’arbres au cours de ces trente dernières années. La bonne nouvelle, c’est que les émissions provenant de déforestations permanentes déclinent depuis 2015. La mauvaise, c’est qu’elles restent hautes avec en moyenne 3,9 milliards de tonnes relâchées par an depuis 2015 et représentent désormais un partage égal de responsabilité entre l’action humaine et les impacts du changement climatique sur les arbres.

De nombreuses études mettent en doute l’efficacité des crédits carbone

Belém est évidemment le lieu choisi par le Brésil pour parler forêt. Et donc crédit carbone. A Bakou (Azerbaïdjan), lors de la COP29 en 2024, les Etats ont adopté les mécanismes de fonctionnement du marché carbone prévu par l’article 6 de l’Accord de Paris. Sous le regard dubitatif, voire hostile, de la communauté scientifique. Le principe est simple: un mètre cube de bois stocke une tonne de CO2. Un émetteur cherchant à compenser les émissions de son activité peut ainsi acheter sur le marché des crédits d’une valeur d’une tonne chacun correspondant à la croissance d’arbres qui ont été plantés ou préservés. L’adoption de l’article 6 ainsi que les accords volontaires sur la décarbonation du transport aérien devraient doper les échanges.

Un premier article de la revue Science en 2023 démontrait cependant que sur 26 projets de certification carboné étudiés en Amérique latine et en Afrique équatoriale, un seul avait tenu ses promesses de stockage de carbone. Le principal auteur de l’étude est Thalès West, un ingénieur forestier brésilien qui dispose d’une vaste expérience dans les projets carbone en forêts tropicales à travers le monde. Par ailleurs docteur en économie des ressources et de l’alimentation de l’Université de Floride (Etats-Unis), Thalès West a enfoncé le clou dans une étude parue le 13 octobre 2025 dans Global Change Biology au titre évocateur: « Démystifier les récits idéalisés sur les crédits carbone issus de la conservation forestière volontaire ». « Ces crédits sont en effet émis à partir de la différence entre deux scénarios, l’un avec protection, l’autre sans, explique Philippe Delacote, chercheur Inrae à l’Université de Lorraine et co-auteur de l’article. C’est un pari sur l’évolution future d’une zone portant sur des dizaines d’années, c’est donc très hasardeux ».

L’Union européenne mise malgré tout sur les crédits carbone

Ce même mois d’octobre, deux autres publications scientifiques ont enfoncé le clou. Dans Science, une équipe de l’Université de Shenzen (Chine) affirme qu’elle a trouvé des gains partiaux de stockage de carbone chez les 53 projets qu’elle a étudiés « au milieu d’une surestimation persistante ». « Nous avons trouvé des bénéfices climatiques plus élevés que dans d’autres études précédentes, mais l’efficacité générale est basse: moins de 20% des projets ont rempli leurs objectifs », concluent les auteurs.

Dans Annual Review of Environment, Joseph Romm, chercheur à l’Université de Pennsylvanie (Etats-Unis) se demande, lui, si « la compensation carbone est réparable ». « La COP29 n’a pas résolu le problème de la qualité des crédits, créant le risque que ce marché soit inondé par des compensations surévaluées », affirme-t-il. Enfin, dans un commentaire publié dans Nature du 14 octobre 2025, Andrew McIntosh, chercheur à l’Université nationale australienne, affirme que « l’idée que les émissions puissent être compensées à travers des projets qui proclament pouvoir éviter les rejets ou stocker le carbone est irrémédiablement erronée ».

Ces avertissements n’ont pas été pris en compte par l’Union européenne. Le 4 novembre 2025, le conseil des ministres de l’Environnement des 27 Etats membres a en effet adopté un objectif de -90% des émissions de carbone en 2040, mais en l’assortissant d’un « élément de flexibilité » en cas d’affaiblissement du puits de carbone européen du fait des sécheresses et maladies récurrentes frappant les forêts de l’Union. 5% de l’objectif pourront ainsi être obtenus en finançant des crédits carbone à l’étranger. « Compte tenu du fait que c’est un mécanisme nouveau, la France a plaidé plutôt pour 1 % à partir de 2031 pour voir comment ça pourrait fonctionner et se mettre d’accord sur un certain nombre de critères qui nous permettraient en particulier de nous assurer de l’intégrité environnementale de ces crédits carbone », a affirmé Monique Barbut, ministre française de la Transition écologique à la sortie de la réunion des ministres. « Si c’est plus efficace, pourquoi pas, mais la réalité c’est qu’à l’heure actuelle les crédits carbone n’ont aucune crédibilité », assène Philippe Delacote.

