Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, 83 ans, a annoncé sa candidature, le mardi 29 juillet dernier, pour un quatrième mandat lors de la prochaine élection présidentielle prévue le 25 octobre 2025, et ce en l’absence de figures de l’opposition.
Ouattara a déclaré dans un message vidéo publié sur les réseaux sociaux: « Après mûre réflexion et en toute responsabilité, j’ai décidé de me présenter à la prochaine élection présidentielle », soulignant que « la Constitution m’y autorise et que ma santé le permet également ».
Pour rappel, il avait pris le pouvoir en 2010 à l’issue d’élections entachées de violences sanglantes qui ont fait plus de 3.000 morts et conduit à l’arrestation de Laurent Gbagbo, président de 2000 à 2011.
Sa décision intervient alors que l’on s’attend à une victoire facile de Ouattara aux élections, après la disqualification des principaux candidats de l’opposition, dont le chef du principal parti d’opposition, Tidjane Thiam, et l’ancien président Laurent Gbagbo lui-même, sur la base de décisions judiciaires controversées concernant l’éligibilité de certains candidats.
Parmi ses objectifs, Ouattara affirme que son prochain mandat, s’il est réélu, sera « un mandat de transition générationnelle », témoignant de son intention de former une nouvelle équipe et d’œuvrer à la consolidation des acquis et à l’amélioration des conditions de vie des citoyens, en particulier des plus vulnérables.
• A propos des précédentes échéances électorales présidentielles en Côte d’Ivoire
On relève que, pendant plus de trois décennies, les élections présidentielles en Côte d’Ivoire furent marquées par la peur et l’appréhension face à l’explosion de violence et de chaos dans le pays, dirigé par le président Félix Houphouët-Boigny depuis l’indépendance en 1960, sachant que le multipartisme n’a pu être instauré qu’en 1990, trois ans avant sa mort.
Depuis, la vie politique du pays a été dominée par trois figures principales: Henri Konan Bédié (décédé en 2023), Laurent Gbagbo et l’actuel président Alassane Ouattara. Ces hommes politiques étaient divisés par de nombreux facteurs (religion, idéologie, appartenance ethnique, etc.), mais unis par la quête effrénée de la succession du défunt président.
• Les trois figures politiques ayant marqué le plus la scène politique dont Alassane Ouattara
Chacune des trois avait ses propres arguments pour revendiquer le droit de succéder à Houphouët-Boigny.
a) Feu Konan Bédié était président du 7 décembre 1993 au 24 décembre 1999.
b) Ouattara a été Premier ministre pendant sa présidence.
c) Quant au chef de l’opposition Laurent Gbagbo a justifié son rêve de « Président » en affirmant avoir joué un rôle dans l’instauration d’une démocratie multipartite dans le pays et s’être présenté contre le premier président, Boigny, en 1990.
• Une croissance économique encourageante et une gouvernance fragile à l’approche des élections présidentielles
Depuis plusieurs mois, des études spécialisées ont révélé la fragilité des institutions de gouvernance et la persistance de tensions sociales et politiques qui pourraient affecter la trajectoire de la Côte d’Ivoire, dont l’économie affiche tout de même une croissance encourageante.
Ceci intervient à moins de trois mois de l’élection présidentielle, prévue le 25 octobre prochain. Le défi le plus important reste la capacité des institutions gouvernementales, de la société civile et des médias à garantir une élection qui suscite la confiance des citoyens et des investisseurs.
1. Une forte économie
Il importe de rappeler que la Côte d’Ivoire a enregistré un taux de croissance annuel moyen de 6,5 % entre 2021 et 2024, renforçant sa position parmi les économies à la croissance la plus rapide d’Afrique, selon le journal français « Le Monde », qui indique que cette supériorité économique résulte de l’expansion des secteurs agricole et manufacturier, ainsi que des investissements internationaux dans les infrastructures et l’énergie.
Le journal souligne entre-autres que malgré la classification du pays comme pays macroéconomique à « faible risque », les experts soulignent que les progrès ne se sont pas encore traduits concrètement dans les indicateurs d’emploi et la répartition des revenus. Le chômage des jeunes, lui, reste élevé, et les taux de pauvreté sont élevés en milieu rural.
2. Failles démocratiques
En revenant au rapport publié par « Bloomfield Intelligence », on constate qu’il décrit le système politique ivoirien comme un « hybride » entre démocratie et autoritarisme, citant l’exclusion des listes électorales de figures de l’opposition, telles que l’ancien président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, président du parti Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep).
Il indique que le manque de confiance du public envers la Commission électorale indépendante exacerbe les risques de contestation électorale et rend le pays vulnérable aux fluctuations politiques susceptibles de déstabiliser le climat d’investissement.
A ce propos, le ministre de la Promotion de la jeunesse et porte-parole adjoint du gouvernement ivoirien, Mamadou Touré, avait tenu à rassurer les chefs d’entreprise en déclarant: « Les préparatifs sont en cours pour garantir la transparence du scrutin, et nos institutions sont solides et résilientes », critiquant toute « manœuvre de dernière minute de l’opposition ».
3. D’anciens responsables ont exprimé quant à eux leur inquiétude, tels que:
-/- Vincent Toh Bi Irié, ancien gouverneur d’Abidjan, qui a estimé que « l’histoire du pays et les signes actuels de tension appellent à la prudence »,
-/- ou Dr Sako Gervais Boga, président de la fondation de défense des droits humains FIDHOP, qui a averti que « le simple fait d’évoquer les risques pourrait servir de justification à la restriction de la liberté d’expression ».
Par ailleurs, l’article du journal français « Le Monde » confirme qu’avec le début de la campagne électorale, les organisations régionales et internationales surveillent la performance des partis politiques en matière de contrôle du climat de responsabilisation.
