Kamerhe, la fin d’un mythe

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Kamerhe, la fin d’un mythe
Kamerhe, la fin d’un mythe

Africa-Press – Congo Kinshasa. Une page se tourne à l’Assemblée nationale. Après 16 mois de règne, c’est la fin du deuxième épisode Kamerhe au perchoir. Le président de l’Assemblée nationale a demandé pardon à ses collègues pour calmer la tempête mais l’acte n’a pas suffi à dissuader les pétitionnaires qui ont même recouru à un huissier de justice pour déposer la pétition. Près de 300 signataires s’engagent à faire chuter le speaker accusé de détournement.

La rentrée parlementaire de septembre 2025, traditionnellement consacrée à l’examen du budget de l’État, s’est muée en un théâtre d’ombres où se joue l’avenir d’un homme: Vital Kamerhe. L’actuel président de l’Assemblée nationale, figure de proue de l’Union sacrée, est désormais dans l’œil du cyclone. La pétition, déposée ce même lundi par des élus déterminés à l’évincer, a recueilli environ 300 signatures, bien au-delà du seuil requis. L’équation ne souffre plus d’ambiguïté. La déchéance de Kamerhe ne relève plus d’une hypothèse, mais d’un compte à rebours.

Une fronde implacable: les carottes sont cuites

À en croire Samuel Yumba, l’un des initiateurs de la fronde, deux membres seulement du bureau échappent à la vague. Il s’agit de Christophe Mboso, deuxième vice-président et Jean-Claude Tshilumbayi, premier vice-président. Tous les autres, à commencer par Kamerhe lui-même, sont dans la ligne de mire. L’air de défiance qui souffle sur le Palais du peuple est sans appel, les pétitionnaires veulent la tête du président de l’Assemblée nationale et ne se cacheront plus derrière les formules prudentes. Dimanche, ils se sont activés à l’hôtel Béatrice (leur nouveau Q.G) où nombreux sont passés signer la pétition. Dans cette moule, Caroline Bemba, la sœur de Jean-Pierre Bemba, le leader du MLC, est en première ligne dans cette bataille. Elle s’apprête à régler des comptes à Jacques Djoli, le rapporteur, qui l’avait mis au placard aux élections passées du bureau.

Dans la nuit de dimanche à lundi, les réunions se sont multipliées dans les salons feutrés de Kinshasa. Les conciliabules se sont prolongés jusque tard la nuit. Les alliances s’esquissent, les promesses s’arrachent, les signatures s’échangent comme des munitions. Rien ne dissuade les anti-Kamerhe. Tout concourt à une seule finalité: « sceller le sort de celui qui, hier encore, trônait au sommet de l’appareil parlementaire ». Dans les couloirs de l’hémicycle, un mot revient avec insistance – « évincer ».

Tshisekedi, un silence consentant

Le président de la République, Félix Tshisekedi, se garde bien d’intervenir dans ce brasier. Loin de voler au secours de son allié de circonstance, il laisse les députés exercer leur droit constitutionnel de destituer leur président. Ce silence calculé vaut message: le chef de l’État se tient à distance, acceptant que la mécanique institutionnelle se déroule sans filet protecteur pour son bras droit, Kamerhe. Pour les personnes bien renseignées, le président, recevant son allié dimanche soir, n’a trouvé aucun compromis avec lui. Tshisekedi et Kamerhe se sont dit de vérité. En clair, il l’a lâché. Le plus puissant, c’est le chef de l’État, souffle un proche de VK. « Il n’a pas à se battre avec lui ». Fatshi semblerait mal vivre les contradictions, les prises de position de VK qui prouvent sa déloyauté.

