Aïssatou Diallo – à Abidjan
Africa-Press – Côte d’Ivoire. En 2022, la saisie de deux tonnes de cocaïne à Abidjan et à San Pedro, et le démantèlement d’un vaste réseau de trafiquants, avait tenu les Ivoiriens en haleine. Un procès de plusieurs mois, devant le tribunal du pôle pénal économique et financier, avait abouti le 7 mai 2024 à la condamnation de 13 des 19 accusés à 10 ans de prison. C’est donc dans une salle d’audience bondée du palais de Justice, situé dans le quartier du Plateau, que s’est ouvert l’appel, le 7 février.
À la barre, 12 prévenus sont présents. Avant même le début des débats, les avocats de la défense soulèvent l’absence de l’accusé numéro un: Miguel Angel Devesa Mera. C’est lui qui, en première instance, avait avoué être à la tête du réseau. Il avait écopé de 50 millions de F CFA d’amende et 60 milliards de F CFA de dommages et intérêts à verser à l’État.
Alors que tous ses 18 coaccusés avaient plaidé non coupable, l’ancien policier espagnol, reconverti dans le narcotrafic, avait décidé d’assumer sa part de responsabilité. Très bavard et coopératif, il avait permis de disculper ou de confondre certains accusés. À tel point que plusieurs avocats avaient estimé que leurs clients n’étaient condamnés qu’en raison du témoignage de l’ex-policier, Miguel Angel Devesa Mera. « Il faut qu’il soit là pour réitérer les accusations qu’il a portées contre ses pairs », a insisté l’un des avocats, le 17 février.
168 kg dans des sachets noirs
La juge, devant laquelle s’entassent des piles de dossiers, déclare qu’il sera présent lors des prochaines audiences. Hommes d’affaires, agents des forces de l’ordre, fonctionnaires civils… Beaucoup de personnalités en vue sont également inculpées. Pendant plus d’une heure, la magistrate lit un rapport qui résume l’enquête et ce qui leur est reproché, avant que ne commence l’audition de Gustavo Alberto Valencia Sepulveda, l’homme par qui l’affaire a été révélée. En plus des charges de trafic international de cocaïne, il est poursuivi pour coups et blessures: il plaide coupable.
Le 15 avril 2022, la police a été alertée par une prostituée. Un de ses clients aurait refusé de la payer et lui aurait proposé de la cocaïne. C’est lors de l’interpellation de Gustavo dans cette affaire qui n’avait aucun lien avec le trafic de drogue, que les agents ont découvert dans la maison qu’il occupait, 168 kg de cocaïne, emballés dans des sachets noirs avec des logos Mercedes. Les téléphones retrouvés sur les lieux ont permis de remonter le fil jusqu’à San Pedro, où plusieurs autres kilos de cocaïne ont été retrouvés dans une villa.
Aujourd’hui encore, le Colombien, qui était déjà cité aux côtés de Devesa Mera dans l’affaire « Air cocaïne », qui a éclaté au Mali en 2013, se présente comme un « majordome », simplement chargé de surveiller une partie de la drogue. Il nie être celui qui était chargé de « vérifier la qualité du produit », ni d’en être « l’exportateur ».
Pendant plusieurs heures, les accusés défilent à la barre. Les Espagnols Aitor Picabea et José Maria Cadabal Muniz, qui travaillaient dans la société Kibor Africa, sont longuement entendus. Tous les deux nient avoir été au courant des activités illégales de Devesa Mera et le second affirme être venu au port de San Pedro pour travailler.
« Parlez-nous de votre naufrage avec ce bateau près des côtes ghanéennes », demande la juge. « Nous étions allés pêcher et nous avons eu un problème. Nous avons été secourus par un autre navire », répond Cadabal Muniz. « Miguel dit que le bateau devait servir à ses activités. Pour lui, le jour où vous êtes tombés en panne, vous meniez une opération pour aller récupérer de la drogue », renchérit la magistrate. L’homme insiste sur le fait que ses relations avec Devesa n’étaient plus au beau fixe depuis la panne du bateau et qu’il avait pris ses distances. « Miguel m’en voulait. C’est pour cela que je me retrouve ici. »
Zones d’ombre
Prenant la parole, son avocat tente de démontrer que son client a bien travaillé au port et a contribué à effectuer des relevés pour en augmenter la profondeur. « Que s’est-il passé le jour de votre arrestation ? », demande l’avocat. « Miguel m’a appelé trois jours avant pour me proposer d’aller voir des projets de construction à Assinie et d’y passer le week-end. Au début, j’ai refusé, car j’avais d’autres projets avec ma femme. Mais face à son insistance, j’ai fini par céder et y aller », explique l’accusé, en tentant d’expliquer qu’il ne voulait pas quitter le pays. « Vous n’étiez donc plus en froid avec Miguel, car il vous a proposé d’aller à Assinie ? », ironise l’avocat général.
Les avocats de la défense ont tenté de souligner plusieurs zones d’ombre, portant notamment sur la quantité exacte de drogue saisie et sur les conditions de sa destruction. Ils ont également soulevé le manque de preuves pour certains accusés et levé des questions de forme.
C’est le cas notamment des accusations de fraude fiscale qui concernent certains hommes d’affaires. Pour eux, la procédure est irrégulière car, pour ce chef d’accusation, c’est le ministre chargé du Budget, celui des Finances ou encore le directeur du Trésor et de la comptabilité publique qui auraient dû porter plainte. « En réalité, l’État est incapable de justifier ces dizaines de milliards de francs CFA qu’il est en train de demander aux prévenus », a insisté l’un des conseils.
Les débats autour de la fraude fiscale ont donc été reportés à une autre audience. Certains accusés ont comparu libres, comme Hussein Taan, le gérant de la chaîne Des gâteaux et du pain, qui avait été remis en liberté provisoire à la fin de 2023. Le procès reprendra le 24 février, avec la suite de l’audition des accusés.
Source: JeuneAfrique
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