À Yamoussoukro, les municipales, une élection capitale

10
À Yamoussoukro, les municipales, une élection capitale
À Yamoussoukro, les municipales, une élection capitale

Africa-Press – Côte d’Ivoire. DE BOUAKÉ À YAMOUSSOUKRO, L’AUTRE VISAGE DE LA CÔTE D’IVOIRE (3/3) – Pendant une journée, Yamoussoukro est véritablement devenue la capitale, elle qui, depuis quatre décennies, ne l’est que sur le papier, loin des ambassades, des ministères et des entreprises enracinés à Abidjan, à quelques heures de route plus au sud.

Le 8 février, tout a donc changé pour quelques heures, à l’occasion de la cérémonie de remise du prix Félix Houphouët-Boigny-Unesco pour la recherche de la paix à l’ancienne chancelière allemande, Angela Merkel.

Des balais de voitures diplomatiques ont dévalé les avenues à la largeur disproportionnée de la ville. Sa fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix, bâtiment colossal à l’intérieur couvert de marbre importé d’Europe, a été le théâtre de discours et de rencontres politiques qui ont focalisé l’attention médiatique. Les voix de tout le gotha politique ont ensuite résonné dans le lobby de l’hôtel Président, joyaux touristique tombé en désuétude.

« Arracher un grand symbole »
Le fief de Félix Houphouët-Boigny, qui fit de son village natal le théâtre de ces travaux somptuaires au coût jamais réellement évalué, vit depuis toujours dans l’ombre d’Abidjan. Au-delà des clivages politiques, la ville n’en est pas moins extrêmement courtisée et convoitée.

Certes, la capitale administrative ivoirienne, qui compterait environ 400 000 habitants, représente un modeste bassin électoral. Mais peu importe. C’est un symbole qui est en jeu, un héritage que l’on convoite : celui du « Vieux », surnom donné par les Ivoiriens au père de l’indépendance.

« Remporter la mairie au détriment du Parti démocratique de Côte d’Ivoire [PDCI], ce serait arracher un grand symbole », confie un cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix [RHDP]. Le parti présidentiel sait bien la portée que constituerait la prise de cette ville, lieu de référence communautaire pour les Baoulés, dans un centre de la Côte d’Ivoire où le PDCI domine.

Pour les prochaines élections municipales, attendues à la fin de l’année, c’est donc le ministre du Commerce et de l’Industrie, Souleymane Diarrassouba, banquier de formation et natif de la ville, qui a été désigné candidat. N’est-ce pas lui qui, lors des législatives de 2021, était parvenu à l’emporter face à la liste commune PDCI-EDS (Ensemble pour la démocratie et la souveraineté, une coalition pro-Gbagbo) que conduisait Patrice Kouamé Kouassi, dit « KKP », et Baba Sylla ? Le PDCI avait dénoncé des fraudes massives et déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, avant d’être finalement débouté. Aujourd’hui encore, le parti vert et blanc s’insurge contre une élection volée.

Querelles internes
« Si le scrutin est organisé dans les règles, le PDCI conservera Yamoussoukro », assure un baron local du parti. Et de s’interroger : « Comment peut-il en être autrement ? Vous imaginez Yamoussoukro basculer ? » En attendant, l’ancien parti unique a du pain sur la planche. Il doit trancher entre quatre candidats, dont deux se détachent clairement. Le maire sortant depuis une vingtaine d’années, Jean Kouacou Gnrangbé Kouadio, a fait savoir qu’il souhaitait se représenter. Une candidature surprise et très tardive – six mois après la date limite de clôture des candidatures – qui aurait suscité un certain embarras dans les rangs du parti.

Son premier adjoint depuis 2018, qui n’est autre que « KKP », avait pour sa part déposé son dossier dans les temps. « Je l’ai fait avec la bénédiction de Jean Kouacou Gnrangbé Kouadio », précise-t-il, bien incapable d’expliquer la soudaine volte-face de l’édile. KKP regrette « le non-respect de la parole donnée », qu’il dit avoir vécu avec « beaucoup de déception et d’inquiétude ».

« Nous sommes ensemble, il n’y a aucune division. Nous allons nous accorder sur nos divergences de point de vue. Je suis l’aîné, il est de mon devoir de rassembler tout le monde autour du PDCI-RDA. Faisons en sorte que la chaise soit conservée à la maison. Après, nous débâterons débats entre frères », assurait Kouadio au début de mars. Joint par Jeune Afrique, il n’a pas répondu nos sollicitations.

Les deux rivaux de circonstance seront entendus par une commission d’arbitrage interne. Patrice Kouassi Kouamé assure qu’il se rangera derrière la décision du parti, même si elle n’est pas en sa faveur, et qu’il ne se présentera pas en candidat indépendant. « Ce serait du pain béni pour le RDHP. Le symbole que représente Yamoussoukro tomberait définitivement. Le parti prend toute la mesure de cela », assure-t-il.

Ville cosmopolite
De son côté, le RHDP s’appuiera sur Augustin Thiam, gouverneur du district autonome de Yamoussoukro depuis 2011. Ce petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny a rallié le RHDP au début des années 2000, promettant de faire le lien avec la chefferie baoulée – il est chef traditionnel –, qui conserve une forte influence sur les électeurs.

La ville n’en demeure pas moins très cosmopolite. Dans les années 1960, beaucoup de Malinkés ont quitté le nord du pays pour participer à la construction de Yamoussoukro et sont restés. D’autres sont arrivés plus tard, pendant la crise postélectorale de 2010-2011, et de nombreux ressortissants des autres pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) continent de s’y installer.

Lors de la dernière présidentielle, en octobre 2020, la capitale administrative s’était violemment embrasée. Au moins quatre personnes avaient été tuées dans des heurts dans un contexte de rejet de l’opposition à un troisième mandat du président Alassane Ouattara. Un épisode de violences « ponctuelles », explique Augustin Thiam. « Notre ville est une ville de brassage. Vous ne trouverez pas ici une seule famille dans laquelle il n’y a pas eu de mariage entre Malinké et Baoulé. Les communautés vivent en bonne entente, je peux vous l’assurer. »

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Côte d’Ivoire, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here