Afrique : « Il ne faut pas oublier l’archive et l’histoire de l’art »

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Afrique : « Il ne faut pas oublier l’archive et l’histoire de l’art »
Afrique : « Il ne faut pas oublier l’archive et l’histoire de l’art »

Africa-Press – Côte d’Ivoire. La pandémie du Covid-19 a bouleversé bien des choses dans la planète de l’art. Loin d’expériences négatives, elle a aussi permis des opportunités. Ainsi, la Foire Akaa (Also Known As Africa), dédiée aux artistes de l’Afrique et de ses diasporas, et Manifesta, un lieu dédié à l’art contemporain à Lyon, se sont associés pour la deuxième fois pour présenter une exposition-vente qui court depuis avril et qui devrait se terminer le 26 mai. Son nom : À rebrousse-temps*. Elle propose de découvrir dans la capitale des Gaules une cinquantaine d’œuvres de quatorze artistes, autour du thème du temps.

On retrouve, par exemple, les photographies travaillées d’Omar Victor Diop, qui tisse des liens entre les époques au travers de ses autoportraits, les grandes toiles de Jean-David Nkot, qui pose les questions de la condition humaine à travers des personnages immergés dans une cartographie complexe, etc. Aux grands formats des peintres figuratifs Fahamu Pécou et Boluwatife Oyediran répondent les collages poétiques de Christina David et les œuvres de Marie-Claire Messouma Manlanbien, qui mélange les matières et explore les signes.

Victoria Mann, directrice d’AKAA, se confie au Point Afrique sur les pistes et réflexions que cette période bien particulière du Covid a engendrées dans son approche et dans celle de ses partenaires. Entretien.

Le Point Afrique : Akaa est de retour à Lyon. Nous sommes loin de son modèle autour d’une foire qui se tient une fois par an à Paris. Quelle réflexion vous a poussée à organiser cette exposition à Lyon ?

Initiatrice de la foire AKAA, Victoria Mann a posé un mix d’exposition avec Manifesta, lieu dédié à l’art contemporain à Lyon.

Victoria Mann :

C’est la deuxième fois qu’Akaa présente à Lyon une exposition-vente. Cette expérience est née de cette crise du Covid que nous avons vécue. En 2020, nous avons fait partie de la vague d’annulations qu’ont connues tant de foires. Céline Melon, directrice de ce lieu, Manifesta, qui a collaboré à la création d’AKAA, nous a proposé d’imaginer un événement à Lyon avant la foire suivante d’AKAA, en novembre 2021. J’ai tout de suite saisi l’opportunité. Deux ans sans rien faire, c’est trop long ! On s’est donc inspirés de son modèle à elle, un lieu d’art et d’évènementiel.

Pour le premier événement, il était important de faire face à deux obstacles en même temps : le premier, de ne pas rassembler plus de 1 000 personnes en trois jours ; le second, de travailler avec des galeries qui ne pouvaient pas se déplacer. Nous avons imaginé un modèle totalement hybride, très différent de la foire, en proposant une exposition-vente.

Pour la foire AKAA à Paris, nous définissons un fil rouge. Pour la première année, le thème portait sur l’imaginaire émancipé. Armelle Dakouo, directrice artistique chez AKAA, a décidé de créer une expo autour de cette thématique. Nous avons fait une sélection d’artistes et nous sommes allées voir leurs galeristes en leur proposant de faire partie de cet événement, avec une proposition clés en main. Nous organisons tout, du transport entre Paris et Lyon à l’accrochage, la scénographie, les ventes, la communication, mais aussi le décrochage et le retour des œuvres. La galerie collabore avec nous sans avoir forcément besoin d’être présente. Cela lui libère du temps et de l’énergie pour travailler sur d’autres projets et rend la participation possible, dans un contexte de pandémie de Covid. Elle paye un fixe raisonnable, calculé pour couvrir les frais de production de l’exposition (la location de l’espace, les techniciens d’accrochage, la communication…) et on lui demande une commission sur les ventes, chose que l’on ne fait pas lors de la foire, bien entendu.

