Intellectuels authentiques vs pseudo-intellectuels

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Intellectuels authentiques vs pseudo-intellectuels
Intellectuels authentiques vs pseudo-intellectuels

Africa-PressCôte d’Ivoire. Certains internautes n’ont pas hésité à rendre les « intellectuels » africains responsables des

malheurs du continent après que l’historien camerounais Achille Mbembe eut accepté de

copiloter le sommet de Montpellier (8 octobre 2021). Ils les ont qualifiés de corrompus et de

vendus.

Cette généralisation me semble hâtive et abusive et, donc, irrecevable parce que tous les

Africains ayant fait des études supérieures ou travaillant à l’université comme enseignants ou

chercheurs ne sont pas pourris, complexés, traîtres ou truqués. Se trouvent en Afrique et dans la

diaspora africaine des intellectuels lucides, patriotes et libres. Ceux-là, les plus nombreux

d’ailleurs, Fabien Eboussi les appelle “les intellectuels authentiques” parce qu’ils “ont résisté aux

séductions de l’intégration, ont refusé de se renier, de se truquer, sont restés sur la brèche, entre

le passé et l’avenir, entre deux mondes… sont demeurés des êtres réels, des humains”. Eboussi

poursuit : “Il y faut une double rupture avec la servilité et la complaisance avec les mythes de

l’altérité et de l’identité. Ce deuxième degré de courage fait du paria conscient un solitaire absolu

et peut entraîner pour lui bien des privations et des tracas. En un sens, il est du côté des vaincus.”

Cet intellectuel authentique ou paria conscient, le philosophe camerounais l’oppose au “pseudo-

intellectuel [qui] veut s’intégrer dans les réseaux administratifs, entrer dans les circuits où se

stockent et se redistribuent les biens rares, les honneurs et les plaisirs”. Et Fabien Eboussi de

conclure : “Comme tout parvenu, le pseudo-intellectuel africain est un être qui ne s’accepte pas,

qui élude la confrontation sérieuse avec lui-même et avec le modèle auquel il s’est identifié au

mépris de soi et des siens. Il n’est nulle part, à force de vouloir être partout. Vis-à-vis des siens, il

se croit la mission de les éclairer, de les refaire comme du dehors, en vertu des connaissances et

de l’autorité qu’il a acquises auprès des détenteurs de la modernité. Il adopte, sans les situer, tous

les discours humanistes de l’universalité, et en use comme d’un instrument de jugement

péremptoire. Cela lui fait faire l’économie de s’investir dans l’exploration du réel, pour n’avoir

plus qu’à subsumer le particulier sous le général ou à accuser le réel et la vie qui refusent de se

laisser enfermer dans des cadres préconçus, des concepts oublieux de leur engendrement et des

problèmes dont ils sont les solution. La violence et la méconnaissance vis-à-vis de là où il vient

lui sont consubstantielles : la honte de soi l’accompagne sourdement. Vis-à-vis des autres, c’est

la complaisance qui domine, l’absence du sens critique et historique.” (cf. ‘Lignes de résistance’,

Yaoundé, Clé, 1999, pp. 36-42).

Comme on peut le voir, les intellectuels ne sont pas d’abord les détenteurs d’un parchemin et/ou

d’un titre académique, ni des agitateurs d’idées mais ceux qui, en plus d’épouser la cause et les

combats du peuple, “mettent leur tête sur le billot en assumant la difficile tâche de protester

pendant que d’autres se taisent prudemment ou n’ouvrent la bouche que pour flatter les

détenteurs du pouvoir” (Melchior Mbonimpa , « Un intellectuel organique ? » dans Ambroise

Kom, ‘Fabien Eboussi Boulaga, la philosophie du Muntu’, Paris, Karthala, 2009, p. 175).

Certains de ses admirateurs se demandent pourquoi Achille Mbembe a été plus insulté que les

chefs d’État africains qui ont coutume de répondre aux convocations de l’ancien maître. Je n’ai

jamais été complaisant avec les dirigeants français et les dictateurs africains. En témoignent tous

mes écrits.

Chaque fois que Mbembe a fait une bonne chose, je ne me suis pas privé de le féliciter. Par

exemple, jai fait en 1988 une élogieuse recension de son essai « Afriques indociles » dans la revue

congolaise « Telema ». J’ai applaudi quand il a dit dans « Telerama » du 8 octobre 2010 que les

Africains devraient oublier la France qui, selon lui, n’était pas le centre du monde. Aujourd’hui,

je suis étonné qu’il vole au secours de la même France qu’il pourfendait hier. Cette incohérence

et cet aplatissement devant un pays dont on a pourtant dit qu’il ne valait rien et qu’il ne pouvait

rien offrir aux Africains, je ne puis les supporter. Mbembe est indiscutablement talentueux mais

il n’est pas le plus intelligent, ni le plus diplômé, ni celui qui a écrit le plus de livres en Afrique.

Qu’est-ce qu’il possède de plus que Aminata Traoré, Boubacar Boris Diop ou Mamadou

Koulibaly ? Ceux qui pensent qu’il est jalousé sont tout simplement ridicules.

 

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