Africa-Press – Congo Brazzaville. Les implants et autres prothèses dentaires vont bientôt devenir obsolètes ! C’est en tout cas ce qu’affirment des chercheurs de l’hôpital Kitano à Osaka (Japon). Ils pensent en effet avoir trouvé le moyen de faire repousser des dents chez l’humain. Et pour le prouver, ils lancent cet automne un premier essai clinique. Leur stratégie ? Désactiver un gène qui normalement bloque cette repousse naturelle. Pour y parvenir, ils ont développé une molécule dans le cadre de leur start-up, Toregem Biopharma.
“Le rêve ultime des chirurgiens-dentistes”
Voilà en fait plus de vingt ans que l’équipe de Katsu Takahashi travaille sur le sujet complexe de la régénération dentaire. “Faire pousser de nouvelles dents, c’est un peu le rêve ultime des chirurgiens-dentistes “, résume Sophie Jung, professeure en biologie orale à la faculté de chirurgie dentaire de l’Université de Strasbourg et praticienne hospitalière au CRMR O-Rares, le Centre national de référence des maladies rares orales et dentaires. Il s’agit aussi d’un vrai graal pour les chercheurs, confrontés à l’immense complexité des plus de 900 maladies génétiques qui s’expriment au niveau de la bouche.
C’est le cas de l’agénésie dentaire (absence d’une dent, qui touche 1 % de la population mondiale), de l’hypodontie (absence d’une à cinq dents) ou de l’oligodontie (absence de plus de six dents). Autant de maladies qui peuvent s’avérer handicapantes tant pour s’alimenter, parler distinctement que pour conserver une bonne estime de soi. Souvent découverte lors d’un retard d’éruption dentaire, l’agénésie réclame une prise en charge adaptée au long cours, et ce parfois dès l’enfance, avec la nécessité de réaliser des prothèses qui devront être adaptées tout au long de la vie.
L’agénésie dentaire expliquée aux parents et aux enfants
Aider les parents et leurs enfants atteints d’agénésies dentaires multiples et d’autres pathologies dentaires rares à comprendre leur maladie et la chronologie de leurs traitements pour mieux gérer le quotidien. Tel est l’objectif d’un programme d’Éducation thérapeutique du patient (ETP) coordonné par Sophie Jung au Centre de référence des maladies rares à Strasbourg. Il consiste à organiser des ateliers animés par des dentistes, des médecins généticiens, une orthodontiste, une psychologue et une diététicienne, pour une approche personnalisée auprès d’environ cinq enfants accompagnés de leurs parents. “Les programmes de soins (prothèses, implants) sont souvent complexes, très onéreux et mal remboursés “, signale Sophie Jung. L’équipe est aussi en train de développer une application, Drôles de dents, qui proposera des jeux et des animations aux enfants de 6 à 12 ans. Elle sera bientôt disponible gratuitement sur Android et iOS.
Se passer de ces soins constituerait donc une avancée majeure appréciée de tous, et tel est le premier objectif visé par les chercheurs japonais. C’est en 2021 que leur espoir d’une alternative biologique aux implants a pris forme, avec un article paru dans la revue Nature et l’identification du gène USAG-1 (Uterine sensitization-associated gene-1), dont la fonction est de contrôler le nombre de dents en inhibant le développement des germes dentaires. En poursuivant leurs travaux, ils ont développé un anticorps capable de bloquer ce gène.
