Mémoire Améliorée Chez Bilingues Et Multilingues

4
Mémoire Améliorée Chez Bilingues Et Multilingues
Mémoire Améliorée Chez Bilingues Et Multilingues

Africa-Press – Congo Kinshasa. La mémoire et l’apprentissage des langues ont des liens que les scientifiques explorent depuis presqu’un siècle, concluant majoritairement à de meilleures performances mnésiques (relatives à la mémoire) chez les personnes bilingues ou multilingues. Eva Commissaire, chercheuse en psychologie au Laboratoire de Psychologie des Cognitions (LPC) de l’Université de Strasbourg, guide Sciences et Avenir dans les méandres de ces découvertes, jusqu’aux recherches modernes nous donnant des indices précieux sur la façon dont l’apprentissage des langues serait le plus pertinent.

Une amélioration de la mémoire de travail avec le multilinguisme

Devant vous, quelqu’un énonce une liste de six chiffres à mémoriser: « trois, six, douze, huit, six, neuf ». Sans les avoir sous les yeux, vous devez ensuite les réciter à l’envers, puis dans l’ordre croissant. Ce que vous testez, c’est votre mémoire de travail, c’est-à-dire votre capacité à stocker des informations sur le court terme, juste le temps de les manipuler. Cette mémoire entre par exemple en jeu lors du calcul mental, de la compréhension d’un texte à la syntaxe complexe ou de la réalisation d’une recette après en avoir lu les étapes. « Les méta-analyses sur le sujet concluent que les scores à ce type de tâches ont tendance à augmenter avec le nombre de langues supplémentaires parlées », commente Eva Commissaire. L’une de ces méta-analyses, réalisée par une équipe montpelliéraine et publiée en 2021, a d’ailleurs conclu à un léger avantage des bilingues sur la mémoire de travail par rapport aux monolingues.

Un léger avantage sur les fonctions cognitives de haut niveau

La clé de cet atout des multilingues se trouverait dans de meilleures fonctions cognitives de haut niveau, en particulier celles de l’inhibition. « Quand lit ou entend un mot dans une langue, ceux qui y ressemblent dans d’autres langues s’activent aussi, il y a compétition entre ces mots », explique Eva Commissaire. Pour ne pas tout le temps alterner tout le temps entre deux langues, il faut utiliser des mécanismes de contrôle qui s’appuient sur les fonctions exécutives, des fonctions cognitives de haut niveau utiles pour des tâches complexes. « Les bilingues conservent un peu mieux leur attention sans se laisser distraire, notamment chez les enfants et personnes âgées chez qui ces légères disparités de niveau sont plus visibles que chez les adultes dont les fonctions exécutives sont au maximum de leur potentiel. Ce fonctionnement exécutif particulier du contrôle de l’attention pourrait expliquer les meilleurs résultats en mémoire de travail », détaille la chercheuse.

Si les performances de mémoire de travail chez les multilingues ont donné lieu à de nombreux travaux, les quelques études évaluant leur mémoire épisodique – celle des souvenirs autobiographiques – semblent également signaler un petit avantage. « Certaines montrent des avantages chez les personnes bilingues, notamment dans le contexte d’un effet protecteur dans le déclin cognitif lié au vieillissement, d’autant plus lorsqu’elles étaient bilingues depuis longtemps », rapporte prudemment Eva Commissaire, rappelant que les données sur le sujet sont encore peu nombreuses.

Tous les bilinguismes ne sont peut-être pas équivalents

Des résultats qui font cependant débat. « Dans les études, le bilinguisme est rarement un inconvénient quant à la mémoire, mais l’ampleur de l’avantage démontré varie et parfois n’est pas retrouvé. On pense que le contexte de l’apprentissage et de l’utilisation des autres langues est important », interprète Eva Commissaire. L’âge de l’apprentissage et son contexte émotionnel, familial par exemple, pourraient jouer dans la façon dont la nouvelle langue est encodée dans le cerveau, et rappelée par la suite. « La plupart des bilingues interrogés rapportent attacher moins d’expériences émotionnelles dans une des deux langues, souvent la moins maitrisée ou apprise plus tard dans la vie », explique la psychologue. Des souvenirs différents associés à l’usage de langues dont la charge émotionnelle sera différente ne seront donc pas rappelés de la même manière et dans les mêmes contextes.

Un autre paramètre important pourrait influer sur les bénéfices du bilinguisme sur la mémoire. « Une langue utilisée uniquement dans un contexte particulier – professionnel par exemple – pourrait permettre une meilleure acquisition des fonctions d’inhibition car les langues ne peuvent pas être permutées », pointe Eva Commissaire. L’émergence de mots concurrents dans les langues non autorisées devra donc activement être inhibée par le locuteur. A contrario, un usage avec des personnes capables de comprendre toutes les langues utilisées entraineraient plutôt la flexibilité du passage indifférencié d’une langue à l’autre, et non l’inhibition.

La langue comme marqueur de rappel des souvenirs

Si l’usage et l’apprentissage des langues semble améliorer la mémoire, la langue elle-même sert aussi de marqueur quant aux souvenirs. Ainsi, certains travaux suggèrent que l’on se rappelle mieux des événements vécus dans le contexte de l’usage de la langue que l’on utilise pour les raconter. Un bilingue anglo-russe à qui l’on a demandé de raconter ses vacances en anglais racontera ainsi plus spontanément ses anecdotes vécues sur territoire britannique qu’en Russie. « La langue serait donc une information contextuelle, dont l’usage aide à rappeler l’information mémorisée », explique Eva Commissaire.

Pour inscrire et ensuite récupérer un souvenir dans la mémoire épisodique, le contexte est donc primordial. Appliquant ce concept à l’apprentissage des langues, des recherches co-dirigées par Eva Commissaire mettent en évidence le poids d’un autre type de contexte: l’exposition au mot oral ou écrit. « Les élèves apprenaient mieux un nouveau mot en allemand quand on leur présentait la forme écrite en plus de la forme orale. Or en classe on met beaucoup l’accent sur l’oral, surtout en primaire, ce qui pose question sur les améliorations que l’on pourrait apporter à nos méthodes d’apprentissage des langues », commente la chercheuse. Une étude en projet répliquera ces découvertes sur des élèves de primaire lors de l’apprentissage de l’anglais.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here