Bitcoin Et Le Dilemme Énergétique En Afrique

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Bitcoin Et Le Dilemme Énergétique En Afrique
Bitcoin Et Le Dilemme Énergétique En Afrique

Par Herald Aloo

et Leanne de Bassompierre

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Les avantages potentiels en termes de revenus et d’infrastructure numérique du boom du minage de bitcoin sont rapidement compromis par les demandes des mineurs pour une électricité à prix bas.

Lorsque la Kenya Electricity Generating Company (KenGen) a annoncé, en 2022, son intention de vendre son électricité excédentaire issue de son circuit géothermique de la vallée du Rift aux mineurs de bitcoin [processus informatique par lequel la cryptomonnaie est créée, Ndlr], cela a suscité l’enthousiasme de nombreux opérateurs.

Mais cet engouement – qui avait initialement attiré des opérateurs de bitcoin à grande échelle, notamment de grandes entreprises européennes et chinoises frappées par des interdictions dans leur pays d’origine – s’est dissipé rapidement, en l’espace de trois ans.

KenGen renonce à fournir les mineurs de bitcoin

KenGen, le principal producteur d’électricité du Kenya, a fait marche arrière sur ce projet, invoquant la pression des mineurs pour obtenir des prix de l’électricité inférieurs au marché, des retombées économiques finalement limitées et la demande énergétique croissante du pays.

Ce sont des entreprises qui viennent exploiter les ressources à moindre coût, réalisent des marges importantes puis repartent

Certaines entreprises réclamaient ainsi jusqu’à 200 MW à des tarifs aussi bas que 0,015 dollar par kilowattheure (kWh) contre 0,07 dollar, proposé par KenGen. Faute d’accord avec le fournisseur national d’énergie, les mineurs déjà installés ont maintenu leurs mini-réseaux, qui peuvent s’avérer plus coûteux.

« Cela devient difficile pour eux parce que nous ne pouvons pas réduire notre prix de l’électricité au niveau qu’ils souhaiteraient », affirme Ronoh Kibet, directeur commercial de KenGen, interrogé par The Africa Report et Jeune Afrique. « Ce sont des entreprises qui viennent exploiter les ressources à moindre coût, réalisent des marges importantes puis repartent », affirme le dirigeant.

La réticence de KenGen illustre toutefois le défi plus large auquel l’Afrique est confrontée: concilier l’essor du bitcoin et la demande énergétique dans des économies en développement. Bien que perçu comme une source de devises étrangères et d’infrastructure numérique, le minage de bitcoin et la consommation énergétique que cette activité induit, suscite un débat sur l’équité de l’accès à l’électricité et la véritable valeur ajoutée apportée par ce secteur à l’économie à long terme aux pays qui font le pari du minage.

Une rentabilité faible pour les mineurs de cryptomonnaies

Au niveau mondial, le minage de bitcoin ou de cryptomonnaie consomme 204,5 térawattheures d’électricité par an, soit plus que la consommation de l’Argentine ou des Pays-Bas.

Bien que l’utilisation de sources renouvelables comme la géothermie et l’hydroélectricité soient en mesure de les réduire, les émissions de dioxyde de carbone issues de cette activité demeurent également élevées. Elles sont estimées entre 22 millions et 22,9 millions de tonnes métriques par an.

Le marché mondial du minage de cryptomonnaies connaît néanmoins une croissance, avec des projections à plus de 8,24 milliards de dollars d’ici 2034, contre 2,8 milliards de dollars en 2025, selon les chiffres publiés par le cabinet Precedence Research (Canada et Inde), qui estime le taux de croissance annuel à 12,9 %.

Réglementations favorables

En Afrique, cette dynamique devrait s’accentuer, portée par des réglementations favorables, une population toujours plus connectée et l’interdiction du minage de bitcoin intervenue en Chine en 2021, qui pousse les mineurs vers des destinations alternatives moins onéreuses.

La consommation d’énergie est une réalité du réseau crypto ; elle ne disparaîtra pas

« Il est impossible d’être rentable en tant que mineur de bitcoin, à moins d’avoir une électricité moins chère. C’est une réalité implacable. Dans les pays occidentaux, les marchés matures ne permettent pas une électricité bon marché », déclare Nemo Semret, PDG et cofondateur de QRB Labs, une entreprise de minage de bitcoin basée à Addis-Abeba qui envisage une expansion dans deux pays africains, sans préciser encore lesquels.

« La marge bénéficiaire des mineurs de bitcoin est très étroite », ajoute-t-il. Un problème structurel persiste toutefois. Plus de trente pays africains subissent désormais des pénuries électriques et des coupures récurrentes. En Afrique du Sud, au Nigeria, en Zambie et en République démocratique du Congo (RDC), l’instabilité électrique contraint les industries à recourir à des générateurs hors réseau, souvent au diesel.

Réseaux électriques nationaux sous tension

Ces solutions alternatives posent également un défi structurel, elles enferment les compagnies électriques dans un cercle vicieux où la hausse tarifaire n’a pour effet que de réduire la demande. Le tout décourage les investisseurs.

Au Kenya, la croissance de la demande électrique, portée par l’expansion économique, fragilise le réseau national sous pression, les marges de réserve électrique – capacité tampon entre production disponible et demande de pointe – atteignent des niveaux critiques.

Cette faible marge fait craindre des délestages généralisés depuis le gel des nouveaux contrats d’achat d’électricité (power purchase agreements, PPA), qui a stoppé la construction de centrales. Le gel, en vigueur depuis 2021, n’a pas encore été levé par le Parlement.

