Africa-Press – Congo Kinshasa. L’économie de la République Démocratique du Congo (RDC) se trouve à la croisée des chemins. Après des décennies de conflits et de sous-investissement, le pays doit se reconstruire dans tous les secteurs, qu’il s’agisse des infrastructures physiques (routes, énergie, etc.) ou des institutions et politiques économiques (“infrastructures” soft). Or, le système financier congolais demeure l’un des plus faibles au monde: à peine 6 % de la population dispose d’un compte en banque, contre environ 15 % en moyenne en Afrique. Cette faible bancarisation, combinée à une large utilisation informelle du dollar américain, illustre l’inadéquation du secteur financier actuel face aux énormes besoins de développement du pays.
C’est dans ce contexte que le 23 juillet 2025, le Président Félix Tshisekedi a nommé André Wameso au poste de gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), en remplacement de Mme Kabedi. Proche collaborateur du Chef de l’État et fort d’une expérience à la fois dans la haute administration et le secteur bancaire, Wameso arrive à la tête de la BCC avec la promesse d’un nouveau souffle.
Sa nomination intervient alors que la RDC vient de conclure un programme avec le Fonds Monétaire International (FMI) et a réussi à stabiliser son taux de change et à faire refluer l’inflation vers un niveau inférieur à 10 %. Cette stabilisation a toutefois eu pour contrepartie un resserrement monétaire drastique (taux directeur à 25 % fin 2024) et n’a pas encore permis de relancer pleinement le crédit ni l’investissement productif. La question se pose donc: avec l’arrivée d’André Wameso, n’est-il pas temps de repenser le rôle et les priorités de la Banque centrale du Congo pour accompagner la reconstruction économique de la RDC?
Le rôle actuel de la BCC: stabilité monétaire avant tout
Conformément à la Constitution et à sa loi organique, la BCC a pour objectif principal d’assurer la stabilité du niveau général des prix via la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire. Elle est indépendante dans la poursuite de ce but, et soutient les politiques économiques du gouvernement uniquement dans la mesure où cela ne compromet pas la maîtrise de l’inflation.
En pratique, la BCC remplit l’ensemble des missions classiques d’une banque centrale, notamment: veiller à la stabilité interne et externe de la monnaie nationale (le franc congolais), détenir et gérer les réserves de change du pays, émettre les billets et pièces ayant cours légal, promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement, ainsi que réglementer et superviser les banques, institutions de microfinance et autres intermédiaires financiers. Elle édicte également la réglementation des changes (opérations en devises) et œuvre au développement des marchés monétaires et des capitaux congolais. En d’autres termes, la BCC est le garant de la stabilité monétaire et financière de la RDC, jouant un rôle central dans la gestion macroéconomique (lutte contre l’inflation, taux de change) et la confiance dans le système bancaire.
Cependant, cette définition traditionnelle du rôle de la Banque centrale – centrée sur la stabilité monétaire et financière – montre ses limites face aux défis actuels du pays. La RDC a besoin d’une banque centrale non seulement gardienne de la valeur de la monnaie, mais aussi actrice de la transformation économique. La gouverneure précédente, Mme Kabedi, avait réussi à maintenir une relative stabilité sans pour autant imprimer de vision de long terme pour l’économie congolaise – son passage à la tête de la BCC a été jugé plutôt effacé par certains observateurs. Dès lors, l’arrivée d’André Wameso, avec son profil de technocrate et de politique, suscite l’espoir d’une réorientation stratégique. Quels changements pourrait-il impulser pour faire de la BCC un moteur du développement national?
