Africa-Press – Côte d’Ivoire. Dans la lutte contre le changement climatique, 2025 est une année charnière. Les 195 États signataires de l’accord de Paris (il faut désormais en retirer les États-Unis) doivent en effet remettre leur deuxième « contribution déterminée au niveau national » (NDC selon l’acronyme anglais), c’est-à-dire leur plan pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à la fin de la décennie. Ils devaient l’avoir finalisé avant le 15 février. À cette date, ils n’étaient que 13 à l’avoir fait dont étonnamment… les États-Unis !
Ce retard général n’affole pas le secrétaire exécutif de la Commission onusienne de lutte contre le changement climatique. Dans un discours donné le 6 février 2025 à Brasilia (Brésil), Simon Stiell a affirmé que la grande majorité des pays allaient bien fournir leur NDC avant la COP30, prévue pour novembre 2025 à Belém au Brésil, arguant qu’il en allait de leur intérêt écologique mais aussi économique. Le secrétaire exécutif en veut pour preuve les 2000 milliards d’investissements dans les énergies renouvelables enregistrés pour la seule année 2024. « Un pays peut reculer, mais d’autres prennent alors sa place pour saisir l’opportunité et en récolter les fruits considérables: une croissance économique plus forte, plus d’emplois, moins de pollution et des coûts de santé beaucoup plus bas, une énergie plus sûre et plus abordable », a déclaré Simon Stiell.
Les énergies fossiles ruinent le climat et détériorent la santé
Ce n’est pas la première fois qu’est affirmé un lien positif entre lutte contre le changement climatique et santé publique. Mais qu’en est-il en réalité ? La baisse des émissions de gaz à effet de serre induit en toute logique une amélioration de la qualité de l’air par la décarbonation de l’activité humaine, la combustion des énergies fossiles générant des polluants provoquant des infections pulmonaires et des maladies cardio-vasculaires. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 7 millions de personnes meurent prématurément de cette cause tous les ans, 48.000 en France selon Santé publique France. Pour réussir à limiter la hausse des températures, les politiques climatiques recommandent par ailleurs de réduire l’usage de la voiture individuelle pour utiliser le vélo et la marche et de diminuer la consommation de viande, l’élevage d’animaux domestiques étant l’une des principales sources méthane et une cause de déforestation. Des règles de vie qui ont fait leurs preuves en matière de santé.
Ces trois « armes » climatiques ont donc des co-bénéfices sur la santé humaine. Le Groupe intergouvernemental des experts pour le climat (Giec) tout comme Simon Stiell parlent de « coûts de santé beaucoup plus bas ». Mais de combien ? « ll nous manquait jusque-là une vision exhaustive des résultats sur cette question des co-bénéfices: les études disponibles sont disséminées, conduites dans des pays variés, les mécanismes considérés ne sont pas toujours les mêmes… », explique Kévin Jean, professeur junior en santé et changements globaux à l’Institut de biologie de l’ENS-PSL.
D’où l’idée d’opérer une revue systématique des études portant sur le sujet. Le résultat, qui vient d’être publié dans la revue Lancet Planetary Health, confirme que lutter contre le changement climatique améliore bien la santé des individus et donc les comptes sociaux des nations. Si le Giec affirmait jusqu’à présent que le coût de l’action pour réduire les émissions de gaz à effet de serre était inférieur au coût de l’inaction, il peut aujourd’hui aller plus loin: l’action n’est pas un fardeau financier, c’est au contraire un moyen d’engranger des bénéfices pour toute l’humanité.
Des millions d’années de vie en bonne santé gagnées
L’École normale supérieure (ENS) s’est associée au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et à la London School of Hygiene and Tropical Medicine pour explorer les archives scientifiques de PubMed, Web of Science et Scopus. « Nous avons identifié plus de 2500 articles où figuraient à la fois les sujets sur la santé et la mortalité évitée d’un côté, l’atteinte de la neutralité carbone ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’autre, relate Léo Moutet, doctorant au Cnam et premier auteur de l’article. Mais 58 d’entre elles exploraient bien les liens entre santé et lutte contre le changement climatique en développant 125 scénarios de décarbonation des activités humaines. »
Ces travaux sont lourds et complexes à mener. En 2021, l’institut énergie du University College London (UCL) a ainsi modélisé les secteurs des transports, de l’énergie, de l’alimentation et de l’agriculture de neuf pays ayant construit leur première NDC au début des années 2020 (Brésil, Chine, Allemagne, Inde, Indonésie, Nigeria, Afrique du Sud, Royaume-Uni et États-Unis) qui ont été reliés aux risques de mortalité attribués à la pollution de l’air, l’alimentation, l’activité physique mesurés dans ces pays. Deux scénarios ont alors été comparés, l’un épousant les tendances actuelles, l’autre s’inscrivant dans les objectifs de l’accord de Paris de réduction des gaz à effet de serre.
Les chercheurs ont ainsi pu déterminer que pour ces 9 pays, les politiques climatiques nécessaires pour rester en dessous de 1,5°C permettraient une diminution de 1,18 million de décès annuels attribuables à l’amélioration de la qualité de l’air, 5,86 millions dus à l’alimentation et 1,15 million imputables à l’activité physique. La même méthode a été appliquée en 2023 à l’Angleterre et au pays de Galles. Le scénario médian d’une réduction de la pollution de l’air associée à une diminution de 50% de la consommation de viande donne un gain cumulatif de 2,5 millions d’années de vie. C’est-à-dire que l’ensemble des populations de ces deux pays y gagne un allongement de leur durée d’existence parce que vivant dans un environnement plus sain et avec un mode de vie plus équilibré.
10.000 décès évités par an en France
Les 58 études reliant les deux sujets donnent des résultats concordants. « 98% de ces scénarios projettent des effets sur la santé qui sont positifs, affirme Léo Moutet. La moitié de ces études projetaient que plus de 1,5% de tous les décès pourraient être évités par ces bénéfices indirects de mesures climatiques. » 1,5% peut paraître un résultat faible, mais c’est à l’aune des résultats obtenus en santé publique à l’échelle du globe. Pour comparaison, les décès liés à l’alcool dans le monde représentent 3% de la mortalité globale. Ce ratio de 1,5% de mortalité évitée est équivalent à 10 000 décès pour la France, ce qui correspond à la part des décès attribuables au cancer du foie.
Ces travaux ne considèrent que les bénéfices indirects sur la santé de la lutte contre le changement climatique. Ils n’examinent pas les effets du changement climatique sur la santé humaine. Les impacts des canicules, sécheresses et tempêtes sur les personnes doivent donc être ajoutés au crédit des politiques d’atténuation de gaz à effet de serre afin d’éviter un climat plus violent. « Les coûts de santé plus bas », évoqués par Simon Stiell sont donc bien réels et importants. Et le Giec devra revoir sa copie lors de son prochain rapport prévu pour 2028. L’action climatique est largement bénéfique et ne saurait être seulement comparée au coût de l’inaction.
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