Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Congo Kinshasa. En raison de l’augmentation des revendications qui font de plus en plus de « bruits » en République Démocratique du Congo, à propos de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC, ladite mission a procédé à la remise de sa première base militaire dans la localité de « Kamanyola », un groupement de la chefferie de Ngweshe situé dans le territoire de Walungu, province du Sud-Kivu, mettant ainsi fin pour la première fois à la mission des forces de maintien de la paix du bataillon en place.
La MONUSCO a commencé également à transférer progressivement sa responsabilité aux unités d’intervention de l’armée congolaise au Sud-Kivu, annonçant de facto qu’elle a mis fin le 1er mai 2024 à ses opérations dans cette province, en ayant prévu de la quitter complètement après avoir remis ses 14 bases aux forces de sécurité congolaises, et en programmant de mettre en œuvre les deuxième et troisième phases de retrait du « Nord-Kivu » comme de « l’Ituri » également, afin qu’elle puisse quitter définitivement la République démocratique du Congo, au plus tard la fin de 2024.
A noter que le retrait de la MONUSCO de la province du Sud-Kivu n’est pas synonyme du départ des Nations Unies de la RDC. C’est une reconfiguration de la présence des Nations Unies, en soutien au peuple et au gouvernement de la RDC.
Après le départ de cette mission, les agences, fonds et programmes des Nations Unies, continueront à fournir un soutien en relation avec leurs mandats respectifs.
Il importe d’ailleurs de rappeler que les missions de maintien de la paix et de stabilisation de l’ONU connaissent un déclin de leur valeur sécuritaire et politique, ainsi qu’un déclin de leur contribution à l’établissement de la paix sur le continent africain.
Ceci est confirmé par: les retraits successifs des missions de maintien de la paix au Mali et au Soudan, d’une part, ainsi que des appels et des demandes de retrait de certains pays africains, d’autre part.
• Un environnement jugé déjà défavorable
Bataillon pakistanais de la Monusco
Évidemment, et à première vue, les revendications et les tendances congolaises réclamant le retrait de la mission de l’ONU, qui coïncident avec l’escalade d’une guerre intestine dans l’est du Congo, suscitent l’étonnement dans les milieux politiques et sécuritaires, car l’intensité des conflits sur son sol nécessite la survie et la poursuite de la mission.
Toutefois, les exigences congolaises appelant au retrait considèrent que le Congo n’a pas besoin des efforts de cette mission, ce qui a incité le Conseil de sécurité à élaborer une stratégie de retrait par étape et progressif conformément à sa résolution n° 2409, approuvée par le gouvernement Congolais et la mission en novembre 2023, et qui ont conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à renouveler dans sa résolution n° 2717 le « mandat » de la mission, pour une année seulement, en mettant l’accent sur son retrait progressif, responsable et durable d’ici fin 2024.
• Un désengagement irréversible
On peut dire que la décision onusienne relative à la mission MONUSCO n’était pas surprenante, dans la mesure où elle constituait une réponse aux demandes et aux efforts des Congolais, à condition que ses premières étapes débutent au Sud-Kivu et se concrétiseront par le retrait des éléments de police et de sécurité (au plu tard le 30 avril 2024), l’évacuation des 14 bases (à partir du mois de mai 2024), et le départ des éléments civils restants de la mission (d’ici le 30 juin de cette année), en vue de passer aux étapes successives liées au retrait des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu.
• Des considérations déterminantes
Il importe de mettre en évidence que quiconque suit le dossier se rend compte que la logique du retrait progressif de la mission n’est pas très différente des cas de retrait de ses homologues du Mali, amorcé en juin 2023, ou de ses homologues du Soudan, qui ont achevé leur retrait le 29 février 2024. Les considérations régissant le retrait et ses motivations sécuritaires, militaires et politiques étaient similaires, et dans le contexte du Congo démocratique, nous pouvons énumérer les considérations en faveur du retrait comme suit:
1 -/- Manque de soutien officiel, comme ses homologues des missions des Nations Unies retirées ou en cours de retrait.
Faute de soutien officiel, comme ses homologues des missions des Nations Unies qui se sont retirées ou sont en cours, le retrait de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo est intervenu à la suite de la baisse des indicateurs de soutien public et l’accueil favorable du gouvernement congolais, et l’érosion de la confiance du gouvernement congolais dans la faisabilité de la mission des Nations Unies dans l’établissement de tout aspect de la paix et de la stabilité, contrairement à ses attentes au moment de la création de la mission en 1999, ou à son accueil favorable d’élargir sa portée en 2010, car les regards officiels ont commencé à considérer son retrait comme une condition nécessaire pour parvenir et établir la paix. Ce point de vue était évident dans le discours du président congolais devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 21 septembre 2023, et a été réitéré par son ministre des Affaires étrangères en janvier 2024.
