Africa-Press – Congo Kinshasa. Dans le club restreint des hommes qui ont été élevés au rang de héros national, un seul fait l’unanimité (ou presque) : Patrice Lumumba. En reconnaissance des bons et loyaux services rendus à la nation, le statut de héros national peut être accordé à un Congolais ou à un étranger. Dans ce cercle restreint, qui compte plusieurs grades, dont celui de grand cordon Kabila-Lumumba, instauré en 2002, Patrice Lumumba est le seul héros à faire (presque) l’unanimité. Le tout premier Premier ministre du Congo indépendant reste, dans la mémoire collective, le dirigeant qui a condamné les violences physiques et morales de la colonisation, lors du discours qu’il a prononcé le 30 juin 1960, jour de l’indépendance, en présence du roi des Belges, Baudouin Ier, après l’allocution du président Joseph Kasa-Vubu.
Lumumba, cette grande figure historique, dont l’aura rayonne au-delà des frontières nationales, symbolise une forme de résistance à l’ordre colonial. Tribun hors pair, assassiné en janvier 1961, à l’âge de 35 ans, près d’Élisabethville (Lubumbashi), il n’est resté aux affaires qu’un peu plus de deux mois.
C’est sous la présidence de Mobutu Sese Seko que ce Premier ministre éphémère a été proclamé héros national, à titre posthume. Le maréchal avait sûrement mauvaise conscience après avoir joué un rôle, direct ou indirect, dans la mise à mort de celui qui avait fait de lui le chef d’état-major des forces armées congolaises après une série de mutineries suscitées par la Belgique, qui soufflait discrètement sur les braises depuis l’accession du pays à l’indépendance.
Décédé en janvier 2001 dans des circonstances non élucidées, Laurent-Désiré Kabila est lui aussi un héros national. Mais l’ex-chef rebelle, qui, à la tête d’un mouvement hétéroclite épaulé par des armées étrangères, avait renversé Mobutu quatre ans plus tôt, est loin de faire l’unanimité.
LDK – ou le mzee, comme on l’appelle communément – repose dans un mausolée érigé devant le Palais de la nation, le siège de la présidence, à Kinshasa. Les chercheurs et les Congolais en général sont divisés sur la place à accorder à celui qui est perçu, dans l’histoire récente, comme « l’homme des Rwandais » par les uns et « le libérateur » par les autres.
Premier président de la RD Congo indépendante, Joseph Kasa-Vubu a été également élevé au rang de héros national… cinquante et un ans après sa mort (en 1969). Lui aussi est une figure contestée. S’il est reconnu pour son intégrité, il reste aux yeux de nombreux Congolais un dirigeant faible, manipulé par la Belgique – qui avait accordé au Congo son indépendance sans en être vraiment partie. Sa présence dans la chaîne de complicités qui a conduit à l’élimination physique de Patrice Lumumba – avec lequel il entretenait des rapports orageux –, et dont les ramifications couraient jusque dans les capitales occidentales, est établie.
La dépouille d’Étienne Tshisekedi au stade des martyrs, le 31 mai 2019. © Présidence RDC Quant à Étienne Tshisekedi, qui incarna l’opposition pendant des décennies, il a été admis, le 1er juin 2019, par ordonnance présidentielle, dans l’ordre des héros nationaux, au rang de grand cordon Kabila-Lumumba, le grade plus élevé. Les uns ont applaudi cette distinction à titre posthume, d’autres l’ont critiquée, au motif que, dans les années 1960, Tshisekedi avait contribué au renforcement du pouvoir autoritaire de Mobutu, avant de s’en éloigner. Ainsi vont les honneurs au pays de Lumumba, où être déclaré héros national est une chose, et faire l’unanimité en est une autre.