Africa-Press – Côte d’Ivoire. « Accusé, levez-vous ! » 4/4. À Abidjan, le tribunal militaire reçoit un nombre grandissant de plaintes pour racket. Dans le box des accusés, des policiers et gendarmes, rarement leurs supérieurs. Une corruption du quotidien à laquelle les autorités promettent de mettre un terme.
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[Série] Côte d’Ivoire : « Accusé, levez-vous ! »
Les histoires se confondent lors des audiences correctionnelles du vendredi au tribunal militaire d’Abidjan. Des gendarmes et des policiers, souvent jeunes, se succèdent à la barre pour s’expliquer sur ce permis de conduire confisqué contre un billet, ces 1 000 francs CFA réclamés à un automobiliste lors d’un simple contrôle de routine, ces 5 000 francs pris à un conducteur de taxi collectif ou à un transporteur de produits vivriers contre le passage d’un barrage fictif… Une corruption du quotidien qui plombe les caisses de l’État, lequel estime le manque à gagner annuel entre 100 à 400 milliards de francs CFA (150 millions d’euros à 600 millions d’euros), et mine la confiance – déjà très relative – que les Ivoiriens accordent à leurs forces de l’ordre.
Dans une enquête réalisée en 2017 par Afrobaromètre, un Ivoirien sur deux déclarait payer des pots-de-vin aux agents de police ou de gendarmerie pour éviter des problèmes, et deux-tiers d’entre eux considéraient que signaler un cas de corruption était dangereux, en raison du risque de représailles.
Les autorités ont décidé de s’attaquer à ce fléau en lançant, il y a quelques mois, des opérations « coup de poing » dans les services publiques, en ciblant plus particulièrement les forces de l’ordre. Épiphane Zoro Bi Ballo, le ministre de la Promotion de la bonne gouvernance, du Renforcement des capacités et de la Lutte contre la corruption, a annoncé l’arrestation de 43 agents, dont les procès ont débuté début novembre devant le tribunal militaire.
Pris en flagrant délit
Ces dernières années, le nombre de plaintes reçues par cette juridiction longtemps méconnue a explosé. Est-ce parce que le tribunal a intensifié sa communication sur les réseaux sociaux et rappelle sans cesse la gratuité du dépôt de plainte ? « Le fait est que nous en recevons trois fois plus », répond le colonel Ange Kessi Kouamé, le Commissaire du gouvernement qui a la charge du tribunal depuis plus de vingt ans. La salle d’attente résonne d’histoires dévoilant les ravages de cette corruption du quotidien et le pouvoir que confère l’uniforme. Ange Kessi plaide pour « une tolérance zéro ». « Même quand il n’est question que d’un billet de 500 Fcfa, ces agents doivent être sanctionnés », insiste-t-il.
Ce volontarisme affiché se confronte à de multiples difficultés. « C’est souvent parole contre parole », reconnaissent les magistrats. À une exception près : lorsque le prévenu a été pris en flagrant délit par la brigade anti-racket, ces « bœufs-carottes » qui agissent sur tout le territoire avec des moyens très limités.
Et quand les faits se sont déroulés loin de la capitale économique, les témoins n’ont pas tous les moyens de se rendre au tribunal pour y faire leur déposition. Ange Kessi Kouamé le sait, et réclame la création de nouveaux tribunaux militaires dans les villes de Daloa (Centre-Ouest) et Bouaké (Centre). Cette décentralisation faciliterait et accélèrerait les enquêtes à l’intérieur du pays, explique-t-il.
Dernière difficulté, et pas des moindres : parvenir à mettre un terme à un système de prédation parfois orchestré par les supérieurs hiérarchiques des accusés. « Que pouvons-nous faire s’ils ne nous en parlent pas ? Ils doivent dénoncer, donner des noms, nous alerter, pour que nous puissions enquêter, mais ils ne le font pas », déplore le colonel. Qu’à cela ne tienne. Le ministre Épiphane Zoro Bi Ballo a promis que « des noms vont tomber ».
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