Un discours solennel, un parfum de crépuscule

Face à cette tempête, Kamerhe a choisi, lors de l’ouverture de la session, de livrer un discours séducteur. Avec emphase, le président de Chambre basse, Vital Kamerhe a abordé un certain nombre de points, notamment la pétition initiée contre lui, ainsi que la condamnation de l’agression rwandaise en République démocratique du Congo. Tout en reconnaissant le caractère légitime de cette initiative, Vital Kamerhe estime qu’elle doit être reconsidérée. « Je voudrais vous rassurer qu’il s’agit d’un exercice parlementaire légitime. Mais l’initiative devrait être reconsidérée », a-t-il dit en substance. À l’occasion, Kamerhe s’est adressé directement aux députés frondeurs. À huis clos, il a tenté de jouer la carte de l’apaisement, confessant ses « regrets » et implorant leur pardon s’ils avaient pu se sentir offensés. Il a même revendiqué sa loyauté à la nation, rappelant que le conflit avec le Rwanda lui avait déjà coûté un perchoir par le passé. « S’il y’en a parmi vous qui se sont sentis froissés, heurtés ou dérangés de quelque manière que ce soit par ma conduite ou mes propos, qu’ils daignent accepter l’expression de mes regrets les plus sincères et j’implore leur pardon », a t-il fait savoir. Tel un homme acculé, il a conclu en proclamant vouloir rester « pacificateur jusqu’au bout ».

Les concessions financières: un baroud d’honneur

À la veille de cette rentrée, le bureau de l’Assemblée avait déjà tenté de calmer la rébellion par des concessions spectaculaires. Les rémunérations des députés, gonflées à près de 20 000 dollars par mois, la nomination officielle des assistants parlementaires, la restauration des droits sociaux et des pensions intégrales pour les honoraires affiliés au SESOPA… autant de mesures interprétées par les contestataires comme une manœuvre d’« achat de paix sociale ». Mais loin d’apaiser la grogne, ces largesses ont renforcé l’impression d’un marchandage politique au goût amer. A la fin de la plénière malgré son mea culpa, les pétitionnaires persistent et signent: « Kamerhe doit partir ». Ils considèrent son pardon comme un aveu. « La justice doit faire son travail. Nous avons déposé la pétition aujourd’hui, lui Kamerhe disait qu’il était fort, son pardon signifie qu’il a détourné les fonds de l’Assemblée nationale, la justice est là et fera son travail », a prévenu Crispin Mbindule, le chef des frondeurs.

La pétition a été déposée au bureau du premier vice-président de l’Assemblée nationale, Jean-Claude Tshilumbayi en présence d’un huissier de justice. « Nous déposons notre pétition aujourd’hui (15 septembre 2025), c’est la justice qui le fait. Nous avons constaté que le bureau des courriers est fermé », a précisé Crispin Mbindule.

Kabuya, en Ponce Pilate

Dans cette tempête, Augustin Kabuya, le secrétaire général de l’UDPS, a pris soin de s’ériger en Ponce Pilate. « L’UDPS ne compte que 152 députés », a-t-il éclairé, insinuant que son parti n’est pas l’artisan de la fronde. Une manière subtile de laver les mains de son parti et de laisser Kamerhe affronter seul son destin. Mais derrière ce tumulte institutionnel, une fracture abyssale se creuse. Alors que la population de l’est survit dans l’horreur quotidienne des massacres, alors que les fonctionnaires vivent avec des salaires dérisoires, les députés s’arrachent des rémunérations colossales et des privilèges insolents. Loin des réalités du peuple, la classe politique se dispute ses émoluments dans un théâtre où l’intérêt général se dissout dans les ambitions personnelles.

Le glas politique

Dans les salons kinois, le diagnostic est unanime: Kamerhe n’a plus de salut. Ses manœuvres d’apaisement, son discours solennel, ses concessions financières… tout cela ressemble à une fin d’un cycle, un dernier acte avant la chute. Les carottes sont bel et bien cuites. Son sort est déjà scellé.

La session budgétaire 2025, au lieu d’être un exercice de projection financière, restera dans l’histoire comme la session de la déchéance. Celle où Vital Kamerhe, vieux routier des arcanes politiques, aura vu son étoile vaciller et s’éteindre sous la pression implacable de ses pairs.

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