Vers une nouvelle vision pour la BCC: les axes de réforme possibles
Grâce aux efforts récents, l’inflation est en net recul (tombée sous 9 % en 2025) et le franc congolais s’est stabilisé autour de 2 860 CDF pour 1 USD. Cette accalmie offre une marge de manœuvre pour repenser le rôle de la BCC au-delà de la seule lutte anti-inflationniste. Plusieurs chantiers stratégiques peuvent être envisagés pour transformer l’institution, afin qu’elle accompagne plus efficacement la reconstruction économique de la RDC:
Renforcer la gouvernance et l’indépendance de la Banque centrale: La crédibilité de la BCC dépend de son autonomie vis-à-vis du pouvoir politique et de la qualité de sa gouvernance interne. Or, la nomination d’André Wameso – un proche conseiller du Président – a soulevé des interrogations sur l’indépendance future de l’institution. Il appartiendra au nouveau gouverneur de conjuguer loyauté politique et rigueur technique pour préserver la confiance. Concrètement, cela signifie adopter une gestion transparente, s’appuyer sur des critères scientifiques dans les décisions et résister aux pressions pouvant aller à l’encontre du mandat de stabilité. Des réformes de gouvernance, entamées ces dernières années (loi bancaire de 2023 renforçant la supervision et les contrôles internes des banques, exigence de publication des indicateurs de risques, etc.), devront continuer sous son leadership. L’objectif est de garantir que la BCC reste une institution crédible et professionnelle, capable d’inspirer confiance aux investisseurs et à la population.
Adapter la politique monétaire aux besoins de l’économie réelle: La BCC doit trouver un meilleur équilibre entre la stabilité des prix et le soutien à la croissance. Après avoir contenu une inflation autrefois galopante (grâce à un taux directeur porté à 25 %), elle peut désormais envisager un assouplissement monétaire prudent pour relancer le crédit sans compromettre la valeur du franc congolais. Les analystes s’attendent d’ailleurs à une baisse du taux directeur lors du prochain Comité de politique monétaire, si la tendance désinflationniste se confirme. Le défi sera de stimuler le financement des entreprises et des ménages (via des prêts bancaires plus abondants et moins coûteux) tout en évitant une surchauffe ou une nouvelle dépréciation de la monnaie. Par ailleurs, la dollarisation de l’économie congolaise constitue un obstacle majeur à l’efficacité de la politique monétaire actuelle. Plus de 80 % du bilan des banques en RDC est libellé en dollars américains, et environ 85 % des dépôts des clients bancaires sont en devise US – un signe que le public fait davantage confiance au dollar qu’au franc congolais pour stocker sa valeur. Il est donc impératif d’engager une dédollarisation progressive de l’économie. Cela pourrait commencer par décourager l’usage du dollar dans les transactions du secteur public et les paiements locaux, tout en offrant des incitations à utiliser le franc. Faute de quoi, certains experts suggèrent d’envisager un arrimage temporaire du franc congolais au dollar (régime de change fixe) afin de stabiliser les anticipations et de restaurer la confiance dans la monnaie nationale. Bien que politiquement et techniquement délicate, une telle mesure transitoire pourrait permettre au franc de retrouver sa crédibilité – car une monnaie ne vaut que par la confiance que lui accorde la population et sa capacité à irriguer l’économie réelle.
Accélérer la digitalisation et l’inclusion financière: Moderniser le système financier congolais via le numérique est un impératif pour toucher une population majoritairement non bancarisée. Il y a dix ans, la BCC avait lancé en fanfare le projet « Mosolo » – une monnaie électronique adossée à un switch monétique national – censé amorcer l’ère de l’économie numérique au Congo. Cette initiative prometteuse, portée à l’époque par le gouverneur Déogratias Mutombo, visait à briser la dépendance au cash et à favoriser l’inclusion financière. Hélas, une décennie plus tard, le bilan est très mitigé: le Mosolo s’est réduit à un dispositif technique de modernisation de façade, sans impact significatif sur l’autonomie financière du pays ni sur la vie quotidienne des Congolais. Cette « révolution monétaire » manquée souligne la nécessité de redoubler d’efforts pour véritablement digitaliser l’écosystème financier. Des signaux récents montrent toutefois un changement de rythme. La Banque centrale a, par exemple, autorisé et encouragé les transferts d’argent entre comptes bancaires et portefeuilles mobiles – une avancée majeure dans un pays où l’infrastructure bancaire classique est très limitée. Grâce à cette interconnexion, un usager peut désormais envoyer des fonds de son compte en banque vers un mobile money (et vice-versa) de façon rapide et sécurisée, ce qui facilite l’accès aux services financiers pour des millions de personnes qui n’ont pas de compte bancaire formel. Cette mesure s’inscrit dans un mouvement mondial de digitalisation accéléré par la pandémie de Covid-19, et pourrait intégrer beaucoup plus de citoyens dans le circuit économique formel tout en réduisant les risques liés au tout-espèces. En