Un fonds forestier spéculant sur les marchés internationaux

Le président de la République brésilienne, Lula, porte lui un autre projet: le Tropical Forest Forever Facility, ou « fonds permanent pour la forêt tropicale ». Ce TFFF consiste à utiliser des fonds fournis par des donateurs – pays industriels ou fondations philanthropiques par exemple – sur les marchés financiers pour utiliser les intérêts ainsi captés au profit de la préservation des forêts. « Des pays développés partenaires apporteraient des financements à long terme de 25 milliards de dollars, et porteraient entièrement le risque financier en cas de mauvaise performance des placements du fonds. Les 80% restants, soit 100 milliards, seraient constitués de prêts », résume Alain Karsenty, économiste au centre international de coopération en recherche agronomique (Cirad).

Les sommes ainsi débloquées serviraient à rémunérer les Etats s’engageant à ne pas toucher à leurs forêts à un tarif de 4 dollars par hectare. Pour attirer les investisseurs, le TFFF offrirait des retours annuels un peu supérieurs aux bonds à long terme du Trésor des Etats-Unis, soit plus de 5% d’intérêt. Ce qui oblige à aller chercher des placements à 8 ou 9%, qui sont très bien rémunérés parce qu’ils sont très risqués. Même si c’est la Banque Mondiale qui gérerait le TFFF, c’est ce risque qui fait tiquer nombre de donateurs potentiels. Jusqu’ici, 5 milliards de dollars seulement ont été promis.

Une évaluation par satellite de la croissance des arbres permettrait d’émettre des crédits sérieux

Mais un autre problème se pose: le choix de l’emplacement des 500 millions d’hectares qui pourraient ainsi être préservés. Dans bon nombre d’endroits du monde, les espaces forestiers peuvent potentiellement produire bien plus de 4 dollars par hectare si on les remplace par des cultures. Le TFFF devient ainsi inefficace devant la pression démographique et les besoins de développement. « Si ces 4 dollars servent à protéger des forêts peu accessibles et difficiles à exploiter, on aura loupé la cible, argue Alain Karsenty. Cette rémunération doit aller en priorité à des zones que l’on peut rejoindre par la route et qui sont convoitées par l’agriculture ». Par ailleurs, l’utilisation des fonds reste à la discrétion des Etats. Or l’argent devrait en priorité servir à proposer un développement respectueux de l’environnement aux populations locales. Dans sa dernière version, le TFFF doit obliger le pays à allouer un minimum de 20% des aides aux communautés locales et autochtones et à verser une partie des paiements aux gestionnaires des forêts. Tout un fonctionnement reste à inventer.

Tous ces débats et propositions démontrent que la préservation du puits de carbone terrestre reste un problème financier irrésolu. Dans une étude publiée dans la revue Nature Sustainability en juillet 2025, Philippe Delacote et Thales West proposent une méthode plus vertueuse mais moins attirante pour les organismes voulant pratiquer la compensation. Il s’agit de procéder par comparaison d’images satellites entre zones sous crédits carbone et un espace référence non protégé. « On peut ainsi évaluer au fil des années la croissance des arbres, ce qui permet de comptabiliser précisément le CO2 stocké », précise le chercheur français. Le problème, c’est que l’édition de crédits ne peut se faire qu’à terme, des années après qu’ils ont été payés. L’entreprise qui finance ne peut savoir à l’avance de combien de crédits elle va pouvoir disposer. « C’est tout le débat qui a lieu actuellement à Belém, reconnaît Philippe Delacote. Veut-on un marché du crédit carbone large mais peu vérifiable ou bien un marché plus resserré mais sérieux? ».

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