Estelle Maussion – Envoyée spéciale à Abidjan
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Incarnation de la coopération entre la Côte d’Ivoire et le Maroc, l’opération de réhabilitation et de valorisation de la baie reliant le Plateau à Cocody doit renforcer l’attractivité de la capitale économique ivoirienne. Mais si certains chantiers sont bouclés, le chemin est encore long.
Faire de la baie de Cocody la vitrine d’Abidjan aux côtés de la cathédrale Saint-Paul, du stade Félicia (tout juste rénové) et du cinquième pont, ouvrage à haubans flambant neuf (inauguré en août). Tel est l’objectif du projet de réhabilitation et d’aménagement de cette partie de la lagune Ébrié qui relie les deux communes centrales de la capitale économique ivoirienne que sont le Plateau et Cocody.
Lancé en 2016 et chiffré à 450 millions de dollars dans sa première phase, ce vaste programme, qui prévoit la réalisation d’infrastructures, puis la mise en valeur de la baie, se veut aussi un modèle de coopération Sud-Sud, fruit d’un partenariat entre le Maroc et la Côte d’Ivoire et preuve de la vitalité des relations entre les deux pays. Même s’il doit bientôt entrer dans sa seconde phase, celle de la valorisation de la baie, le projet continue cependant de susciter des interrogations, notamment sur sa capacité à créer un futur lieu de vie durable et inclusif.
Travail titanesque
Présenté en juin 2015, lors de la visite officielle du roi du Maroc en Côte d’Ivoire, le projet, qui tient à cœur à Mohammed VI et à Alassane Ouattara, doit permettre à Abidjan de reconquérir sa lagune – lieu de vie dans les années 1970, avant d’être délaissée –, et à Rabat de démontrer son savoir-faire en matière d’aménagement du territoire, tout en renforçant son empreinte en Afrique de l’Ouest.
Pour réussir leur pari, les promoteurs, le gouvernement ivoirien – avec le projet de sauvegarde et de valorisation de la baie de Cocody et de la lagune Ébrié (PABC) –, et la partie marocaine – à travers l’agence Marchica Med (aménageur de la lagune de Nador, dans le nord-est du royaume) – , se sont engagés sur une série de travaux : drainage, construction de digues, création de plateformes au niveau de la baie mais aussi réalisation du cinquième pont, modernisation du carrefour de l’Indénié, ouverture de l’embouchure de Grand-Bassam… « C’est un travail titanesque, l’action sur la baie incluant une demi-douzaine de projets », commente Souleymane Djandé, qui a travaillé sur le programme jusqu’en 2022 en tant qu’architecte résident du cabinet marocain Synaps.
Sept ans après son lancement, les promoteurs mettent en avant le chemin parcouru, en dépit des difficultés liées à la pandémie de Covid-19. « La première phase du projet, qui comptait d’importants travaux d’infrastructures dont la réalisation du cinquième pont, est bouclée à 90 % », se félicite Ali Zaki, le directeur de la coopération internationale de Marchica Med, rappelant le rôle d’assistance institutionnelle, technique et financière joué par l’agence marocaine.
Les 450 millions de dollars ont ainsi été levés, à l’issue d’un road-show, auprès d’un pool de financeurs arabes comprenant, entre autres, la Banque islamique de développement (BID), auxquels se sont ajoutées des contributions du ministère des Affaires étrangères marocain et du gouvernement ivoirien. L’enveloppe a permis la réalisation de plusieurs chantiers.