parallèle, le gouvernement congolais, avec l’appui de partenaires internationaux, déploie le projet TRANSFORME pour moderniser le secteur de la microfinance. En février 2025, un contrat a été signé afin de doter les coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC) et institutions de microfinance de 10 000 terminaux de paiement électroniques (TPE) connectés au réseau de la BCC. L’objectif est d’intégrer ces institutions locales au système de paiement national (switch), de réduire la prédominance du cash dans les zones rurales, et de renforcer la traçabilité des transactions pour mieux lutter contre le blanchiment et la fraude. La digitalisation offre ainsi une opportunité unique d’étendre l’inclusion financière. Selon la Stratégie nationale d’inclusion financière 2023-2028, seulement 38,5 % des adultes congolais utilisaient en 2022 un service financier formel (compte bancaire, mobile money ou microfinance). Le gouvernement vise un taux d’inclusion de 65 % d’ici 2028. Pour y parvenir, il faudra capitaliser sur le formidable potentiel technologique: le Congo compte environ 35 millions d’utilisateurs de téléphones mobiles, dont beaucoup pourraient accéder à des services financiers numériques si des solutions adéquates sont déployées. Le recours accru aux applications de mobile banking, au mobile money et au réseau d’agents bancaires (agency banking) dans les zones mal desservies pourrait ainsi faire bondir la bancarisation et créer un écosystème financier plus inclusif. En résumé, sous l’impulsion de la BCC, la révolution numérique financière doit enfin se concrétiser pour que le slogan « cashless » devienne une réalité en RDC.
Stimuler le financement de l’économie réelle et la reconstruction: Le dernier axe – peut-être le plus ambitieux – consiste à faire de la Banque centrale un catalyseur du développement économique de la RDC. Les besoins en financement sont colossaux: routes, chemins de fer, barrages hydroélectriques, télécommunications, sans compter l’agriculture, l’industrialisation minière ou la création de PME locales… Or, le crédit bancaire demeure embryonnaire au Congo. Même s’il a connu une progression notable (le portefeuille de prêts des banques est passé d’environ 4 milliards USD en 2021 à 7 milliards en 2023, soit +30 %), cela reste très faible rapporté au PIB du pays et insuffisant pour répondre aux attentes de l’économie. Le secteur bancaire congolais, composé d’une quinzaine d’établissements, préfère encore financer les activités les moins risquées (commerce d’importation, grandes entreprises établies, bons du Trésor) plutôt que d’investir massivement dans les projets de développement locaux, perçus comme plus risqués. La BCC, dans son rôle de régulateur et de stratège financier, pourrait encourager une allocation plus audacieuse du crédit vers les secteurs productifs et les provinces de l’intérieur. Cela passe par plusieurs leviers: assouplir certaines contraintes prudentielles de manière ciblée pour encourager les prêts aux PME et aux agriculteurs, mettre en place des mécanismes de refinancement préférentiels pour les banques qui financent des projets prioritaires (infrastructures, logement, etc.), ou encore soutenir la création d’instruments de garantie et de fonds de développement pour partager le risque. Par ailleurs, la BCC devrait utiliser son pouvoir d’initiative pour développer les marchés financiers locaux, en collaboration avec le gouvernement. L’émission d’obligations de long terme en monnaie locale, la titrisation de créances, ou l’appui à des institutions comme une banque nationale de développement sont autant de pistes pour canaliser l’épargne (notamment l’épargne informelle qui échappe au système bancaire) vers l’investissement productif. En somme, il s’agit de faire en sorte que la monnaie et le crédit « irriguent » effectivement l’ensemble du tissu économique national, y compris l’économie informelle aujourd’hui exclue des financements. Ce défi de la diffusion monétaire est central: actuellement, la circulation du franc congolais est limitée et ses effets bénéfiques ne se font pas sentir partout – redonner à la monnaie nationale un rôle actif (et non plus purement symbolique) dans la dynamique productive du pays est une priorité. Des analystes soulignent ainsi que le mandat de la BCC doit évoluer « d’un simple contrôle de l’inflation à un véritable soutien à la croissance et à la création d’emplois ». Cela ne signifie pas financer directement les déficits de l’État (ce qui serait dangereux pour la stabilité), mais plutôt innover dans la conduite de la politique monétaire et prudentielle afin de débloquer les flux de capitaux vers la reconstruction. Par exemple, la BCC pourrait encourager des solutions de financement mixte (public-privé), participer à des plateformes de financement des PME, ou encore faciliter l’émission d’« euro-obligations » congolaises pour la diaspora. En définitive, faire de la Banque centrale du Congo un moteur de l’économie réelle constitue un changement de paradigme: c’est un mandat élargi qui, sans trahir son objectif fondamental de stabilité, l’inscrit dans une perspective de développement à long terme.
