Aïssatou Diallo
Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’ancien ministre de la Réconciliation Sébastien Dano Djédjé, aujourd’hui président exécutif du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire, était aux premières loges de l’arrestation du chef de l’État, en 2011.
C’était le 11 avril 2011, aux environs de 11 heures. Cela faisait près d’une semaine que ma famille et moi étions cachés chez un ami, non loin de notre domicile, quand son épouse a fait irruption dans la chambre en s’écriant: « Sébastien ! Sébastien ! On a arrêté le président ! » Tout se bouscule dans ma tête. Dans quel état est Laurent Gbagbo ? Est-il vivant ?
Il avait passé une semaine sous les bombes lorsque les camps militaires ont été attaqués. Depuis ma maison, qui n’était pas très loin du camp militaire d’Akouédo, on entendait tout. C’était assourdissant, effrayant. Je n’osais pas imaginer comment il vivait ce moment depuis la résidence présidentielle. Au début, lorsqu’il y avait une accalmie, j’appelais et on me rassurait: « Il est vivant. » Puis, il est devenu impossible de joindre qui que ce soit. Nous étions tous cachés et il ne fallait pas prendre le risque d’exposer les camarades.
Affrontements à Abidjan
Les rebelles avaient envahi la ville. Nous, les cadres du Front populaire ivoirien, étions menacés, et certains avaient réussi à se réfugier au Ghana. Mais la route était devenue dangereuse. C’est depuis ma cachette que j’ai appris qu’ils avaient pillé ma maison à Gagnoa. En tant que ministre de la Réconciliation, j’avais acheté des machettes pour les distribuer à des coopératives agricoles. Puis la crise est survenue, et ce matériel est resté chez moi. Lorsqu’ils l’ont découvert, ils ont dit qu’il y avait des armes chez moi. Sans compter que j’étais le directeur de campagne de Laurent Gbagbo à Gagnoa et qu’il y avait des affiches ou encore des tee-shirts de campagne partout. Ma maison a été mise à sac et a failli être brûlée.
C’est après tous ces moments d’incertitude et d’angoisse que Gbagbo a été arrêté. Lorsqu’on me l’a annoncé, j’ai demandé à mon épouse et à mes enfants de rester dans la chambre et je me suis rendu dans le salon pour regarder les images qui passaient en boucle à la télévision. Je suis resté les yeux fermés pendant plusieurs minutes, et lorsque j’ai fini par les ouvrir, j’ai vu des images du ministre Désiré Tagro, la mâchoire en lambeaux. Il y avait du sang partout. Puis, il y avait tous ceux qu’on avait tabassés, déshabillés, humiliés. Le gouverneur Philippe-Henri Dakoury-Tabley, le magistrat Yanon Yapo ou encore Jean-Jacques Béchio… On les maltraitait avant de les emmener à l’hôtel du Golfe.
Résidence surveillée
Là aussi, il fallait traverser la horde de rebelles pour rejoindre la salle. Michel [le fils de Laurent Gbagbo] a reçu des coups de couteau, et Gbagbo lui-même a été protégé avec une cagoule et un gilet pare-balles. Je l’ai vu dans la chambre où son épouse, Simone, et lui avaient été installés. Je suis très émotif, mais ce jour-là je n’ai pas pleuré. La seule chose que j’ai dite, c’est: « Merci Dieu. Gbagbo est sorti vivant. » Il y avait une forme de soulagement après son arrestation, car, s’il lui arrivait quelque chose, on connaissait les responsables. Puis, ils l’ont emmené à Korhogo.
C’était la liesse populaire chez nos adversaires. Il y avait également des pillages dans la ville. On a arrêté Gbagbo, et nous étions devenus orphelins. Les images de son arrestation m’ont longtemps hanté. Quelque temps après, le ministre Alcide Djédjé m’a dit au téléphone que l’Onuci acceptait de nous protéger et que nous devions nous rendre à La Pergola. Une fois sur place, la porte s’est refermée, et nous avons pris conscience que nous étions en résidence surveillée. J’y ai retrouvé plusieurs camarades, comme Michel Amani N’Guessan, Yanon Yapo, Pascal Affi N’Guessan, Marceline Obodou, Odette Lorougnon ou encore Danièle Boni-Claverie.
J’y ai passé trois mois. Nous restions dans nos chambres et ne descendions que pour manger. On voyait passer des personnes le visage tuméfié, surtout des militaires. Puis, un jour, le ministre Hamed Bakayoko est venu nous annoncer que certains camarades et moi étions libres. C’était le 18 juin. Les autres ont été conduits en prison, à Boundiali.
Source: JeuneAfrique
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