Présidentielle en Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam peut-il créer la surprise ?

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Présidentielle en Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam peut-il créer la surprise ?
Présidentielle en Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam peut-il créer la surprise ?

Aïssatou Diallo
et Alain Aka – à Abidjan

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Entre absences remarquées et contestations judiciaires, le président du PDCI voit son parcours vers le scrutin d’octobre jonché d’obstacles. Visé par quatre procédures, dont une décision du tribunal du Plateau attendue ce 11 avril, il doit défendre sa légitimité.

Jusqu’à la dernière minute, les militants du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ont attendu Tidjane Thiam. Rassemblés devant la porte de la Fondation Félix-Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro, vêtus d’un T-shirt à son effigie et pancarte de soutien à la main, ils étaient quelques centaines, ce 5 avril, à attendre l’arrivée du « président Thiam » pour son premier bureau politique depuis son élection à la tête du parti, en décembre 2023. Mais ce 5 avril, Tidjane Thiam aura brillé par son absence.

« Je suis au regret de vous informer que le président Thiam ne pourra pas être parmi nous pour des raisons de cas majeur qui le retiennent en Europe », annonce finalement Alphonse Kwassi Cowppli-Boni, le président honoraire du parti. Des murmures s’élèvent dans la salle. C’est donc Sylvestre Emmou, le secrétaire exécutif en chef, qui préside la réunion des quelque 400 membres du bureau politique venus déterminer la date de la convention qui désignera le candidat du parti à la prochaine présidentielle, en octobre. Certains proches de Thiam ont été personnellement informés la veille. D’autres, le matin même. Même s’ils tentent de faire bonne figure, il leur est difficile de masquer la gêne qu’engendre la situation. Symboliquement, l’absence du chef envoie un mauvais message.

Pourquoi Tidjane Thiam est-il absent de cette réunion, réclamée de longue date par certains au sein du parti et lieu de discussions sur la vie de sa famille politique ? « C’est parce qu’il y avait des risques sur sa personne qu’il n’est pas venu. C’est une sage décision », explique un cadre du PDCI. « C’est de la paranoïa sur fond de manipulation, rétorque un poids lourd du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir. Depuis son retour, sa sécurité est assurée par la gendarmerie. Sur ce plan, par courtoisie républicaine, le président lui a donné les mêmes avantages qu’à un ancien Premier ministre, comme à Pascal Affi N’Guessan. »

Un parcours juridique semé d’embûches

En interne, le premier bureau politique du PDCI sous la présidence Thiam intervient dans un contexte particulièrement tendu. Une plainte déposée par Valérie Yapo, militante proche de Jean-Louis Billon, qui demande sa suspension et celle de tous ses organes, a été mise en délibéré au 11 avril par le tribunal du Plateau. « C’est la quatrième action engagée pour faire en sorte que Tidjane Thiam ne puisse pas être candidat à l’élection présidentielle », déplorait son avocat, Me Mathias Chichportich.

Si Thiam a depuis renoncé à sa nationalité française, sa double nationalité constitue le principal angle d’attaque de ses détracteurs. « La question de la nationalité est devenue une ressource politique mobilisée par tous les acteurs, explique le politologue Ousmane Zina. La Côte d’Ivoire se retrouve toujours dans cette forme de cristallisation autour de la question identitaire. »

Le 9 avril, au cours d’une conférence de presse, Valérie Yapo a tenu à démentir les accusations portées contre elle: « Je n’ai jamais prononcé ce mot de ‘mise sous tutelle’ du PDCI. Jamais. Ce que j’ai demandé, c’est un intérim, conformément à l’article 40 des statuts, qui dit que, quand un président démissionne, décède ou est invalide, on donne la direction au doyen d’âge. » Elle a réaffirmé maintenir son action en justice et attend donc la décision que doit rendre le tribunal ce 11 avril.

Après plusieurs heures de discussion lors du bureau politique du 5 avril, les cadres du parti ont décidé de tenir une « convention éclatée » dès le 16 avril, avec une cérémonie d’investiture du vainqueur qui se tiendra plus tard à Yamoussoukro. « Le regard sur sa situation ne sera pas le même si Tidjane Thiam est investi candidat », confie un cadre du PDCI. Le parti mise sur l’investiture rapide de Thiam afin d’attirer l’attention sur lui en cas de décision judiciaire défavorable. Une décision critiquée en interne par certains, qui y voient un calendrier précipité.

Thiam sera-t-il de retour avant le 16 avril ? « Absolument, répond Soumaïla Brédoumy Kouassi, porte-parole du parti, à l’issue du bureau politique. Le président sera là. Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout quels que soient les événements et les tracasseries. Nous ne pouvons pas entrevoir la possibilité de gagner le pouvoir après vingt-cinq ans d’absence et finalement baisser les bras. »

Paradoxe d’une absence-présence

Ce bureau politique qui s’est déroulé dans un contexte de crise interne et en l’absence des deux principaux protagonistes, à savoir Thiam et Billon, n’aura pas permis d’aborder sur le fond les inquiétudes des militants, ni d’avancer dans le sens d’une réunion du parti.

Jean-Louis Billon, qui avait déjà annoncé qu’il ne prendrait part à la convention que si elle était « ouverte et crédible », risque de ne pas s’y présenter. L’éventualité d’une candidature externe pourrait contribuer à diviser les voix du PDCI. En attendant, le parti s’avance donc vers une candidature unique de Thiam, et vers son investiture. Lors de son élection à la tête du parti, avec 96,48 % des suffrages, une motion de soutien avait déjà été adoptée par les congressistes.

