Marie Toulemonde
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Les jihadistes du JNIM et de l’EIGS poursuivent leur expansion au sein de l’Alliance des États du Sahel, et au-delà. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ils semblent déployer une stratégie d’encerclement des villes. Décryptage en infographies.
Elles étaient censées restaurer l’ordre et reconquérir les territoires perdus. Mais depuis leur arrivée au pouvoir, les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger peinent à enrayer la progression des jihadistes, qui multiplient désormais les incursions au-delà des frontières de l’Alliance des États du Sahel (AES). Bien qu’ils sévissent essentiellement dans les zones rurales, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) exercent une pression de plus en plus importante sur les principaux centres urbains. Blocus, incursions prolongées, assauts coordonnés, alliances avec des groupes locaux et utilisation d’armements de plus en plus sophistiqués: les groupes armés terroristes, loin d’être en déclin, intensifient leur stratégie d’encerclement des villes.
Le 11 mai dernier, Djibo, ville de 300 000 habitants du nord du Burkina Faso, a été le théâtre d’une attaque du JNIM qui a duré près de dix heures. Le lendemain, c’est la petite ville de Diapaga, dans le sud-est du pays qui a été prise pour cible, pour la seconde fois depuis le mois de mars. Le 25 mai, à Eknewan, au Niger, 41 soldats ont été tués dans une embuscade tendue par l’EIGS. L’attaque a, cette fois, été menée avec une arme que les jihadistes n’avaient jusque-là jamais utilisée: des drones kamikazes. Un signe supplémentaire du changement profond des modus operandi des terroristes, fruit de la stratégie de conquête de nouveaux territoires déployée par les groupes armés jihadistes.
Campagnes sous contrôle jihadiste, villes cernées
« Au Sahel central, il y a une expansion continue des opérations jihadistes, un mouvement qui avait commencé avant le départ des Français et qui s’aggrave. Sans que l’on puisse pour autant parler de rouleau compresseur », observe Jean Hervé Jézéquel, expert du Sahel au sein d’International Crisis Group (ICG).
Leur capacité à prendre et à tenir une ville reste aujourd’hui limitée, mais les jihadistes s’en approchent. Ils ne s’éclipsent plus au bout de quelques heures. Parfois, ils reviennent même dès le lendemain d’une première attaque. « Ils font passer un message clair aux urbains et aux États: “Vous n’êtes plus tranquilles” », analyse l’expert d’ICG. En témoigne la double attaque qui a visé Bamako, en septembre 2024, et l’intensification des blocus et des encerclements des villes secondaires depuis 2023. Les grandes routes stratégiques vers les capitales – Bamako-Kidira, Ouagadougou-Dori – sont, quant à elles, devenues des lieux propices aux embuscades meurtrières. Les jihadistes seront-ils bientôt capables d’imposer un blocus aux capitales de l’AES, comme ils le font dans les zones plus reculées?
Hors des frontières de l’AES
Longtemps cantonnée au nord du Mali et au Sahel burkinabè, l’insécurité gagne désormais le Sud, l’Est… et l’Ouest. L’attaque contre une entreprise chinoise à Kayes, le 24 mai, marque un tournant. Cette région, frontalière du Sénégal, semblait encore préservée.
Plus à l’est, le phénomène s’accélère: le sud du Burkina Faso devient pour les groupes armés une zone de repli, de transit et de commandement. Le Bénin et, dans une moindre mesure, le Togo et le Nigeria, jusque-là en périphérie, se trouvent à présent en première ligne. Le 17 avril, le JNIM a conduit, à la frontière nord du Bénin, l’attaque la plus meurtrière que le pays ait connue: 54 militaires tués.
Mais si cette expansion est bien réelle, elle soulève encore beaucoup d’interrogations. « Beaucoup d’analystes agitent le chiffon rouge d’une progression tous azimuts des jihadistes, mais ils sont peu nombreux à pouvoir expliquer pourquoi certains pays comme le Togo et le Bénin sont frappés quand d’autres, comme le Ghana et la Côte d’Ivoire, ne le sont pas. Dès lors que l’on évoque leur stratégie régionale, on peine à comprendre ce qu’il y a dans la tête des jihadistes, reconnaît Jean-Hervé Jézéquel. On néglige aussi les défis que pose l’expansion vers de nouveaux territoires en termes de contrôle des troupes et de cohérence du mouvement. Le leadership doit faire des choix et ne peut pas s’étendre à l’infini sans prendre lui-même des risques. »
Selon une récente analyse menée par Armed Conflict Location & Event Data (Acled), la présence jihadiste s’ancre désormais dans le parc W. Les zones frontalières béninoises d’Alibori, de Sokoto et de la Pendjari accueilleraient désormais des katibas (bataillons) du JNIM, dont les membres prêchent dans les mosquées, rançonnent les villageois et enrôlent même localement. Et tandis que le JNIM consolide son implantation transfrontalière, l’EIGS étend ses activités dans le nord-est du Nigeria, sans qu’il y soit réellement implanté.
Ponctionner l’économie locale
Qu’il s’agisse de se fournir en armement ou de se financer, les jihadistes se reposent largement sur des ressources locales. Hormis des livraisons sporadiques d’armes en provenance du marché noir libyen, leur stock provient en grande partie du pillage des garnisons des armées locales. Pour se financer, ils se concentrent sur le commerce de bétail et le prélèvement de « taxes » sur les populations.
La zakat, impôt religieux détourné en impôt obligatoire, est systématiquement prélevée dans les zones de forte implantation. Les flux commerciaux – licites ou non – sont taxés, et les jihadistes vont jusqu’à imposer des règles économiques. Ils exercent également, dans les zones qu’ils contrôlent, une forme de « justice », qui constitue l’un de leurs principaux piliers de « gouvernance ».
« Mais ce n’est pas un jihad urbain », insiste Jean Hervé Jézéquel. « Ils ponctionnent l’économie locale sans chercher à l’organiser eux-mêmes. Pour les mines, ils n’ont pas de capacités d’extraction à grande échelle, mais, comme d’autres forces armées, ils contrôlent l’accès aux sites et les circuits de revente. » Une économie de prédation qui passe aussi par les enlèvements, même si le recours aux prises d’otages occidentaux semble, faute de cibles, révolu. Les victimes sont désormais choisies dans les populations locales – chefs de village, commerçants, fonctionnaires – avec des rançons ajustées selon le poids économique ou politique de la personne enlevée.
La zakat, impôt religieux détourné en impôt obligatoire, est systématiquement prélevée dans les zones de forte implantation. Les flux commerciaux – licites ou non – sont taxés, et les jihadistes vont jusqu’à imposer des règles économiques. Ils exercent également, dans les zones qu’ils contrôlent, une forme de « justice », qui constitue l’un de leurs principaux piliers de « gouvernance ».
« Mais ce n’est pas un jihad urbain », insiste Jean Hervé Jézéquel. « Ils ponctionnent l’économie locale sans chercher à l’organiser eux-mêmes. Pour les mines, ils n’ont pas de capacités d’extraction à grande échelle, mais, comme d’autres forces armées, ils contrôlent l’accès aux sites et les circuits de revente. » Une économie de prédation qui passe aussi par les enlèvements, même si le recours aux prises d’otages occidentaux semble, faute de cibles, révolu. Les victimes sont désormais choisies dans les populations locales – chefs de village, commerçants, fonctionnaires – avec des rançons ajustées selon le poids économique ou politique de la personne enlevée.
Source: JeuneAfrique
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