« La consommation d’énergie est une réalité du réseau crypto ; elle ne disparaîtra pas », déclare Chris Maurice, PDG de Yellow Card, une entreprise technologique panafricaine spécialisée dans l’achat, la vente et le stockage de cryptomonnaies.

« L’enjeu n’est pas tant de réduire la consommation électrique que de valoriser cette énergie au profit des populations », explique-t-il.

Plusieurs pays adoptent des mesures restrictives. L’Angola a interdit le minage en 2024 afin de préserver ses ressources énergétiques, tandis que le Maroc, l’Algérie et l’Égypte en ont restreint l’utilisation. La persistance de transactions illégales contraint toutefois les gouvernements à réviser leur législation.

Le hub bitcoin de l’Éthiopie

L’Éthiopie, où l’électricité figure parmi les moins chères au monde demeure le seul pays africain où le minage prospère grâce à ses excédents hydroélectriques. Plus de vingt et une entreprises minières, dont West Data Group (Hong Kong), le russe BitCluster et Hashlabs, ont conclu des accords avec Addis-Abeba pour des opérations à grande échelle.

En 2024, Ethiopia Electric Power (EEP) a tiré 55 millions de dollars du minage, pour des prévisions atteignant 123 millions. « Il sera difficile à d’autres pays de reproduire le modèle éthiopien, faute de disposer du Nil [pour l’hydroélectricité] », estime Kal Kassa, PDG de BitcoinBirr, établi à Addis-Abeba, une plateforme de formation aux cryptomonnaies. « D’autres pays peuvent s’en inspirer. ls doivent construire des infrastructures – centrales, sous-stations, lignes – que le bitcoin peut contribuer à financer », poursuit-il.

Ce succès éthiopien tient toutefois davantage aux circonstances qu’à un avantage structurel. D’une part, son secteur énergétique n’est pas libéralisé, ce qui contraint les mineurs à dépendre du réseau national, sans possibilité de recourir à des mini-réseaux alternatifs comme au Kenya ou en Afrique du Sud.

D’autre part, le réseau éthiopien, encore peu développé, laisse une grande partie de l’énergie hydroélectrique inutilisée. La moitié des Éthiopiens demeurent privés d’un accès fiable à l’électricité. Avec le développement économique et l’extension du réseau, les excédents pourraient se réduire sauf à accroître les investissements en conséquence.

Le tarif bas négocié en Éthiopie

Bien que la plupart des mineurs privilégient les tarifs bas, certains craignent que les capacités électriques naissantes du continent soient accaparées par des opérations minières bien capitalisées, les gouvernements étant séduits par les revenus potentiels.

En Éthiopie, les mineurs ont négocié des tarifs dès 0,0314 dollar par kWh, une fraction du coût pratiqué ailleurs, mais nettement supérieur aux tarifs des consommateurs domestiques.

Correctement encadré, le minage peut contribuer au financement de la production électrique. Nous sommes des acheteurs de dernier recours

Les mineurs et leurs défenseurs mettent en avant les revenus générés et le potentiel d’électrification. L’entreprise Gridless illustre cette approche, elle construit des mini-réseaux hydroélectriques ou géothermiques afin de miner du bitcoin tout en alimentant les foyers locaux au Kenya, au Malawi et en Zambie. Elle envisage une expansion en RDC et au Nigeria.

« Les mineurs contribueront à financer des investissements supplémentaires », déclare Kal Kassa. L’Éthiopie prévoit ainsi de doubler ses tarifs pour les mineurs d’ici à 2027. Au Kenya, la quête de revenus s’est révélée tout aussi déterminante, les exigences tarifaires des mineurs ont constitué un obstacle majeur entre KenGen et les mineurs intéressés.

« Correctement encadré, le minage peut contribuer au financement de la production électrique. Nous sommes des acheteurs de dernier recours », déclare Nemo Semret de QRB Labs.

Concurrence des centres de données classiques

La concurrence des centres de données conventionnels, également gourmands en énergie complexifie également la donne. À la différence du minage, l’Afrique voit émerger des centres de données portés par Microsoft, Huawei et les principaux opérateurs – MTN, Airtel et Safaricom – qui offrent des retombées économiques supérieures portées par la demande croissante de services cloud et d’applications d’intelligence artificielle.

« Les centres de données génèrent d’importants flux financiers via la location de services. Il s’agit de services exportables. Des centres de données de qualité peuvent employer des milliers de personnes. Les opérateurs de minage n’offrent pas les mêmes perspectives », déclare Kibet de KenGen.

« Les déficits énergétiques ne doivent pas nous empêcher de saisir l’opportunité de participer à cette technologie fondamentale [qu’est l’intelligence artificielle] », affirme Ralph Mupita, PDG du groupe MTN.

« Notre alimentation électrique est certes peu fiable, mais des solutions existent. Nous réfléchissons à l’intégration des énergies renouvelables dans notre bouquet énergétique [en Afrique du Sud et au Nigeria] », ajoute le dirigeant du groupe de télécoms.

Des mesures réglementaires, comme le plafonnement de l’électricité allouée au minage, peuvent faciliter l’adoption de nouvelles technologies sans compromettre croissance économique et services essentiels, estiment certains analystes. L’Éthiopie consacre près de 30 % de sa production électrique au minage, mais la pression croissante pour alimenter industries et agriculture pourrait réduire cette part.

« Le problème tient à la mauvaise gestion. Il convient de déplacer les mineurs des zones urbaines vers les campagnes afin de favoriser l’électrification rurale », conclut Kal Kassa.

Source: JeuneAfrique

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