PDCI de Tidjane Thiam Plus Divisé Que Jamais

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PDCI de Tidjane Thiam Plus Divisé Que Jamais
PDCI de Tidjane Thiam Plus Divisé Que Jamais

Par Alain Aka (à Abidjan)

et Aïssatou Diallo

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Trois jours après la clôture du dépôt des dossiers, le PDCI n’a toujours pas publié sa liste officielle de candidats pour les législatives du 27 décembre. Et les tractations virent aux règlements de comptes entre partisans de Tidjane Thiam et nostalgiques de l’ère Henri Konan Bédié.

Ses prises de parole étaient devenues rares, depuis qu’il a été écarté de la course à la présidence du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Et sa dernière sortie médiatique lui vaut aujourd’hui d’être mis à l’index de manière ferme par la direction du parti. Après avoir démissionné de son poste de conseiller politique de Tidjane Thiam, en mai, Maurice Kakou Guikahué ne s’était plus exprimé publiquement sur la situation de sa famille politique. Mais, dès le lendemain de la date limite de dépôt des candidatures pour les législatives – fixée au 12 novembre –, l’ancien secrétaire exécutif en chef d’Henri Konan Bédié est sorti du silence qu’il s’était imposé.

Dans un entretien accordé à la chaîne 7Info, celui que les militants ont surnommé « Capitaine courage » dénonce l’opacité autour de la désignation des candidats. Pour lui, il n’y a pas de doute: l’objectif était de l’écarter de son poste de député de Gagnoa. En coulisses, plusieurs versions s’affrontent. Mais le résultat n’en reste pas moins le même: Guikahué sera bien candidat, mais en indépendant, tandis que la direction du PDCI, elle, soutient la candidature de Yao Kouamé.

Guikahué accusé de « dérive identitaire »

Maurice Kakou Guikahué a été plus que sévèrement rappelé à l’ordre par la direction du PDCI, dans un communiqué au vitriol diffusé vendredi 14 novembre dans la soirée. Il lui est reproché des « déclarations, répétées et amplifiées, dirigées contre le Parti, ses instances et son président, Tidjane Thiam ».

Pour la direction du PDCI, « sa décision récente de se présenter en candidat indépendant, qui constitue une défiance ouverte contre une décision officielle du parti dont il est pourtant Vice-président, parachève un comportement de dissidence caractérisée », lit-on dans le communiqué signé par Calice Yapo Yapo, nommé la semaine dernière secrétaire exécutif du PDCI par Tidjane Thiam.

Accusé de « dérive identitaire », Maurice Kakou Guikahué a, selon la direction du parti, commis une « faute grave »: « En cherchant à opposer Baoulés, Agnis et Bétés dans sa localité, Guikahué franchit une ligne rouge que le PDCI-RDA ne tolérera jamais. »

Les conséquences de la stratégie du silence

La teneur du communiqué suffit à démontrer l’ampleur de la crise interne, à un peu plus d’un mois des législatives du 27 décembre prochain. Un comité de sélection et un chronogramme ont bien été mis en place pour désigner les candidats retenus pour porter les couleurs du PDCI lors des législatives à venir.

Mais, ce 15 novembre, trois jours après la date butoir, aucune liste officielle des candidats présentés par le principal parti d’opposition du pays n’a été rendue publique. « Nous-même, on n’en sait rien », lâche avec fatalisme un candidat du parti. « La liste devrait être disponible en début de semaine prochaine. Il faudra patienter », assure un cadre du PDCI, contacté par Jeune Afrique. Et les militants et candidats qui naviguent dans le brouillard? « Qu’ils attendent que la Commission électorale indépendante (CEI) publie la liste et puis c’est tout », martèle un membre du secrétariat exécutif.

Cette stratégie du silence trahit la profondeur des dissensions internes qui traversent le PDCI. En son temps, Henri Konan Bédié avait mis en place une commission chargée de l’organisation des élections, dirigée par Niamkey Koffi. Son rôle? Sonder les militants de la base, écouter les argumentaires des candidats, et tenter des médiations lorsque des tensions apparaissaient. À l’issue de ces travaux, la liste officielle était publiée, deux jours avant la date limite de dépôt des dossiers à la Commission électorale indépendante (CEI).

Autre entorse à l’usage qui prévalait jusqu’alors au sein du parti, selon Maurice Kakou Guikahué, c’est Tidjane Thiam qui aurait lui-même appelé ceux dont les candidatures ont effectivement été retenues. Ce que dément formellement le parti. Le communiqué affirme que « le Président Tidjane Thiam n’est intervenu à aucun moment dans le choix des candidats » et que « les accusations formulées par M. Guikahué sont donc sans fondement ».

