Africa-Press – Côte d’Ivoire. Des pays africains trop dépendants des exportations de matières premières
Cette dépendance aux exportations de produits de base laisse les pays vulnérables aux chocs mondiaux. La nature même de ces marchés des « commodités » caractérisés par des cycles avec de fortes hausses et des chutes vertigineuses impacte directement les pays africains. Ces dernières années, un cycle long de hausse des matières premières a favorisé la croissance dans nombre de pays africains. Cependant, « la forte concentration des exportations autour d’un petit nombre de produits de base peut être source d’instabilité sur le plan macroéconomique, notamment dans des périodes marquées par une grande instabilité des prix des produits de base et par des chocs mondiaux », expliquent les auteurs du rapport. Quand les prix chutent, les recettes d’exportations s’assèchent, le chômage et la pauvreté augmentent. Ce rapport présente aussi une analyse qui évalue « le coût économique mondial de la guerre en Ukraine et indique que l’Afrique, et en particulier l’Afrique subsaharienne, est maintenant l’une des régions du monde les plus exposées à la crise actuelle », souligne Rebeca Grynspan, la secrétaire générale de la Cnuced.
La Cnuced considère qu’un pays est tributaire des produits de base lorsque ceux-ci représentent plus de 60 % du total de ses exportations de marchandises. Selon les calculs de l’organisation onusienne, 12 pays africains dépendent essentiellement de leurs exportations de combustibles fossiles, 16 autres de leurs produits miniers et 17 de leurs exportations de produits agricoles (café, cacao, coton). Trop souvent sur le continent, les produits exportés ne sont pas ou peu transformés, et donc sans valeur ajoutée. « Il est important que l’Afrique aille au-delà des matières premières et minières et la clé passe par l’ajout de la valeur à tous ces produits », commente le Paul Akiwumi, directeur division Afrique à la Cnuced.
Parmi les quelques pays africains qui ne sont pas dépendants des matières premières et qui s’appuient sur une économie relativement large, on les compte sur les doigts d’une main, l’Égypte, l’île Maurice, le Maroc, l’Afrique du Sud et la Tunisie. En revanche, la dépendance aux matières premières est extrême pour des pays comme la Guinée-Bissau (99,8 %), le Soudan du Sud (99 %), la Libye (98,7 %), le Tchad (98,4 %), la Mauritanie (97,3 %), le Soudan (97 %), l’Angola (96,4 %) et le Nigeria (95,7 %).
« Si certains pays ont ajouté de nouveaux produits à leur panier d’exportations ces dernières années, la réorientation du secteur industriel vers des articles manufacturés à forte valeur ajoutée n’a pas progressé à un rythme suffisant », constate le rapport. Le cas de l’Ouganda est instructif. Dans les années 2000, le pays a mené une politique de diversification économique, dans les industries agroalimentaires, minéraux, produits chimiques et des petits produits manufacturés, qui s’est accompagnée d’une forte croissance économique et d’une réduction de la pauvreté. Sa dépendance vis-à-vis des produits de base a diminué de 95 % en 1998-2000 à 70,6 % en 2008-2010. Malgré ces efforts, la diversification s’est essoufflée au lendemain de la crise financière de 2008-2009. « Selon une étude du gouvernement de l’Ouganda et le Programme des Nations unies pour le développement, certaines des nouvelles exportations non traditionnelles, y compris les industries agroalimentaires, ajoutent à la diversification des exportations, mais elles ont une marge de manœuvre limitée dans la transformation structurelle », commente le rapport.
Miser sur les technologies
De nombreux économistes estiment que les services jouent un rôle central dans ce processus de diversification. Or, le volume des échanges de services en Afrique reste faible et essentiellement tourné vers des services traditionnels : transport et voyage. « Entre 2005 et 2019, les services ont représenté 17 % des exportations totales de l’Afrique et environ deux tiers des services exportés étaient des services de voyage ou de transport », commente le rapport.
Ce sont les services à forte intensité de connaissances qui pourraient apporter une plus grande valeur ajoutée aux exportations, favoriser l’innovation et stimuler la croissance. « Aujourd’hui, le moment est très favorable grâce aux technologies », a affirmé Paul Akiwumi, citant l’émergence de la fintech, la healthtech, l’agritech, l’e-mobilité dans les pays africains. « Des technologies et des services modernes tels que la blockchain peuvent également améliorer l’accès à des marchés diversifiés et compétitifs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent. L’intensification du commerce des services permet également de réduire la dégradation de l’environnement causée par l’exploitation des ressources naturelles », souligne aussi le rapport.
Les services sont essentiels. « Les services aux entreprises, les services financiers et les services liés aux technologies de l’information et de la communication facilitent l’accès à de nouveaux marchés et la conception de nouveaux produits », expliquent les auteurs. Cette diversification par les services doit être accompagnée par des politiques économiques afin de créer des complémentarités entre ce secteur et les autres secteurs de l’économie mais aussi pour pallier les défaillances du marché (accessibilité, qualité, concurrence, coûts élevés du commerce des services…).
S’appuyer sur les PME
Pour construire cette diversification, la Cnuced, préconise de s’appuyer sur les PME qui constituent l’épine dorsale de l’économie des pays africains. Elles représentent 90 % des entreprises en Afrique et 60 % de la main-d’œuvre. Malheureusement, elles bénéficient très peu de soutien financier. L’avenir passe par la levée de ces contraintes d’accès au financement afin que les PME puissent se développer, contribuer à la croissance et à la diversification. Selon la Société financière internationale (SFI), les PME sont confrontées à un déficit de financement évalué à 416 milliards de dollars chaque année. La Cnuced exhorte donc « les décideurs africains à aider les entreprises à accéder à des produits et services financiers et non financiers spécialisés, tels que des garanties de prêt gouvernementales, qui sont une meilleure réponse à long terme aux besoins financiers des PME. La croissance récente des entreprises de technologie financière (fintech) peut aussi améliorer les canaux de crédit traditionnels ».
L’organisation onusienne reste optimiste et estime que le continent dispose d’un « énorme potentiel pour briser sa dépendance aux matières premières » et assurer une « intégration solide de ses économies dans les chaînes de valeur mondiales haut de gamme ». « En s’attaquant aux obstacles au commerce des services, en renforçant les compétences pertinentes et en améliorant l’accès à des financements alternatifs et innovants, la productivité manufacturière du continent peut être améliorée, stimulant la croissance économique et la transformation structurelle de l’Afrique pour de nombreuses années », a ajouté Mme Grynspan. La Cnuced détaille ainsi 9 recommandations, à l’attention des gouvernements et du secteur privé africains, dont la dernière, et certainement la plus importante : « les mettre en pratique ».
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