Conclusion
La tâche qui attend André Wameso est à la fois exigeante et stratégique. En tant que nouveau gouverneur de la Banque Centrale du Congo (BCC), il se retrouve face à un double impératif: préserver la crédibilité macroéconomique acquise au prix de politiques monétaires restrictives, tout en impulsant une dynamique nouvelle, plus alignée avec les ambitions de transformation structurelle du pays.
D’un côté, la continuité est indispensable. Le maintien de la stabilité des prix, la gestion prudente des réserves de change (évaluées à environ 6,7 milliards USD fin 2024), la consolidation du système bancaire et la surveillance des déséquilibres externes demeurent des missions incontournables. Le moindre relâchement pourrait fragiliser la confiance des marchés, accentuer la dollarisation ou exposer la RDC à des chocs exogènes mal anticipés. Dans un pays dont l’économie est fortement exposée aux fluctuations des matières premières, où le secteur formel reste étroit et la dette publique encore vulnérable aux pressions extérieures, maintenir un ancrage macroéconomique stable est un pilier fondamental pour attirer les investissements et sécuriser les gains récents, notamment ceux obtenus grâce à l’appui du FMI.
Mais de l’autre côté, la rupture intelligente est tout aussi urgente. Wameso arrive à un moment où l’approche technocratique de la banque centrale – focalisée presque exclusivement sur la lutte contre l’inflation – a atteint ses limites. La stabilité nominale n’a pas encore permis de déclencher une dynamique de croissance inclusive. Le crédit au secteur privé reste faible, l’inclusion financière progresse à pas comptés, et le franc congolais continue d’être perçu comme une monnaie de transaction, rarement comme un instrument d’épargne ou d’investissement. Dans ce contexte, le statu quo devient, paradoxalement, un risque: celui de la résignation monétaire face aux inégalités, aux inefficacités structurelles, et à la marginalisation des zones rurales ou informelles.
Wameso doit donc opérer un équilibre subtil entre l’orthodoxie et l’innovation. Ce n’est pas la discipline budgétaire ou la stabilité des prix qu’il faut abandonner, mais plutôt les compléter par une vision plus active, plus anticipatrice, de la politique monétaire et financière. Cela signifie, entre autres:
Réviser les instruments de politique monétaire pour qu’ils soutiennent également la création d’emplois, la relance des PME et le financement des infrastructures stratégiques.
Renforcer les synergies avec les ministères sectoriels, sans tomber dans une politisation de l’action de la BCC.
Positionner la BCC comme un laboratoire d’innovation financière, capable de promouvoir la finance verte, les monnaies numériques de banque centrale (MNBC), et l’usage du Big Data pour le suivi conjoncturel.
Cette posture de transformation exige non seulement des compétences techniques, mais aussi une vision stratégique, une autorité morale, et un courage politique. Car toute réforme ambitieuse de la Banque centrale touchera des intérêts établis – dans les banques, les circuits informels de change, ou même certaines institutions publiques habituées à fonctionner dans l’opacité.
Enfin, ce virage historique dépendra aussi de la capacité de Wameso à reconnecter la BCC avec les aspirations profondes de la société congolaise: un accès élargi aux services financiers, une monnaie forte et digne de confiance, un système de crédit qui finance la vraie économie plutôt que la rente ou la spéculation.
En devenant le visage d’une nouvelle génération de gouverneurs de banque centrale africaine, il a l’opportunité de redéfinir non seulement le rôle de la BCC, mais aussi le lien entre souveraineté monétaire et développement durable.
Le moment est décisif. Soit la BCC reste dans une logique de gardien silencieux des équilibres, soit elle devient le cœur battant de l’économie congolaise de demain. Avec l’arrivée d’André Wameso, ce choix devient une possibilité concrète. Reste à savoir s’il aura l’audace – et l’espace politique – de l’assumer pleinement.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press