Tensions latentes à Cocody

Au-delà du seul cas Guikahué, plusieurs autres désignations de candidats ont provoqué de vives tensions. Ce fut notamment le cas à Cocody, commune aisée d’Abidjan. Trois grandes familles historiques du PDCI – Yacé, Bombet et Ouégnin – convoitaient les deux sièges de députés en jeu dans ces circonscriptions. Finalement, la décision de Yasmina Ouégnin de ne pas briguer un quatrième mandat et l’absence aux législatives du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), de Laurent Gbagbo, a permis au PDCI d’aligner deux candidats: Jean-Marc Yacé, maire de Cocody depuis 2018, et Hervé Bombet, son adjoint au maire.

« Il fallait éviter de créer des problèmes inutiles entre grandes familles du parti », argue une source au sein du parti. Mais certains n’ont pas tardé à dénoncer un conflit d’intérêts. Hervé Bombet est en effet le fils d’Émile Constant Bombet, l’un des trois membres du comité chargé du choix des candidats. Et plusieurs concurrents malheureux ont dû ravaler leurs ambitions. Ange Dagaret-Dassaud, directeur de cabinet du maire de Cocody, a été désigné suppléant de Yacé. Prisca Rabet, conseillère municipale issue de la liste Ensemble pour Cocody, de Yasmina Ouégnin, lors des municipales de 2023, a pour sa part accepté d’être la suppléante de Bombet.

Autant de compromis qui ont nécessité de longues tractations, afin d’éviter l’écueil d’une candidature en indépendant. Et les débats ont laissé des traces: certains craignent désormais que la question ne se pose de nouveau lors de la désignation des candidats pour les prochaines municipales. Alors qu’Hervé Bombet ne fait pas mystère de ses ambitions pour Cocody, Jean-Marc Yacé payera-t-il sa décision, en décembre 2023, d’affronter Thiam pour la présidence du parti?

Entre règlements de comptes, défiance envers la nouvelle direction et vague de candidatures indépendantes, le PDCI traverse une zone de turbulences inédite. Tidjane Thiam, exclu de la présidentielle du 25 octobre, tente de reprendre en main le parti. Le 29 octobre, il a nommé Calice Yapo Yapo au poste de secrétaire exécutif en chef. Deux porte-parole ont également été désignés. Mais ces changements ont provoqué une certaine confusion, et n’ont pas permis de clarifier la chaîne de commandement. Dans l’expectative, les cadres préfèrent désormais se taire, de peur de ne pas être « dans la ligne ».

« Le temps que les mécanismes se mettent en place, les générations s’affrontent, les méthodes aussi et les ambitions s’entrechoquent », résume une de nos sources qui juge que, pour l’heure, personne ne semble capable de « cristalliser les énergies comme le faisaient les anciens ». Plusieurs voix réclament la tenue d’un bureau politique, instance de décision du parti entre deux congrès qui n’a plus été convoquée depuis des mois. Elle permettrait aux cadres de s’exprimer et d’exposer leur point de vue sur des décisions stratégiques, à l’instar de la participation ou non à certains à des élections.

Fragile coalition

À l’issue des législatives de 2021 – lors desquelles le PDCI avait scellé un accord avec Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), une plateforme des pro-Gbagbo –, le parti d’Henri Konan Bédié avait obtenu 65 sièges, faisant de lui le premier parti d’opposition du pays. Mais sans liste claire, et alors que la discipline de parti semble en lambeaux, cet objectif paraît hors de portée pour le scrutin à venir, face à un Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) plus que jamais hégémonique.

Le PDCI a tenté de lancer une nouvelle coalition en vue de ces législatives, mais elle n’a finalement abouti qu’à une poignée d’accords locaux, notamment à Bangolo et Guiglo. « C’était difficile, mais cela a fini par aboutir », affirme un poids lourd du parti, qui se veut rassurant quant aux perspectives: « Nous espérons mettre en place une dynamique de l’opposition autour des législatives. »

Une dynamique qui commence, timidement, à se mettre en place. À Yopougon, bastion de Laurent Gbagbo, le boycott du PPA-CI a ainsi permis de rebattre les cartes: le PDCI y présente une liste sous la bannière du Rassemblent des Ivoiriens pour la démocratie (RID), une alliance avec le Front populaire ivoirien (FPI, d’Affi N’Guessan) et Aujourd’hui et demain, la Côte d’Ivoire (ADCI, de Tiémoko Assalé). Sur les six postes que compte la liste, quatre ont été attribués au PDCI, un au FPI et un à l’ADCI. L’objectif? Battre Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale et maire de la commune.

Il n’en reste pas moins que, pour le moment, l’opacité qui prévaut au sein du PDCI nourrit les doutes de ses membres. Le 27 décembre, les urnes diront si le parti dirigé par Tidjane Thiam aura su surmonter ses divisions.

Source: JeuneAfrique

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