Traitement des eaux
Outre le cinquième pont, inauguré en août – le pont Alassane-Ouattara, construit par l’entreprise chinoise China Road and Bridge Corporation (CRBC) –, il y a eu le dragage et le nettoyage de la baie permettant la création de 20 hectares de plateformes, le réaménagement du carrefour de l’Indénié avec la pose en amont de dégrilleurs afin de retenir les déchets solides charriés par les eaux venant de la ville et la création d’une coulée verte, livrée début 2023, entre la baie et la forêt du Banco. L’ouverture de l’embouchure de Grand-Bassam doit être, quant à elle, finalisée avant la fin de l’année. « Nous avons exporté les meilleures pratiques issues des projets de Bouregreg à Rabat et de Marchica à Nador en les adaptant au contexte ivoirien », souligne Loubna Boutaleb, qui vient de succéder à Saïd Zarrou à la direction générale de Marchica Med.
Il reste cependant fort à faire. En août, le ministre ivoirien de l’Hydraulique, de l’Assainissement et de la Salubrité, Bouaké Fofana, a mis l’accent, sur la nécessité d’investir dans le traitement des eaux usées afin d’éliminer les odeurs et l’insalubrité qui pénalisent le site aujourd’hui, reconnaissant qu’une trentaine d’arrivées d’eaux usées ont été identifiées sur l’ensemble de la lagune.
Deux chantiers en cours et devant être livrés prochainement – une station située au niveau du carrefour de l’Indénié pour traiter les eaux usées des quartiers Yopougon et Abobo, ainsi qu’un barrage écrêteur à Williamsville – doivent contribuer à améliorer la situation. Une étude de 2019 avait fait état d’un volume de 75 000 tonnes de déchets plastiques se déversant chaque année dans la lagune alors que les résultats des mesures de la qualité de l’eau, réalisées par le Centre ivoirien antipollution (Ciapol), ne sont pas rendus publics. Des progrès en la matière semblent pourtant indispensables pour donner sa chance au second volet du projet d’aménagement de la baie de Cocody : sa mise en valeur.
Utilité sociale
Sur ce point, selon les différentes déclarations officielles, il était question de faire de la baie à la fois un « lieu de vie » et un « lieu mythique » d’Abidjan grâce à la création d’une marina, d’un espace de jeux et de loisirs, d’une zone de chalandise avec cafés, restaurants et magasins, le tout articulé avec des habitations, des espaces verts et le départ de la coulée verte. Si Marchica Med mise sur le lancement prochain de cette seconde phase, le porteur du projet côté ivoirien, le PABC, n’a pas été en mesure de le confirmer, laissant planer le doute sur l’évolution possible des plans.
Au-delà de l’élan politique nécessaire à l’avancée du dossier, qui peut avoir été ralenti par le récent remaniement ministériel, en octobre, qui a vu le gouverneur du district d’Abidjan, Robert Beugré Mambé, remplacer Patrick Achi au poste de Premier ministre, les promoteurs doivent également régler la question du financement dans un contexte où la Côte d’Ivoire a déjà fait beaucoup d’efforts pour préparer la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui se tiendra en Côte d’Ivoire, du 13 janvier au 11 février prochains. Autant de facteurs qui expliquent l’impression d’un projet de baie de Cocody en sommeil ces derniers mois, à l’image des panneaux de promotion du programme, poussiéreux, que l’on aperçoit le long du boulevard De-Gaulle.
« L’engouement pour le cinquième pont, sur lequel on voit les habitants se prendre en photo, montre qu’un nouvel espace peut vite être adopté par la population et qu’il y a un besoin social de se retrouver autour d’équipements urbains communs », commente un architecte ivoirien qui voit dans la réhabilitation de la baie le moyen de faire en sorte que les habitants arrêtent de tourner le dos à la lagune.
« Le projet de valorisation, tel qu’il a été conçu, est fondé sur la promotion immobilière en vue de renforcer l’attractivité de la ville. Plutôt qu’une exploitation semi-privée de la zone, on aurait pu choisir de parier sur l’animation d’un espace public, vert et ouvert à tous, tourné sur les essences locales, la mangrove et les transports doux comme la marche et le vélo », commente, plus critique, un urbaniste. Faire la preuve de son utilité urbaine et sociale, ce sera aussi le défi de la future baie de Cocody.
Source: JeuneAfrique
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