Au cours des premiers essais menés chez la souris puis le furet, ils ont constaté l’apparition de nouvelles dents dans la bouche des rongeurs. Un résultat autorisant le lancement de l’essai clinique qui va débuter chez une trentaine d’adultes volontaires âgés de 30 à 64 ans à qui il manque une molaire – un choix fait pour ne pas déséquilibrer la dentition préexistante avec l’arrivée potentielle de la “néodent” espérée à la suite de l’injection intraveineuse de l’anticorps. Les personnes seront ensuite suivies durant un an pour observer l’évolution de la repousse. Mais dans un premier temps, c’est surtout l’absence de toxicité qui va être testée, car le moment de l’administration semble bien tardif…
Si les résultats sont concluants, Toregem Biopharma envisage de poursuivre les tests sur des enfants atteints d’agénésie dentaire, et espère commercialiser son médicament d’ici à 2030. Les enjeux de ces recherches sont importants car, à terme, l’adieu aux implants ne concernerait pas seulement les agénésiques, mais aussi tous ceux à qui il manque une ou plusieurs dents en raison de traumatismes, de caries, de maladies…
Chez “Homo sapiens”, les dents ne poussent que deux fois
Pour mémoire, les humains possèdent normalement 32 dents. Apparaissent d’abord 20 dents temporaires – les dents de lait -, toutes en place avant l’âge de 3 ans, qui ensuite tombent pour permettre aux dents définitives, dites aussi permanentes, de sortir entre l’âge de 5 et 12 ans environ. Mais contrairement aux alligators, poissons ou reptiles chez qui les mécanismes de repousse peuvent se renouveler plusieurs fois dans l’existence, les dents ne poussent que deux fois au cours d’une vie d’Homo sapiens.
Et parfois, les dents sont manquantes comme dans l’agénésie. “La dent n’est pas un os comme les autres. Quand elle manque, ce n’est pas par hasard “, explique Agnès Bloch-Zupan, professeure de biologie orale à la faculté de chirurgie dentaire de l’Université de Strasbourg et praticienne hospitalière, responsable du CRMR O-Rares. Car l’odontogenèse ou développement dentaire – c’est-à-dire l’ensemble du processus physique par lequel les dents se développent et apparaissent dans la bouche, dès la vie utérine et jusqu’à 25 ans environ chez l’humain -, est sous l’influence de différentes voies biologiques de signalisation (SHH, BMP, WNT, NF-kB…). Elles-mêmes sont contrôlées par l’expression de différents gènes selon des mécanismes qui n’ont pas encore été tous décryptés. “Or, toutes ces voies interagissent de manière fine et complexe. Quand des perturbations surviennent, il en résulte alors des anomalies, la dent étant un marqueur d’anomalies génétiques du développement “, détaille la spécialiste.
La protéine manquante injectée dans le liquide amniotique
C’est donc à une très grande complexité que sont confrontés les chercheurs pour parvenir à stimuler la repousse dentaire. Ici, les scientifiques japonais se sont uniquement intéressés à la voie dite BMP, mais il en existe de nombreuses autres. Comme celle dite NF-kB (nuclear factor-kappa B), qui est au cœur d’une maladie génétique rare, la dysplasie ectodermique hypohidrotique liée à l’X (XLHED). Elle touche sept naissances sur 10.000, soit 2000 cas en France, selon l’Association française des dysplasies ectodermiques, et il n’existe aucun traitement à ce jour.
Transmise par des modifications d’un gène (EDA1) situé sur le chromosome X et touchant donc surtout les garçons, elle se traduit par des altérations du développement des dents, mais aussi de la bouche, des cheveux et des glandes sudoripares. Autant d’anomalies dues à l’absence de la protéine EDA, qui joue un rôle important dans le développement de ces structures chez le fœtus. Depuis 2022, l’XLHED bénéficie d’un essai clinique mondial (Edelife) en cours dans six pays, dont la France. Coordonné par le professeur Holm Schneider, de l’hôpital universitaire d’Erlangen (Allemagne), il consiste à injecter la protéine manquante EDA directement dans le liquide amniotique, à trois reprises entre la 26e et la 32e semaine de grossesse. En effet, à ce stade, les bébés avalent régulièrement du liquide amniotique et peuvent ainsi être traités.
“Neuf femmes ont déjà reçu le protocole et une vingtaine d’autres seront incluses d’ici à la fin de l’essai en 2029, commente Holm Schneider. Les radiologies dentaires pratiquées chez les premiers enfants traités in utero montrent déjà plus de bourgeons dentaires que chez leur fratrie, née antérieurement et atteinte d’XLHED “. Un espoir pour les familles et les chercheurs, même si, prévient Agnès Bloch-Zupan, “le développement dentaire est encore loin d’avoir révélé tous ses mystères “.
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