Distributeurs Africains Face aux Majors du Pétrole

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Distributeurs Africains Face aux Majors du Pétrole
Distributeurs Africains Face aux Majors du Pétrole

Par Maher Hajbi

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Historiquement dominée par les mastodontes internationaux, la distribution de produits pétroliers raffinés en Afrique voit, depuis quelques années, des champions nationaux grappiller du terrain. Leader au Maroc, Afriquia, filiale du groupe Akwa, propriété de la famille du chef du gouvernement Aziz Akhannouch, a racheté, en 2023, les activités de TotalEnergies en Mauritanie, et dispose d’un dépôt de produits pétroliers d’une capacité de 80 000 mètres cubes à Bargny-Sendou, au Sénégal.

Filiale de la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) du Cameroun, Tradex, leader à domicile, est présente dans 4 pays du continent tandis que le distributeur sénégalais, Elton Oil, en position de force sur son marché national, dessert aussi plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali ou encore la Gambie.

Si ces acteurs affichent globalement une bonne santé financière et s’ils multiplient les incursions en Afrique de l’ouest et centrale, ils peinent encore à renforcer leur ancrage sur le continent, n’arrivant pas à bousculer les positions établies des opérateurs dominants à l’échelle continentale, à savoir les multinationales Vivo Energy, TotalEnergies, Puma et Oryx.

Rigueur financière

À la tête de Pétro Ivoire, troisième distributeur pétrolier de Côte d’Ivoire, Sébastien Kadio-Morokro ne cache pas les ambitions régionales de son groupe, dont le chiffre d’affaires a atteint 243,3 milliards FCFA en 2024, contre 189,88 milliards FCFA en 2023, soit une hausse de 28%.

Cependant, franchir ce cap demeure difficile. « C’est avant tout une question de capacité financière face aux opportunités disponibles », concède le directeur général du groupe ivoirien aux 90 stations multiservices, intégrant carburants, gaz et bornes électriques.

Alors que sur le marché local le distributeur peut construire un réseau station par station, s’implanter hors de sa zone exige l’acquisition d’un réseau existant et des investissements conséquents. Pétro Ivoire, dont la note a été maintenue à « AA- » à long terme et « A3 » à court terme, avec perspective stable, par le cabinet Bloomfield Investment Corporation, demeure, ainsi, en quête d’opportunités au meilleur prix pour acter son passage à l’échelle régionale.

Preuve de cette difficulté, le mouvement de désengagement de certaines multinationales n’a pas servi de tremplin aux acteurs locaux pour monter en puissance à l’échelle sous-régionale. Au Burkina Faso et au Mali, le retrait de TotalEnergies n’a pas donné lieu à un rachat global de ses activités, finalement cédées à Coris Investment Group, appartenant à la galaxie du banquier Idrissa Nassa, et Coly Energy Mali, une entreprise pilotée par le groupe béninois Bénin Petro.

Sur le départ, le spécialiste français de la distribution et du stockage de produits pétroliers raffinés, Rubis, présent dans 24 pays du continent, à travers un réseau de 650 stations-service, est annoncé en discussion avec Trafigura, propriétaire de Puma Energy, pour lui céder ses actifs.

Réglementations fragmentées

Outre l’accès aux capitaux, l’avenir des distributeurs africains se joue aussi sur le terrain de la montée en compétence et la capacité des opérateurs à naviguer dans des environnements réglementaires fragmentés.

« Sur le continent, chaque pays a sa propre organisation. Importation des hydrocarbures monopolisée par l’État dans certains pays, totalement libre ailleurs, et parfois semi-régulée. L’absence d’homogénéité des règles d’importation demeure un obstacle majeur pour les champions nationaux », souligne Charles Thiémélé, le directeur de la division Afrique du négociant genevois BGN.

Métier hautement capitalistique, la distribution de produits pétroliers raffinés exige la gestion de la logistique, des installations et de la marge. « Pour les acteurs africains, développer un réseau retail relève du défi au vu des coûts considérables pour le foncier. Leur seule marge de progression, c’est de se tourner vers le B2B », estime un distributeur ouest-africain. Celui-ci mise sur le développement de politiques « efficaces et ciblées » de contenu local pour doper la force de frappe des opérateurs nationaux.

Imposer des quotas?

« Imposer des quotas de distribution de 50% en faveur des opérateurs nationaux sur tous les contrats B2B signés avec les industriels créera un levier important pour les entreprises locales, détenues à 100 % par des capitaux nationaux », poursuit-il, assurant que l’appui des États est indispensable pour réduire l’écart avec les multinationales.

« Les indépendants et groupes publics africains pourraient accélérer leur expansion par l’amélioration de leur gouvernance, le renforcement de leur rigueur financière et la mise en œuvre d’une stratégie robuste à long terme », avance, en écho, Ben Hassan Ouattara, le patron de Puma Energy Afrique.

« La comparaison entre les distributeurs africains et les multinationales ne tient pas », tempère Charles Thiémélé de BGN. Les majors ne sont pas devenues continentales par expansion progressive, mais parce qu’elles ont historiquement bâti toute la chaîne pétrolière sur le continent, de l’exploration-production, au raffinage, jusqu’à la distribution.

« Elles ont imposé leurs standards, construit les infrastructures et maîtrisé les flux logistiques », précise le spécialiste de la distribution des produits pétroliers. Autrement dit, si l’essor des opérateurs locaux est engagé, le processus prendra du temps et de l’argent pour se concrétiser.

Source: JeuneAfrique

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