Africa-Press – Côte d’Ivoire. Géant continental du pétrole et du gaz, le groupe public algérien s’est lancé dans un pari aussi audacieux que délicat pour se développer en dehors de son territoire national. Mais a-t-il vraiment réussi sa percée?
Une raffinerie et un complexe pétrochimique au Niger, une promesse d’investissement dans l’exploration des hydrocarbures au Congo, un engagement à structurer le secteur aval en Mauritanie, une découverte d’or noir en Libye… Ici et là, Sonatrach multiplie les incursions en Afrique. Sous la houlette de Rachid Hachichi, le successeur de Taoufik Hakkar (2020-2023), le groupe public algérien mise sur la coopération régionale pour relancer ses opérations africaines.
Arme énergétique de l’État algérien, Sonatrach, dont le chiffre d’affaires a atteint 77,3 milliards de dollars en 2023 et qui figure en tête de la dernière édition de notre classement des 500 champions africains, entend tisser une toile diplomatico-économique sur le continent. Mais, une fois les annonces passées, la mise en œuvre demeure laborieuse. De fait, deux ans après la relance de ses opérations africaines, la compagnie pétrogazière algérienne peine à concrétiser ses promesses.
Manœuvre diplomatique
Actif dans les filières recherche et exploration, développement et production, distribution et raffinage, le groupe public algérien reste sur une modeste découverte en Libye, annoncée la semaine dernière et dont le potentiel est estimé à 4 200 barils de pétrole par jour (bpj), soit moins 0,5 % de la production du pays. « L’offensive africaine de Sonatrach est avant tout une manœuvre diplomatique pour sortir l’Algérie de son isolement politique à l’échelle du continent », estime Philippe Sébille-Lopez, le directeur du cabinet Géopolia.
Autre exemple avec le Niger. En janvier, Alger a misé sur la coopération dans le domaine des hydrocarbures pour renforcer ses liens avec Niamey, la Sonatrach et la Société nigérienne des produits pétroliers (Sonidep) signant un partenariat pour développer une raffinerie et un complexe pétrochimique à Dosso. Cependant, l’idylle n’a duré que trois mois.
L’affaire du drone abattu par l’armée algérienne près de la frontière avec le Mali a accéléré la rupture diplomatique avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), dont le Niger. Un climat de tension qui ralentit depuis la mise en œuvre du projet pétrolier.
Quant aux initiatives au Congo et en Mauritanie, elles sont encore à un stade préliminaire. Certes, le géant algérien des hydrocarbures a bien signé des accords avec ses homologues, la société nationale des pétroles du Congo (SNPC) et la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SMH). Mais aucun détail sur leur contenu n’a encore été fourni et, à en croire les spécialistes, l’heure n’est pas à l’optimisme.
« Historiquement, les tentatives de Sonatrach de s’établir sur le continent n’ont pas souvent été couronnées de succès », explique Jean-Pierre Favennec, le spécialiste de la géopolitique de l’énergie. Outre le fait que ces tentatives ne se sont pas soldées par des découvertes majeures, il y a aussi l’exemple de l’échec de Naftec Mauritanie.
Cette société, détenue par Sonatrach à hauteur de 51 %, qui revendiquait une part de marché de plus de 70 % et qui disposait d’un réseau de stations-service couvrant l’ensemble du territoire mauritanien, a fini par être liquidée faute d’une gestion efficace.
Éviter le déclin de la production
S’il reconnaît les compétences techniques des cadres du groupe algérien, qui demeure une référence en Afrique, Philippe Sébille-Lopez voit dans les aspects financiers et la conclusion de partenariats avec les opérateurs étrangers deux autres prérequis indispensables à la concrétisation des ambitions panafricaines de Sonatrach.
L’exploration pétrolière est hautement capitalistique, nécessitant notamment la réalisation de campagnes sismiques 3d ainsi que des équipements de forage chiffrés en dizaines, voire centaines de millions de dollars. Dans ce cadre, l’appui des multinationales, à la pointe de la technologie et aux reins financiers solides, est incontournable, ce qui fait pour l’heure défaut à Sonatrach en dehors de ses frontières.
De fait, grâce à ses ingénieurs et techniciens, le groupe continue de proposer des formations spécialisées pour les cadres africains. Toutefois, il demeure, à ce stade, encore loin de jouer un rôle structurant hors de ses frontières en raison du décalage entre le volontarisme extérieur affiché et la réalité opérationnelle.
Premier exportateur africain de gaz naturel, la compagnie éprouve des difficultés à concrétiser les grands projets d’envergure, notamment le gazoduc transsaharien, reliant le Nigeria à l’Algérie à travers le Niger qui tourne au ralenti depuis des années.
Surtout, Sonatrach doit composer avec une autre difficulté: face à une demande interne croissante en énergie (+ 8 % par an), la compagnie publique sera contrainte de renforcer sa production locale… aux dépens de son déploiement continental.
« Il y a une nécessité urgente d’investir dans les gisements algériens pour éviter une baisse de la production. Ces actifs sont essentiels, car ils alimentent à la fois la demande domestique et les exportations », appuie un économiste algérien sollicité par Jeune Afrique.
Pour le spécialiste de la place algéroise, faute d’investissements massifs dans l’entretien et le développement des puits, Sonatrach se trouvera dans les années à venir face « un dilemme grave »: privilégier la consommation domestique ou ravitailler les clients du bassin méditerranéen, dont l’Italie, l’Espagne, ou encore la France.
Cela explique aussi pourquoi, en parallèle des tentatives continentales, le directeur général de Sonatrach, Rachid Hachichi, est en quête de 50 milliards de dollars d’ici à 2028 pour doper la production de pétrole et de gaz, augmenter les capacités locales de transformation et renforcer les exportations algériennes d’hydrocarbures. Alger aspire, en effet, à porter sa production annuelle de gaz naturel à 200 milliards de m3 d’ici à 2030 contre 137 milliards aujourd’hui.
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