Mais l’ancien financier est-il en mesure de transformer son aura internationale en force politique locale ? Depuis l’OPA qu’il a menée sur le PDCI, Tidjane Thiam s’est progressivement installé dans son nouveau rôle d’homme politique. Peu à l’aise dans ces exercices au début, il semble mieux rompu aux discours, meetings et bains de foule, auxquels il s’adonne régulièrement à chacune de ses sorties publiques. Il s’est également fait une place au sein de la scène politique ivoirienne. Il est désormais président de la Coalition pour l’alternance pacifique-Côte d’Ivoire (CAP-CI), qui réclame l’organisation d’élections transparentes et réunit, entre autres, Simone Ehivet Gbagbo, Charles Blé Goudé et Pascal Affi N’Guessan.

Mais, contrairement à son prédécesseur, Henri Konan Bédié, qui disposait d’une stature de « grand sage » et avait lui-même succédé à Félix Houphouët-Boigny, Tidjane Thiam n’a pas suivi le parcours traditionnel des hommes politiques ivoiriens. « Il souhaite accéder directement aux plus hautes fonctions sans avoir parcouru les étapes habituelles de la vie politique, résume Ousmane Zina. Il ne faut pas croire qu’un parcours professionnel exceptionnel suffit pour réussir facilement en politique. »

Pour gouverner le vieux parti, Tidjane Thiam a mis en place une équipe qui mélange fidèles et figures historiques du PDCI. Son directeur de cabinet, Alain Cocauthrey, est devenu le « gardien du temple », jouant un rôle stratégique de coordination. La famille Thiam n’est pas en reste: le frère de Tidjane, Aziz, a été nommé haut conseiller pour le district de Yamoussoukro, tandis que sa sœur, Yamousso, multiplie les actions sur le terrain.

Mais les tensions qui existaient avant son élection n’ont pas été aplanies. Maurice Kakou Guikahué, ancien secrétaire exécutif en chef de Bédié, forcé de retirer sa candidature car sous contrôle judiciaire depuis la crise électorale de 2020, n’a été nommé conseiller politique de Tidjane Thiam qu’en janvier dernier. Et les nominations opérées pour moderniser le parti ont également créé des tensions dans certaines sections. « Le PDCI n’est pas une entreprise, note un observateur. Il est efficace sur le mécanisme opérationnel, les centres d’appel et tout l’aspect logistique. Mais sur la partie stratégique et la communication, il est très déficient. »

Thiam-Ouattara, un duel inégal ?

Face à un Alassane Ouattara qui ne s’est pas encore exprimé sur sa candidature, mais pourrait vouloir briguer un quatrième mandat – comme beaucoup le prédisent à l’approche du congrès du RHDP, prévu le 18 mai –, plusieurs analystes estiment que les chances de Thiam semblent limitées. « Il devra fournir un travail considérable face à un candidat comme Ouattara, prévient Ousmane Zina, qui rappelle que le président sortant « n’est pas un acteur politique ordinaire » et qu’il « a connu, sur près de trente ans, tous les grands moments de la vie publique de la Côte d’Ivoire ». Un proche du PDCI va plus loin: « C’est un bon candidat, mais ce n’est pas le bon moment. Il ferait un excellent président dans cinq ans. »

Pourtant, sur le papier, Thiam dispose d’atouts considérables. Car, si certains de ses compatriotes lui reprochent son absence prolongée, d’autres se souviennent du patron investi qu’il était lors de son passage à la Direction de contrôle des grands travaux (DCGT), devenue Bureau national d’études techniques et de développement (1994-1999), puis au ministère du Plan (1998-1999). « Par les programmes qu’il pourrait mettre en œuvre, les réformes et la sélection des compétences qu’il pourrait effectuer à tous les niveaux de la société, il serait un président remarquable », reconnaît un observateur. Même si certains estiment qu’une ascension directe est possible, citant l’exemple de Ouattara, Ousmane Zina rappelle que « le chef de l’État avait déjà une longue expérience politique avant d’accéder à la présidence. Le parcours ne sera donc pas facile pour Thiam, malgré son excellent parcours professionnel. »

« Si l’élection est transparente, il a toutes ses chances », affirme un proche de Thiam. « Il va gouverner avec tous les Ivoiriens. Il n’est pas question de parier sur 2030. Ouattara a échoué. Il n’a pas réussi à réconcilier les Ivoiriens, ni à lutter contre la pauvreté. La population devrait passer avant les infrastructures », ajoute un autre proche du président du PDCI, qui estime que ce dernier représente un espoir pour la jeunesse.

Un cadre du RHDP tempère: « Je ne dis pas que tout est parfait. Mais ils [les cadres du PDCI] perdent du terrain car les gens voient les réalisations concrètes pour leur bien-être. Thiam prend un parti en perte de vitesse. Le RHDP a autant d’élus que le PDCI dans ce qui est considéré comme leur bastion: le centre. Il ne nous fait pas peur. »

Tidjane Thiam réussira-t-il, cette fois-ci encore, à créer la surprise ? Lors de son retour, plusieurs cadres du RHDP estimaient déjà qu’il avait peu de chances. « Il n’a aucune assise politique. La popularité sur les réseaux sociaux ne fait pas tout », ironisait alors un ministre. Aujourd’hui, Thiam, qui a surpris en prenant en main la machine qu’est le PDCI et qui devrait être investi candidat du parti le 16 avril, est plus que jamais convaincu de son destin présidentiel.

Source: JeuneAfrique

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