RDC – Matthieu Kalele : « Nous avons assisté à une régression sociale qui est allée en s’amplifiant »

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RDC – Matthieu Kalele : « Nous avons assisté à une régression sociale qui est allée en s’amplifiant »
RDC – Matthieu Kalele : « Nous avons assisté à une régression sociale qui est allée en s’amplifiant »

Africa-PressCongo Kinshasa. S’il constate que les conditions de vie des Congolais se sont détériorées, le sociologue Matthieu Kalele, engagé dans l’opposition, salue également la résilience de ses concitoyens.

Professeur de sociologie du développement à l’Université de Kinshasa, Matthieu Kalele a été ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel, puis vice-ministre des Mines pendant la transition (2003-2007), et reste engagé politiquement – il est président du Front pour un nouveau type de Congolais (FNTC), parti d’opposition membre de la coalition Lamuka.

Alors que le pays célèbre cette année les 60 ans de son indépendance, l’universitaire pose un regard lucide sur l’évolution de la société congolaise. Si globalement les conditions de vie se sont dégradées, des conquêtes ont été réalisées sur d’autres terrains.

Jeune Afrique : Quelles sont les évolutions majeures observées dans la société depuis l’indépendance ?

Matthieu Kalele :

En passant au crible le cheminement du pays, je pense toujours à ma grand-mère maternelle, qui me posait déjà régulièrement la question suivante : « À quand la fin de l’indépendance ? »… Cela pour dire que, après la colonisation, nous avons assisté à une régression sociale. Et cela s’amplifie au fil du temps.

La détérioration du vécu et des conditions de vie quotidienne des Congolais est certainement le fait le plus marquant de ces soixante dernières années.

Dans ce contexte, comment font les Congolais pour tenir ?

Le Congolais moyen recourt à la débrouillardise [le légendaire « système D » congolais]. Il pratique le petit commerce, à droite et à gauche. Ceux qui disposent de moyens, qu’ils travaillent ou pas, se lancent aussi dans le commerce.

D’autres se trouvent une place dans les institutions et administrations, et, pour nombre d’entre eux, s’adonnent au détournement de fonds publics, généralement en toute impunité et avec la complicité de dirigeants… Les fonds ainsi détournés gonflent leurs revenus.

L’explosion démographique à Kinshasa est liée en grande partie à l’instabilité qui règne dans l’Est depuis plusieurs années. Quelles en sont les conséquences ?

La capitale connaît une explosion démographique et une forte extension spatiale. Et il n’y a pas véritablement de planification… Or, en effet, des Congolais de l’est du pays, du Kivu et de l’Ituri, dont certains tiraient leurs revenus de l’exploitation de minerais, continuent d’affluer à Kinshasa.

Ceux qui en ont les moyens construisent là où ils trouvent un espace ou bien rachètent d’anciennes constructions qu’ils modifient. Le boom est visible dans le secteur de la construction non seulement à Kinshasa, mais aussi dans les grandes villes minières.

Le problème est que les services publics ne suivent pas. Les infrastructures routières, ainsi que l’assainissement, la desserte en eau potable et en électricité restent en deçà des attentes… Prière dans une église de Kinshasa pendant la campagne électorale de 2017. © Gwenn DUBOURTHOUMIEU/JA

Quelle est la place de la religion dans une ville comme Kinshasa, dont la grande majorité de la population se dit chrétienne ?

La religion donne de l’espoir. C’est la philosophie des miracles. On croit que Dieu interviendra pour améliorer la situation. Aussi de nombreux Congolais trouvent refuge dans la religion. Les Églises et les groupes de prière prolifèrent un peu partout, et les fidèles prient jusque tard dans la nuit dans l’espoir que Dieu se manifeste. La religion remplit également une fonction d’exutoire. Et force est de constater que le phénomène religieux s’est amplifié ces dernières années.

Les mariages et les rites funéraires ont-ils toujours autant d’importance ?

La pandémie de Covid-19 a changé les choses. Avant, les funérailles et les mariages coûtaient excessivement cher. L’achat d’un cercueil, de tenues de circonstance, la location de salles, que ce soit pour les fêtes ou pour les veillées mortuaires, tout le cérémonial… Ce sont des dépenses incontournables.

Mais l’épidémie de Covid-19 a poussé les autorités à prendre des mesures restrictives… Et je crois que de nombreux Congolais se sentent soulagés et souhaitent que ces mesures restent en place, même après la fin de la pandémie, pour compresser les dépenses. Cette évolution est saluée par beaucoup de personnes, même si elle pénalise, d’un autre côté, les exploitants de salles de fête, de maisons funéraires, etc.

Le coronavirus pourrait-il influencer durablement le comportement des Kinois ?

Dans les communes huppées de la ville, on observe en effet l’adoption de nouveaux comportements, mais dans les communes populaires les gestes barrières n’ont jamais été respectés. Les habitants des quartiers populaires de Kinshasa ne semblent pas préoccupés par le Covid-19 ; la plupart d’entre eux sont persuadés que le coronavirus est l’affaire de ceux qui voyagent à l’étranger.

Dans cette mégapole très étendue, les recettes importées de l’Occident pour lutter contre le Covid-19 ont été largement ignorées. Les populations trouvent des solutions locales, recourant à des plantes et à des crèmes locales. Et elles y croient fermement.

La vie culturelle à Kinshasa est-elle aussi dynamique qu’auparavant ?

Le théâtre populaire est de moins en moins couru, la lecture a également reculé, des salles de cinéma ont rouvert leurs portes… Mais Kinshasa est une ville culturelle avant tout du point de vue musical. Des concerts se tiennent ici et là, un peu partout, et quand un orchestre donne un concert le public afflue. Quant aux bars et aux boîtes de nuit, ils font toujours recette dans cette ville et sont bondés, de jour comme de nuit !

Le téléphone portable et les réseaux sociaux ont-ils changé le comportement des jeunes ?

Le partage de l’information est plus rapide et plus fréquent. L’analyse comparative n’a pas perdu au change lorsque l’on sait que beaucoup d’habitants sont dans des situations peu enviables en matière d’accès à l’eau et à l’électricité et que l’on constate que ça marche mieux dans d’autres pays africains…

En plus des réseaux sociaux, les Congolais suivent aussi des chaînes de télévision et des stations de radio étrangères, ils savent à peu près ce qui se passe ailleurs dans le monde, comme tout le monde. Aussi, toute comparaison défavorable à la RD Congo fait travailler les esprits, en particulier ceux des jeunes. Ce qui explique en partie les mouvements migratoires vers des pays étrangers.

Quelles sont les principales aspirations des jeunes ?

Ils aspirent avant tout à un emploi bien rémunéré. Ceux qui n’y arrivent pas ou trouvent un travail qui ne les satisfait pas sont tentés d’émigrer, à leurs risques et périls. Les familles encouragent ce type d’émigration : les Congolais de la diaspora aident leurs familles au Congo, et cela fait des émules parmi les jeunes restés au pays. Les destinations les plus prisées, me semble-t-il, sont notamment la Belgique, la France et le Royaume-Uni – pour ce qui est de l’Europe –, ainsi que la Turquie, l’Inde, le Maroc et la Tunisie. L’Afrique du Sud ne les tente plus en raison des violences xénophobes qui y ont lieu cycliquement.

Certains jeunes sont aussi très actifs au sein de partis politiques. Les « parlementaires debout », mouvement créé au sein de l’UDPS, comptent en leur sein des jeunes qui se réunissent à plusieurs endroits de la capitale pour parler des questions politiques et proposer des solutions. C’est une bonne chose pour une prise de conscience collective des réalités du pays.

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