Quel bilan pour l’usine Cémoi, petit Poucet de l’or brun ivoirien ?

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Quel bilan pour l’usine Cémoi, petit Poucet de l’or brun ivoirien ?
Quel bilan pour l’usine Cémoi, petit Poucet de l’or brun ivoirien ?

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Depuis 2015, l’usine Cémoi, installée dans la zone industrielle de Yopougon, à Abidjan, produit des tablettes de chocolat à partir de cacao récolté dans le pays. Alors que tous les mastodontes du secteur (Cargill, Barry Callebaut, Olam…) sont présents en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de fèves, seuls deux acteurs ont franchi le cap de la confection de produits finis localement : le chocolatier français, racheté en juillet 2021 par le groupe belge Sweet Products, et la filiale du groupe ivoirien Satoci, Professional Food Industry (PFI).

Certes, les volumes sont modestes sachant que le pays ne transforme (au premier stade du broyage majoritairement) qu’un tiers de sa production annuelle de 2 millions de tonnes. Pourtant, le gouvernement a rappelé en juin son ambition de passer à au moins 50 % de transformation d’ici à 2025. Dans ce contexte, l’expérience Cémoi peut-elle servir d’étalon ? Si elle est encourageante, elle témoigne aussi des défis qui se posent à un secteur aujourd’hui forcé de se réformer pour être plus durable, mieux résister aux variations des cours mondiaux des matières premières et être davantage rémunérateur pour les producteurs.

Nous sommes un petit acteur, mais nous maîtrisons toute la chaîne de valeur

Modèle de proximité

Cacao en poudre, carrés pour le café, bâtons boulangers, pâte à tartiner et peut-être, bientôt, cajou et mangue confite enrobés : la principale réussite de Cémoi est de démontrer qu’il est possible de réaliser sur place toute une gamme de produits chocolatés. Il y a sept ans, au moment du lancement de l’usine représentant un investissement de 8 millions d’euros, beaucoup en doutaient. Mais les chiffres sont là : le site, qui broie environ 70 000 tonnes de fèves par an, produit 10 000 tonnes annuelles de chocolat.

Employant 1 000 salariés et mobilisant un réseau de 60 000 planteurs, il réalise environ 230 millions d’euros de chiffre d’affaires par an. « Nous sommes un petit acteur, le volume de nos achats de fèves ne représente que 3 % du marché national, mais nous maîtrisons toute la chaîne de valeur », souligne Lona Ouali, le directeur général de Cémoi Côte d’Ivoire depuis bientôt trois ans.

IL NOUS FAUT AUGMENTER CONSIDÉRABLEMENT NOS VENTES

Implanté dans le pays depuis 1996, le groupe y a développé un modèle de proximité éprouvé en Amérique du Sud par sa filiale Kaoka. Il est ainsi présent sur le terrain aux côtés de coopératives affiliées et partenaires, assurant soutien technique, formation et paiement d’une prime de qualité (120 francs CFA le kilo). Cela lui permet de garantir la traçabilité des fèves qui arrivent à son usine, où elles sont contrôlées avant d’être traitées et transformées en pâte, beurre et poudre de cacao.

Si la majeure partie de cette production est exportée en Europe pour alimenter les autres sites du groupe, le reliquat continue son chemin dans la chocolaterie (aux standards internationaux) qui jouxte l’usine et ressort sous forme de produits finis vendus en Côte d’Ivoire mais aussi au Sénégal, au Burkina Faso, au Mali, au Bénin, au Gabon et en République centrafricaine.

« Notre modèle combine transparence de l’approvisionnement, qualité du produit et juste rémunération des producteurs, le maillon faible de la chaîne aujourd’hui. En cela, il répond aux exigences des autorités locales, qui souhaitent redonner du pouvoir aux planteurs, et à celles de l’Europe, qui appelle à la construction d’une filière plus durable », reprend Lona Ouali, ancien de Barry Callebaut qui a rejoint Cémoi en 2008.

L’usine qu’il dirige a aussi été la première dans le pays à se lancer dans la production de cacao bio, sur une surface toutefois modeste de 10 hectares. Elle a également testé avec succès le paiement par voie électronique des coopératives, une innovation qui doit limiter les pratiques opaques en vigueur et que les grands acteurs du secteur se sont engagés à adopter. Actions de reboisement et promotion de l’agroforesterie font aussi partie de l’ADN du groupe.

Créer la demande locale
Malgré ces points positifs, l’expérience Cémoi a aussi ses limites. La plus sensible d’entre elles : être encore trop modeste en termes de volume pour atteindre la rentabilité. « Il nous faut augmenter considérablement nos ventes, en particulier celles réalisées localement, en développant des produits de qualité tout en restant accessibles », résume Lona Ouali, qui table sur la multiplication par cinq de la consommation dans les dix prochaines années.

Or, malgré l’essor de la classe moyenne et l’émergence d’une appétence pour le chocolat dans la sous-région, la consommation demeure faible et variable d’un pays à l’autre : si elle se monte en moyenne à un kilo par an et par habitant au Sénégal et au Cameroun, le chiffre tombe à 150 grammes en Côte d’Ivoire.

En lien avec ce défi de création de demande locale, Cémoi doit innover dans la conception de ses recettes pour les adapter au climat et aux habitudes alimentaires. Cela signifie, par exemple, favoriser les produits à base de poudre de cacao, plus digestes lorsqu’il fait chaud, au détriment de ceux contenant du beurre ou encore remplacer les noisettes par des noix de cajou dans la pâte à tartiner.

LES RÈGLES DOUANIÈRES EN VIGUEUR, ENCOURAGEANT LE COMMERCE OUEST-AFRICAIN, NE SONT PAS APPLIQUÉES

Un important travail doit aussi être effectué sur les formats, les contenants et les canaux de distribution, un point sur lequel le groupe a investi récemment en poussant ses produits dans les supermarchés, supérettes et boutiques de quartiers. « C’est couteux et difficile en raison de la forte concurrence existante avec des produits importés de moindre qualité mais aussi moins chers », concède le DG du chocolatier.

Expansion sous-régionale
Autre écueil, l’essor du modèle Cémoi reste tributaire de la stratégie cacao déployée par les pouvoirs publics. Pour le chocolatier, les incitations (notamment fiscales) et les mesures prises vont dans le bon sens, encourageant les implantations d’usine et les investissements pour augmenter les capacités de broyage. Même constat sur le travail effectué par le régulateur du secteur, le Conseil café-cacao. Cela dit, la modernisation en cours doit se poursuivre, en particulier sur deux points délicats mais clés pour Cémoi : la consolidation des coopératives et la suppression des intermédiaires. Une bataille loin d’être gagnée.

En outre, le statut particulier du groupe – un chocolatier de taille modeste sur un marché dominé par des géants du négoce – demeure un handicap : il est par exemple soumis comme tous les acteurs au système de couverture de contrat à long terme quand, pour conquérir de nouveaux marchés, il aurait besoin de flexibilité et de pouvoir honorer des contrats à court terme.

Le dernier obstacle à surmonter, et non des moindres, tient à la difficulté de construire une expansion sous-régionale. Barrières douanières, contraintes logistiques, coût de l’approvisionnement en sucre (composant indispensable des recettes) rendent l’ouverture de nouveaux marchés lente et complexe. « Force est de constater que les règles douanières en vigueur, encourageant le commerce ouest-africain, ne sont pas appliquées. Sinon il n’y aurait pas autant d’obstacles qui nous empêchent, dans les faits, de vendre au Nigeria par exemple », conclut Lona Ouali.

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