Coups d’État en Afrique: Normaliser l’anomalie?

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Coups d'État en Afrique: Normaliser l'anomalie?
Coups d'État en Afrique: Normaliser l'anomalie?

Martin Kevin

Africa-Press – Côte d’Ivoire. La multiplication des coups d’État militaires au cours des dernières années a forcé une question inconfortable sur la table de la géopolitique africaine: faut-il normaliser, ou du moins, accorder une reconnaissance pragmatique à ces renversements de pouvoir face à l’échec des gouvernements civils? Loin d’être une simple affaire de droit, ce débat est au cœur des crises de gouvernance, de la souveraineté et de la sécurité du continent.

Le coup d’État, symptôme d’une démocratie bloquée

L’argument le plus puissant en faveur d’une reconnaissance pragmatique réside dans l’échec évident de la démocratie électorale dans de nombreux États. Quand les constitutions sont modifiées pour permettre des troisièmes mandats, quand la corruption gangrène les institutions et que les élections sont perçues comme de simples façades, les mécanismes d’alternance pacifique sont neutralisés.

Le coup d’État apparaît alors non pas comme un idéal, mais comme une solution pragmatique et, pour certains, le dernier recours pour rompre la continuité d’un pouvoir autocratique. L’accueil souvent massif et bruyant réservé aux militaires par une partie de la population n’est pas une adhésion au régime militaire, mais un rejet explicite et profond du régime civil déchu, jugé incompétent et déconnecté des réalités sociales.

La vague de putschs qui a balayé le continent depuis 2020 le démontre: du Mali (double coup d’État) au Burkina Faso (double coup d’État), en passant par la Guinée, le Niger, le Soudan et le Gabon, la principale cause évoquée par les militaires est la dégradation de la sécurité ou la corruption endémique des régimes renversés.

Un exemple plus récent, celui de Madagascar, illustre cette dynamique. La révolte militaire qui a conduit à la destitution du Président Andry Rajoelina fait suite à des semaines de contestation populaire contre la pauvreté et les coupures d’électricité. La force militaire agit comme un arbitre face à un vide politique, gagnant le soutien de milliers de manifestants (souvent issus de la « Gen Z »).

Dans la ceinture sahélienne, la dégradation sécuritaire a servi de catalyseur: les armées se sont posées en garantes d’une reprise en main « musclée » de la souveraineté, rejetant une coopération sécuritaire occidentale jugée inefficace et affirmant un discours panafricaniste fort.

Le danger institutionnel de la normalisation

Malgré le mécontentement populaire légitime, la normalisation des coups d’État est une voie périlleuse qui menace les fondations de l’État de droit.

Le principal risque est la destruction de la légalité. Normaliser la prise de pouvoir par la force, c’est envoyer un signal clair: l’armée, par la force brute, est l’arbitre ultime du pouvoir politique. Cela condamne le continent à un cycle d’instabilité chronique.

Le cas de Madagascar est d’autant plus pertinent qu’il illustre le danger du cycle de l’instabilité: le Président Rajoelina, récemment destitué, était lui-même arrivé au pouvoir en 2009 à la faveur d’un coup d’État. Cette histoire montre que la fausse promesse de restauration des régimes militaires s’éternise fréquemment et que ces derniers peuvent devenir aussi autoritaires et corrompus que ceux qu’ils ont renversés.

Sur le plan économique, cette instabilité est un poison. Elle freine l’investissement étranger et local, maintenant un climat de risque permanent qui handicape la croissance. La multiplication des coups d’État crée un effet de contagion et une instabilité régionale, qui, combinés, entraînent un isolement diplomatique et la suspension de l’aide internationale, pénalisant en fin de compte les citoyens les plus vulnérables.

Trouver la voie au-delà de l’anomalie

Faut-il normaliser l’anomalie? La réponse est non. Normaliser les coups d’État, c’est sacrifier l’institutionnel à l’émotionnel et garantir l’instabilité structurelle à long terme.

Toutefois, la récurrence de ces événements nous oblige à normaliser l’analyse de leurs causes. Les organisations régionales comme la CEDEAO et l’Union africaine (UA) doivent impérativement réformer leur cadre normatif, car leurs sanctions actuelles se sont révélées inefficaces et souvent incohérentes (le Tchad ayant par exemple bénéficié d’une plus grande indulgence de l’UA après la prise de pouvoir de Mahamat Déby en 2021).

Le véritable défi, loin de toute vaine normalisation, est de construire des institutions régionales assez fortes pour prévenir les dérives autocratiques et les changements inconstitutionnels avant qu’ils ne provoquent un coup d’État. Pour y parvenir, il est impératif de garantir une véritable bonne gouvernance et une reddition de comptes des élites civiles, tout en offrant des mécanismes d’alternance crédibles qui répondent aux aspirations de la jeunesse africaine.

Tant que les urnes seront perçues comme truquées et les dirigeants comme illégitimes et incompétents, la tentation d’une solution militaire restera présente. L’Afrique doit trouver une voie qui honore ses idéaux démocratiques sans sombrer dans le chaos de la légitimité par les armes.

Source: allAfrica.fr

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