Pour la galerie, c’est une opération relativement sans risque, le fixe demandé, entre 1 500 et 3 000 euros, selon le nombre d’artistes présentés, pour deux mois d’expo. Pour elle, cela représente aussi une très belle opération de communication, dans une exposition avec un accrochage étudié et une mise en valeur des artistes. Nous avons réfléchi à une opération avantageuse pour tout le monde. L’an dernier, l’exposition a été un beau succès. Avec 13 artistes et 50 œuvres accrochées, nous avons réalisé 380 000 euros de chiffre d’affaires. Pour nous, c’est bien de pouvoir faire quelque chose, à côté de la foire, à un autre moment de l’année, plus léger en production avec moins d’artistes et de galeries.

Pourquoi décider de suivre un fil rouge, À rebrousse-temps*, et d’éditer un livre sur ce thème ?

Nous avons décidé d’arrêter d’imprimer des catalogues de foire, où le contenu n’est pas forcément intéressant. Armelle et moi avons une formation et une carrière en histoire de l’art et nous sommes impliquées dans la mise en valeur de ces scènes artistiques d’Afrique et des diasporas. Pour nous, il est important que le marché se développe, monte en puissance, mais il ne faut pas oublier l’archive et l’histoire de l’art.

Marcel Miracle, L’énigme du déploiement, 2021, 40 x 30 cm, encre sur papier cartonné.

Il manque encore beaucoup d’écrits sur cette histoire contemporaine de l’art d’Afrique. Nous avons trouvé cela passionnant de contribuer à la mise sur papier de cette histoire de l’art. L’idée était de faire un livre d’art, autour d’un fil rouge spécifique développé pour la programmation culturelle de la foire avec une sélection d’artistes présentés (15 sur les 100 exposés). Nous avons invité des auteurs à contribuer par des essais critiques. Les retours ont été vraiment encourageants. De là est venue l’idée d’exploiter ce livre d’art sur une exposition.

Nous aimons ce modèle : avoir notre foire mère à Paris en automne, éditer un livre d’art et le formaliser avec une expo-vente dans l’hiver ou le printemps de l’année qui suit. L’idée est de renouveler l’expérience, peut-être à Marseille, à Toulouse ou quelque part en Europe. Le caractère éphémère du projet nous permet de voyager un peu partout.

Et pourquoi pas en Afrique ?
La foire AKAA à Paris reste votre point d’ancrage. Comment travaillez-vous toute l’année pour l’organiser ?

Notre comité de sélection, qui se réunit début mai, travaille déjà sur la sélection des exposants. Chaque année, on reçoit entre 65 et 80 dossiers de candidature. En général, nous en choisissons entre 35 et 40.

Nous avons aussi toujours trois invitations. Pour la première, l’installation monumentale au cœur de la foire, nous sommes en train d’étudier les propositions. Le deal pour l’espace monumental est que nous offrons les mètres carrés, mais la structure qui appuie l’artiste est chargée de la production. Nous avons un espace carte blanche, où se déroulent toutes nos tables rondes de la programmation culturelle, qui est confié à un artiste et également une carte blanche dans l’espace VIP, qui est généralement proposé à une galerie. Nous sommes également partenaires avec un fonds de dotation, Ellipse Art Projects, qui décerne un prix à un artiste émergent, non représenté en galerie. AKAA fait partie du jury de sélection du lauréat, donc ce lauréat vient pour une exposition personnelle pendant la foire.

Nous commençons à préparer une foire une semaine après l’édition de la précédente. À l’issue de l’événement, nous échangeons toujours avec nos exposants. Il faut aussi tout de suite réfléchir au fil rouge qui marquera l’identité de la foire. En 2022, ce sera le mouvement, autour de trois axes, le premier pris au sens littéral : le geste artistique. Les matières, la fluidité, le son, la vidéo, chaque fois que le mouvement vient s’infiltrer dans le travail. Le deuxième axe : le mouvement dans le temps, avec des artistes qui travaillent sur le dialogue passé, présent, futur. Le troisième grand axe porte sur le mouvement dans l’engagement. Les premiers Afro-Américains émancipés de l’esclavage s’étaient surnommés ainsi : The movement, le mouvement vers la liberté. Un sujet abordé par de nombreux d’artistes.

De nouveau, nous éditerons un livre sur le même modèle que le précédent et une exposition basée sur ce thème suivra . L’idée est de créer au fil des éditions une collection de livres, avec à chaque fois des auteurs invités et des essais critiques. Nous leur laissons carte blanche. Ils peuvent aussi inclure d’autres artistes qui ne sont pas présentés dans la foire mais qui les touchent dans le thème défini.

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