La solitude chez les personnes autistes : un fléau méconnu

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La solitude chez les personnes autistes : un fléau méconnu
La solitude chez les personnes autistes : un fléau méconnu

Africa-Press – Congo Brazzaville. Comment les personnes autistes ressentent-elles la solitude ? Pour le savoir, une étude publiée dans la revue Autism in Adulthood le 2 novembre 2023 a donné la parole une centaine de personnes autistes, d’âges et d’identité différentes. Lisa Quadt, neurologue cognitive britannique, Gemma Williams, linguiste britannique, et leur équipe se sont penchées sur la problématique de la solitude chez les autistes.

Les personnes autistes, victimes de stéréotypes

“Même si beaucoup d’études sont parues ces dix dernières années sur le lien entre solitude et problèmes de santé mentale, les autistes souffrent encore des stéréotypes comme ceux qui prétendent qu’ils sont désintéressés par les relations et ne désirent pas créer de profonds et solides liens sociaux”, écrivent-elles dans l’étude. Ces clichés mènent la vie dure à ces personnes, de la même manière que les perceptions sensorielles. Ces dernières sont très différentes d’une personne à l’autre, et généralement compliquent les rapports entre les autistes et les non-autistes.

C’est ce que les autrices nomment sensory issues (problèmes sensoriels). “Les autistes traitent généralement les stimuli sensoriels de manière différente des personnes neurotypiques, ce qui signifie qu’ils peuvent être hyper- ou hypo-sensibles à tous les sens. Pour de nombreux autistes, l’environnement bâti peut être très stimulant et fatiguant (trop bruyant, trop animé, trop fort, trop chaud/ trop froid, trop difficile à comprendre pour se diriger)”, nous explique Gemma Williams.

Qu’est-ce que l’autisme ?

“L’autisme est un type de neurodivergence – une manière différente d’être et de vivre le monde – qui comprend souvent des différences de communication et de traitement sensoriel”, nous explique Gemma Williams. “Selon moi, bien qu’ils aient légèrement évolué au fil du temps, les critères de diagnostic de l’autisme sont basés sur les observations initiales de jeunes garçons blancs dans les années 1940. Cela signifie que les préjugés liés à la manière dont les garçons et les filles ont été et sont socialisés, ainsi que les préjugés raciaux, façonnent le processus de diagnostic. De ce fait, de nombreuses personnes autistes n’ont pas été diagnostiquées : en particulier les personnes de sexe féminin à la naissance (je dis cela plutôt que “femmes” parce que nous avons également une représentation plus élevée de personnes autistes trans et non binaires), et les personnes autistes noires et métisses”, rajoute-t-elle.

La solitude éthique

De ce fait, les lieux de regroupement sociaux sont souvent évités par les personnes autistes, ce qui ne facilite pas les interactions sociales. Dans leur article, il est également question d’une notion de sociologie : la solitude éthique. “C’est un terme utilisé pour la première fois par Jill Stauffer (philosophe américaine, ndlr). Elle décrit le sentiment unique que peuvent éprouver les personnes qui ont été abandonnées par la société et dont les demandes d’aide ou de soutien n’ont pas été entendues. C’est le sentiment d’être jetable aux yeux de l’humanité. Jill Stauffer l’a davantage utilisé dans le contexte des prisonniers de guerre, mais nous avons estimé qu’il avait une résonance dans ce contexte pour les personnes autistes – lorsqu’elles sont aliénées par la société en raison de la négligence de leurs besoins”, explique la linguiste.

En somme, les clichés et les différences sensorielles, liés à un environnement peu souvent adapté au besoin des personnes autistes, alimentent la solitude éthique et la marginalité forcée.

“La solitude impacte quatre fois plus les personnes autistes que les neurotypiques”

L’équipe a donc décidé d’interroger, pour la première partie de l’étude, une cohorte de 109 autistes (sans retard mental, ni biais cognitif lié à des troubles psychiatriques ou psychologiques importants, n’ayant aucune lésion cérébrale ou dommage crânien) et 100 personnes dites neurotypiques (qui ne présentent aucun trouble comportemental).

Des tests avérés ont été utilisés, comme celui de la mesure de l’hypersensibilié sensorielle (Glasgow Sensory Questionnaire) ou encore celui mesurant l’impact de la solitude sur la santé mentale (UCLA LS) mais avec des questions plus adaptées pour les autistes. “Le problème des anciennes études, c’est le manque d’outils en adéquation avec la perception des autistes”, rapportent les autrices dans l’étude. Les statistiques démontrent que les autistes ressentaient avec plus d’intensité les effets physiques comme mentaux de la solitude. “La solitude impacte quatre fois plus les personnes autistes que les neurotypiques”, affirment les autrices. En revanche, quel que soit le groupe étudié, les différences sensorielles sont associées à la dépression ou l’anxiété.