2 -/- Mécontentement populaire
Les vagues croissantes de colère et de mécontentement de la part des milieux non officiels ont constitué l’une des considérations qui ont incité au retrait de la mission de l’ONU de la République Démocratique du Congo. Les revendications populaires, partisanes et civiles, les appels et les protestations se sont intensifiés au point qu’ils sont considérés comme l’une des causes de la violence, de l’insécurité et des atteintes à la paix dans l’Est du Congo, et qu’ils constituent plutôt un mécanisme inefficace de protection des civils.
Au contraire, cela représente une pression supplémentaire, augmentant les souffrances des civils et leurs victimes de multiples crimes commis par ses membres et ses individus.
Le 4 février 2024, les organisations de la société civile présentes au Sud-Kivu ont exprimé leur volonté de désengager la région de la mission et ont exprimé leur scepticisme quant à la possibilité que la mission obtienne des résultats positifs.
Le 10 février, le comportement des manifestants qui ont brûlé des véhicules appartenant à la mission a révélé un ressentiment croissant à l’égard de la mission et de son incapacité à remplir son véritable rôle.
3 -/- Un manque de performance aidant
La Cheffe de la Monusco Binto Keita (Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC)
Il est important de noter entre-autres que l’attention du gouvernement congolais envers la mission a changé, après avoir été affectée par le déclin du rôle des missions des Nations Unies en Afrique et la vague croissante de scepticisme à son égard, au point que le gouvernement congolais a accru sa pression pour le retrait de la mission, la considérant comme inefficace, et qu’elle n’a plus enregistré de succès sécuritaires et militaires notables similaires à ceux enregistrés en 2013 concernant la limitation de l’influence du Mouvement du 23 Mars, la forçant à signer un accord de paix et de son démantèlement.
Par ailleurs, son aide au gouvernement congolais n’a pas empêché le mouvement de s’étendre à nouveau fin 2021, et cela apparaît clairement dans les efforts limités de la mission onusienne pour calmer la situation sécuritaire volatile jusqu’en février 2024, car ils n’ont pas été réalisés dans le cadre de l’opération « SPRING BOK » qui est en place au Nord-Kivu depuis fin octobre 2023 et qui n’a concrétisé aucun succès jusqu’à présent.
Le Mouvement du 23 mars continue de progresser dans ses affrontements avec l’armée congolaise, à l’instar des affrontements qui se déroulent dans le village de Ndomba, sur la route entre Sake et Minova. Le Mouvement du 23 mars détient toujours le contrôle suprême de la ville de Bunagana au Nord-Kivu depuis plus de 600 jours depuis sa chute en juin 2022.
3 -/- Un appui sur les puissances régionales et les mercenaires
Parallèlement à l’escalade de la violence dans l’est du Congo et à l’augmentation des opérations des milices armées, le gouvernement congolais a changé d’avis sur la valeur de la mission sécuritaire et militaire de l’ONU (MONUSCO) et a eu recours à une grande confiance sur de nouvelles approches de sécurité en faisant appel à des mercenaires européens ou en élargissant ses partenariats avec des blocs régionaux, ainsi que sa création de forces régionales conjointes et son approbation de la création de la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est avant de la remplacer par son homologue d’Afrique australe la « SAMIDRC », sur laquelle le gouvernement congolais fonde ses espoirs de progrès sécuritaires et militaires dans la lutte contre les rebelles et les groupes armés, ce qui constitue ainsi une raison supplémentaire et une incitation supplémentaire au retrait de la mission.
• Vide sécuritaire inquiétant
En revenant à fond sur cette situation, il nous a semblé que la République démocratique du Congo se prépare à entrer dans une période critique, marquée par un vide sécuritaire et des troubles, qui pourraient résulter du désengagement de la mission « MONUSCO » et de son retrait pour la première fois depuis sa création. L’expérience historique et les expériences antérieures du retrait de la mission des Nations Unies des pays du continent africain ont laissé apparaître des répercussions possibles et des effets immédiats et cumulatifs qui peuvent être estimés sur un certain nombre de points, tel que nous le décrivons ci-dessous:
(A) – Une suspension des services de la mission onusienne
Ceux qui examinent les efforts de la mission onusienne et ses déplacements à l’intérieur du territoire congolais constatent un soutien de la mission onusienne au bénéfice du gouvernement congolais, notamment aux niveaux logistique, technique, tactique et sécuritaire, dans sa guerre dans l’Est congolais, et se rend compte que son retrait signifie la suspension de cette aide et de ces mouvements. Sa brigade militaire a cessé de soutenir l’armée congolaise dans ses opérations militaires, et le gouvernement congolais a été suspendu quant à lui du bénéfice des services de la surveillance des mines, qui l’accompagne dans la mise en œuvre des plans de désarmement et de démobilisation des groupes armés, ce qui affaiblirait à un degré ou à un autre les capacités militaires congolaises à mener à bien leurs différentes tâches.