• A propos du lobbying français et israélien en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, l’influence des « lobbies » français et israéliens est un sujet complexe, souvent évoqué dans le contexte des relations bilatérales et des enjeux géopolitiques régionaux.
Il est façonné également par l’interaction d’intérêts historiques, économiques et sécuritaires, qui influencent profondément le paysage politique et social du pays.
Nos recherches nous ont menés à la présente analyse de ces influences:
A) Présence française: héritage colonial et influence persistante !
-/- Influence historique:
Depuis l’époque coloniale (1893-1960), la France entretient des liens étroits avec la Côte d’Ivoire, notamment par son soutien aux élites politiques loyalistes, comme l’ancien président Félix Houphouët-Boigny, qui a dirigé le pays pendant trois décennies et a maintenu une alliance avec Paris.
-/- Instruments économiques: Les entreprises françaises dominent des secteurs vitaux tels que le cacao, le café et les infrastructures. Par exemple, les exportations françaises vers la Côte d’Ivoire ont atteint 1,44 milliard de dollars en 2022, tandis que la Côte d’Ivoire a exporté pour 940 millions de dollars de marchandises vers la France.
-/- Intervention militaire: La France est intervenue directement dans des crises internes, comme la guerre civile (2002-2011), sous prétexte de protéger ses citoyens et ses intérêts. Elle maintient également une base militaire à Port-Bouët, Port-Bouët qui est l’une des dix communes de la ville d’Abidjan, abritant environ 600 soldats, malgré l’annonce de leur retrait prévu pour janvier 2025.
Critiques::
Certains observateurs pointent du doigt une forme de néocolonialisme, où la France exercerait une influence disproportionnée sur les affaires ivoiriennes, notamment par le biais de ses entreprises et de ses institutions financières.
B) Infiltration israélienne: Sécurité, économie et diplomatie
-/- Intérêts sécuritaires: Israël s’est concentrée sur la lutte contre l’influence du Hezbollah en surveillant la communauté libanaise active en Côte d’Ivoire. EIle a créé des sociétés de sécurité telles que « Physical Defense » pour sécuriser les aéroports et les ports et collecter des données sur les militants du Hezbollah.
-/- Partenariats économiques: Israël cherche à accroître ses échanges commerciaux avec les pays d’Afrique de l’Ouest, ses exportations vers l’Afrique ne dépassant pas 1,6 % de ses exportations totales. Elle a également investi dans les secteurs agricole et technologique de la Côte d’Ivoire.
-/- Diplomatie: Dans ce domaine, Israël cherche à obtenir le soutien des pays africains, dont la Côte d’Ivoire, dans les enceintes internationales afin de contrer les critiques de sa politique envers la Palestine. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est même rendu dans la région en 2016 pour soutenir ces efforts.
Critiques:
Certains analystes critiquent l’influence israélienne, la qualifiant de « lobbying » visant à promouvoir les intérêts de l’État hébreu dans la région, notamment dans un contexte de tensions régionales et de rivalités géopolitiques.
C) Interaction entre les lobbies français et israélien
-/- Intersections stratégiques: Les deux pays cherchent à contrer l’influence turque et iranienne en Afrique et s’appuient sur leurs relations avec les élites locales. Par exemple, le président Alassane Ouattara (proche de la France) a permis une coopération renforcée avec Israël en matière de sécurité.
-/- Concurrence d’influence: Alors que la France se concentre sur son patrimoine culturel et économique, Israël exploite le vide sécuritaire et se présente comme un partenaire alternatif, notamment après le retrait des forces françaises de la région.
D) Impact sur la politique intérieure
-/- Divisions religieuses et ethniques: La France et les Israéliens ont exploité la division entre le nord musulman (accusé d’exclusion) et le sud chrétien. Par exemple, la question de la citoyenneté a été utilisée pour exclure le dirigeant musulman Alassane Ouattara de la course électorale.
-/- Troubles sponsorisés: A noter que la France est accusée de soutenir certains groupes lors de crises, comme lors des événements de 2004, lorsque les forces françaises ont bombardé des sites gouvernementaux en réponse aux attaques des partisans du président Laurent Gbagbo.
E) Défis futurs
-/- Déclin de l’influence française: La décision de retirer les forces françaises pourrait ouvrir la voie à d’autres pays, comme la Russie (via les mercenaires Wagner devenue Afrika Corps) ou Israël, pour combler le vide, notamment dans le domaine de la lutte antiterroriste.
-/- Pressions sur la souveraineté: Les revendications populaires croissantes pour mettre fin à la subordination à la France, comme en témoignent les manifestations contre la présence militaire française, pourraient diminuer l’influence du lobby français traditionnel.
Pour terminer ce chapitre lobbyiste, on peut affirmer que l’engagement franco-israélien en Côte d’Ivoire illustre comment les outils économiques, militaires et diplomatiques sont utilisés pour exercer une influence. Alors que la France cherche à préserver son héritage colonial, Israël cherche à compenser son absence historique par des partenariats sécuritaires et économiques.
On peut donc en conclure que face à l’évolution du paysage régional, le pays pourrait être le théâtre d’un nouveau conflit entre ces puissances extérieures et les revendications locales d’indépendance.
Certes, la Côte d’Ivoire cherche à maintenir un équilibre entre ses relations avec la France, Israël et d’autres puissances, dans un contexte géopolitique marqué par des rivalités régionales, néanmoins, le développement économique et social de la Côte d’Ivoire reste tributaire, en partie de sa capacité à gérer ces influences et à préserver son autonomie.
D’ici le 25 octobre prochain, nous comprendrons ce qui va se passer réellement en Côte d’Ivoire.
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