Des témoignages levant le voile sur la perception de la solitude

La deuxième partie de l’étude est basée sur une conversation libre, non planifiée, de dix minutes, sur le thème de la solitude. Cette fois, trois hommes (Peter, Nigel et Marcus) et cinq femmes (Monique, Daphné, Miranda, Sarah, Molly), toutes et tous autistes, ont pu livré leur témoignage basé sur leurs propres expériences. Ici, c’est la linguistique qui est étudié dans le cadre d’un procédé appelé Talking Together (parler ensemble, ndlr) : les participants sont amenés à se réunir pour partager leurs vécus pour, dans un éventuel deuxième temps, répondre ensemble à une problématique et évoquer des solutions à l’échelle locale. Plusieurs thématiques ont permis de classer les témoignages : la première est le besoin de liens profonds.

Par exemple, Monique témoigne : “… parfois j’ai du mal, euh, à avoir une conversation ou à être comprise parce que je n’ai pas, mm, le même processus de pensée ? Ce qui rend les choses bizarres parfois et les gens se demandent “qu’est-ce que tu dis ?” ou “je ne comprends pas ce que tu veux dire” ou, vous savez, ce genre de choses et vous devez tout expliquer aux gens.” Ici, elle parle de sa difficulté à créer des liens profonds avec des gens, ce qui l’entraine à s’isoler.

Peter réagit à cela et évoque ce qui est appelé par la linguiste Gemma Winston la “double empathie” : une personne autiste à autant de mal à comprendre un neurotypique, qu’un neurotypique à du mal à comprendre un autiste. Cela est dû d’une part à une mauvaise interprétation des signes qui conduit souvent à un rejet des deux parties. Des études de 2012 ont montré qu’en réalité, les autistes avaient beaucoup moins de difficultés à créer des relations stables avec d’autres autistes qu’avec des neurotypiques. “Parce que j’ai l’impression, tu sais, disons que je suis dans un groupe de gens et qu’ils discutent tous… parce que je ne suis pas à leur niveau […] Je me sens seul même si je fais partie de ce groupe : je suis juste assis là”, décrit-il.

Dans un autre registre, certains racontent comment la solitude les a amenés à ressentir une profonde détresse : “… et quand vous appelez [une ligne d’assistance], personne ne répond jamais. Je veux dire, je pense que quelqu’un finira par y répondre, mais d’après mon expérience, personne n’y a jamais répondu. Je n’ai jamais vraiment parlé à quelqu’un à l’autre bout du fil à ce sujet, quel que soit le numéro… Vous savez, si les gens crient à l’aide à cause de ce qu’ils ressentent et qu’il n’y a aucune aide, alors bien sûr, ils se sentent seuls et finissent, euh, dans un sale état…”, raconte Peter. “L’expérience de Peter fait ici écho aux sentiments d’abandon par ceux qui sont en mesure d’aider, et à “une solitude plus profonde que le simple isolement” que Stauffer a qualifié de “solitude éthique”, complètent les autrices dans l’étude.

Ce décalage entre la souffrance de la solitude et le besoin impératif de se retrouver seul

La deuxième thématique abordée par les participants est ce décalage entre la souffrance de la solitude et le besoin impératif de se retrouver seul qui peut arriver à n’importe quel moment. Tous les participants sont unanimes dans leurs propos : ils aiment être seuls, avoir du temps pour eux. Ils se qualifient tous comme étant solitaires, ce qui est très différent d’une personne souffrant de solitude. “C’est ce besoin impératif d’être seul, pour pouvoir recharger les batteries qui donnent la substance aux clichés comme quoi les autistes ne veulent pas d’amis, ne souhaitent pas être entourés”, écrivent les autrices.

Tous les témoignages convergent également sur le fait que leurs problèmes sociaux, leurs difficultés à créer des liens solides est ce besoin d’être seul, qui peut se déclencher à n’importe quel moment. “Et euh, je pense que [ma solitude] est liée à mon trouble. C’est juste que je ne veux pas parler aux gens au travail, parfois c’est : non je ne veux pas te parler juste shhhhh […] Je veux dire, j’aime la paix et la tranquillité, mais je n’ai rien contre les gens”, ajoute Marcus.

En conclusion, la solitude touche les personnes neurotypiques au même titre que les personnes autistes, mais pas de la même manière. Les autistes développent une anxiété accrue à cause de la différence sensorielle ressentie. Un environnement social complexe, comme des rencontres en groupes, des lieux publics, etc., sont très éprouvants et sont responsables de beaucoup de crises et d’effondrement chez les personnes autistes. Ces dernières évitent donc plus facilement ce genre d’endroit et cet isolement amène au sentiment de détresse et de solitude profonde. “Avec les considérations sur la solitude éthique et le contexte social et sociétal plus large, nos résultats soulignent le besoin d’environnements sensoriels accueillants et inclusifs pour aider à minimiser la déconnexion que connaissent tant d’adultes autistes”, concluent les autrices.

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