Africa-Press – Congo Kinshasa. L’affaire opposant le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, au ministre de la Justice, Constant Mutamba, autour d’un présumé détournement de 19 millions de dollars américains destinés à la construction d’une maison carcérale à Kisangani, constitue un véritable test pour l’indépendance de la justice congolaise.
Le 12 juin 2025, le Parquet général a officiellement annoncé la clôture de l’instruction préjuridictionnelle, malgré la tentative de récusation du procureur par le ministre Mutamba. Cette décision marque un tournant significatif dans cette affaire hautement politique et symbolique. Que faut-il comprendre par la phase d’instruction préjuridictionnelle en droit congolais et quelle est sa portée juridique?
L’instruction préjuridictionnelle correspond à la phase préliminaire d’une enquête judiciaire où le parquet rassemble les éléments de preuve et détermine s’il existe des indices suffisants pour engager des poursuites. Dans le système judiciaire congolais, cette étape est cruciale car elle permet de filtrer les dossiers avant leur éventuel renvoi devant une juridiction de jugement.
Dans le cas précis du ministre Constant Mutamba, cette instruction visait à vérifier les allégations de détournement de fonds publics concernant un projet carcéral à Kisangani. Le parquet a mené plusieurs auditions et examiné des pièces avant de conclure à la nécessité de poursuites. L’article 100 de la Constitution congolaise et la loi organique sur la Cour de cassation prévoient des procédures spécifiques pour les poursuites contre des membres du gouvernement.
Le parquet doit obtenir l’autorisation de l’Assemblée nationale avant d’engager formellement des poursuites, ce qui explique le double réquisitoire adressé au Parlement dans cette affaire. Le 10 juin 2025, Constant Mutamba a adressé une lettre au procureur général pour récuser Firmin Mvonde et l’ensemble des magistrats du parquet près la Cour de cassation.
Le ministre de la Justice invoquait l’article 59 de la loi du 11 avril 2013 sur les juridictions de l’ordre judiciaire, alléguant une « inimitié manifeste » et une partialité du procureur à son encontre. Constant Mutamba accusait Firmin Mvonde d’agir par intérêt personnel, évoquant notamment des dénonciations concernant ses acquisitions à l’étranger. Il dénonçait un « acharnement » et un « complot politique » visant à éliminer un « adversaire ombrageux ».
Le 12 juin 2025, par l’intermédiaire de son directeur de cabinet Simon Nyandu, le procureur Firmin Mvonde a répondu à la récusation en confirmant la clôture de l’instruction préjuridictionnelle. La lettre officielle indiquait clairement: « l’instruction préjuridictionnelle dans la cause où vous êtes poursuivi pour détournement des deniers publics est clôturée en ce qui vous concerne ».
Cette formulation juridiquement précise signifie que la phase d’enquête préliminaire est terminée et que la procédure entre dans une nouvelle étape, rendant ainsi la récusation sans effet sur le processus en cours. Le parquet a invité Constant Mutamba à « garder sa sérénité pour la suite de la procédure », une formule qui, en droit, équivaut à un rejet de la demande de récusation.
La clôture de l’instruction préjuridictionnelle crée une situation juridique particulière, une irréversibilité de la procédure. D’un point de vue procédural, cela signifie que les éléments de preuve ont été rassemblés et fixés, que le parquet a établi qu’il existait des « indices sérieux de culpabilité », que la phase d’instruction est définitivement close et ne peut être rouverte sur les mêmes faits et la récusation arrivant après cette clôture ne peut affecter le travail déjà accompli.
Avec la clôture de l’instruction, le parquet a immédiatement saisi l’Assemblée nationale par un deuxième réquisitoire, demandant l’autorisation de poursuivre le ministre Mutamba. Cette étape est cruciale dans la procédure contre un membre du gouvernement en RDC. En maintenant le cap malgré la récusation, le procureur Firmin Mvonde envoie un signal clair sur l’indépendance de la justice congolaise.
La lettre officielle précise que le parquet « ne s’en tient qu’au prescrit légal, en dehors de toute autre considération », affirmant ainsi le principe de neutralité judiciaire. Cette position est renforcée par le fait que le parquet a continué la procédure alors que Mutamba, convoqué pour une troisième audition, s’est abstenu de comparaître avant d’envoyer sa lettre de récusation. Cette affaire met en lumière les tensions inhérentes à la relation entre pouvoir exécutif et judiciaire.
Comme le souligne une étude académique congolaise sur le sujet, « les conflits de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire s’imposent avec acuité » en RDC. Le fait que le ministre de la Justice lui-même soit soumis à une procédure judiciaire menée par le parquet, malgré ses tentatives de récusation, démontre une certaine maturation des institutions judiciaires congolaises.
Le Parlement doit maintenant se prononcer sur l’autorisation de poursuites. Sa décision sera déterminante pour la suite de l’affaire. Le ministre pourrait tenter d’autres voies de recours, bien que la clôture de l’instruction limite ses options procédurales. Cette affaire pourrait avoir des répercussions sur les équilibres politiques en RDC, notamment sur les relations entre justice et gouvernement.
Au-delà du cas spécifique, cette affaire représente un test important pour l’indépendance réelle de la justice face au pouvoir politique, la capacité des institutions à lutter contre l’impunité des élites et l’effectivité des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs. La clôture de l’instruction préjuridictionnelle dans l’affaire opposant le procureur Mvonde au ministre Mutamba, malgré la tentative de récusation, marque un moment important dans l’évolution de la justice congolaise.
En maintenant le cap de la procédure et en affirmant son attachement au seul « prescrit légal », le parquet général près la Cour de cassation envoie un message fort sur sa détermination à exercer ses fonctions en toute indépendance. Cette affaire pourrait constituer un précédent significatif pour le traitement judiciaire des dossiers impliquant de hautes personnalités politiques en RDC, contribuant ainsi au renforcement de l’État de droit dans le pays. La suite de la procédure, notamment la décision de l’Assemblée nationale, sera déterminante pour confirmer ou infirmer cette tendance.
TEDDY MFITU, Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press