(B) – Une expansion géographique et qualitative des milices
L’expérience sécuritaire et militaire dans l’Est congolais confirme l’hypothèse selon laquelle le retrait de la mission onusienne et le démantèlement des effectifs de sa force onusienne, estimés à environ 15 000 soldats et leur retrait, laissera sans aucun doute un vide sécuritaire devant les milices armées, et enregistrera un déclin de l’équilibre de la supériorité et de la domination militaire en leur faveur, ce qui les incitera à agir pour combler le vide et contrôler de nouvelles terres sur lesquelles s’établir, notamment par le Mouvement du 23 Mars, soutenu par le gouvernement rwandais et proche des premières bases que la mission a remises à l’armée congolaise. Après que le personnel de l’ONU ait quitté la ville de Mushaki, au nord-ouest de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, les forces du 23 mars ont affronté les forces armées congolaises pour tenter d’y occuper des sites militaires.
(C) – Une aggravation de la situation humanitaire
Compte tenu de ce que montrent les statistiques congolaises concernant le meurtre de 9 civils chaque jour aux mains des groupes armés, et des tendances croissantes des déplacements et des déplacements forcés estimés à environ 5,9 millions de personnes déplacées, il est clairement évident que le retrait de la mission de l’ONU et le transfert ultérieur de la responsabilité de la protection des civils et d’autres tâches aux autorités de sécurité congolaises, sans que cela soit suivi d’un renforcement et d’une modernisation des capacités militaires et de sécurité pour combler le vide sécuritaire et combler ses lacunes, cela pourrait exposer des vies civiles à des risques de prise pour cible et d’affrontements armés et laisser présager une terrible réalité humanitaire.
(D) – Une expansion de l’organisation terroriste « ISIS »
La décision de retrait laisse présager des menaces sécuritaires, notamment de la part de l’organisation des Forces démocratiques alliées, qui a prêté allégeance à l’organisation Daech depuis 2019 sous le nom de « Province d’Afrique centrale ». Au milieu de tout cela, on peut s’attendre à des mouvements massifs des Forces démocratiques alliées vers les bases que la mission pourrait quitter pour les occuper et en tirer profit afin d’intensifier ses opérations militaires offensives dans sa guerre contre les gouvernements congolais et ougandais ou ses affrontements avec d’autres milices armées.
(E) – Enfin, l’encouragement d’autres retraits
Le retrait de la mission des Nations Unies du Congo stimulerait certainement les demandes d’autres pays africains demandant le retrait des missions de l’ONU de leur pays, et mettre fin à ses opérations sans aucune considération des répercussions sécuritaires qui pourraient en résulter, et qui pourraient affecter, à un degré ou à un autre, la performance de l’ONU dans son rôle et sa contribution au maintien de la paix mondiale, en particulier les opérations liées:
• au désarmement,
• à la démobilisation et à la réintégration des combattants,
• au déminage,
• au rétablissement de l’État de droit,
• et au renforcement des capacités institutionnelles, juridiques et administratives nécessaires à l’établissement et au maintien de la paix mondiale.
Le mot de la fin
Alors que la MONUSCO a cessé de protéger les civils au Sud-Kivu, c’est désormais le gouvernement qui porte l’entière responsabilité de leur sécurité car, dans le cadre du désengagement de la MONUSCO, il s’est engagé à opérer une montée en puissance de ses forces de défense et de sécurité dans la province.
Toujours dans le contexte du désengagement de ladite mission onusienne, de son côté, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), a conçu un projet dénommé « Protection et engagement des civils non armés (Pecina) », lequel repose sur l’implication de la communauté.
Cette initiative va s’appuyer sur les expériences acquises durant les deux décennies de présence de la MONUSCO en maintenant les mécanismes communautaires de gestion de conflits existants tels que:
• les comités locaux de paix et de sécurité,
• et les comités de gestion de conflits coutumiers.
Pour rappel, dans le cadre de son désengagement, la MONUSCO a transféré deux bases militaires aux autorités nationales et, sur les sept autres bases militaires restantes, cinq (Mikenge, Minembwe, Rutemba, Uvira et Kavumu) seront transférées aux FARDC avant la fin juin 2024 tandis que deux (Baraka et Sange) ont été déjà fermées en mai. En plus, 15 installations seront également transférées ou fermées d’ici le 30 juin.
En plus, malgré un glissement dans le chronogramme de fermeture et transfert des bases, tout le personnel en uniforme sera rapatrié d’ici le 30 juin 2024 et ne restera qu’une équipe résiduelle de personnels civils chargée de travailler sur la transition.
Toutefois, il faut toujours se mettre en tête que les menaces planent dans les aires et que « les tensions entre la RDC et le Rwanda restent quand même très vives et le risque d’une escalade militaire entre les deux pays demeure d’actualités ».
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