Alain Aka – à Abidjan
Africa-Press – Côte d’Ivoire. La prochaine élection présidentielle aura lieu dans un peu plus d’un an, et les adversaires d’Alassane Ouattara réfléchissent déjà à leur stratégie. De retour à Abidjan, le président du PDCI relance le débat sur les conditions d’une alliance efficace.
Lundi 2 septembre, l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan bruissait d’une effervescence inhabituelle. Tidjane Thiam, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), fait son retour au pays après six semaines passées à l’étranger.
À sa descente d’avion, il est accueilli par des militants venus en nombre à l’appel de la direction du parti. « Je suis heureux de retrouver la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens, lance-t-il. Ces six semaines m’ont permis de porter la voix du PDCI et de l’opposition ivoirienne auprès de nombreux dirigeants internationaux. Le message est clair: nous voulons des élections libres, transparentes et inclusives en 2025. »
Au siège du PDCI, à Cocody, où l’attendent des centaines de partisans, Tidjane Thiam fixe le cap pour les mois à venir: « Notre priorité absolue est l’inscription massive sur les listes électorales. Chaque militant doit se mobiliser pour que tous les Ivoiriens en âge de voter puissent exercer leur droit constitutionnel en 2025. » En cette rentrée, il affiche sa détermination.
Une déclaration commune…
Le 9 août, déjà à l’étranger, Tidjane Thiam n’a pas assisté à la réunion organisée à l’initiative de Simone Gbagbo, l’ex-première dame désormais à la tête du Mouvement des générations capables (MGC). Ce jour-là, une dizaine de partis et d’organisations de la société civile se sont retrouvés à Cocody pour signer une déclaration commune demandant notamment la prolongation de la période d’inscription sur les listes électorales jusqu’à fin juillet 2025.
Ce texte, c’est Georges Philippe Ezaley, ancien maire de Grand-Bassam, qui l’a paraphé au nom du PDCI. Les représentants du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo, du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) de Charles Blé Goudé et du mouvement Générations et peuples solidaires (GPS) de Guillaume Soro, l’ont également signé.
Tidjane Thiam n’était pas présent mais il approuve les revendications couchées noir sur blanc à l’issue de la réunion. « On ne voit pas quelles raisons il peut y avoir à ne pas faciliter l’inscription sur les listes électorales pour tous les Ivoiriens en âge de », a-t-il insisté le 2 septembre. Dans la foulée, il souligne la nécessité d’un « dialogue inclusif » avec le pouvoir pour obtenir des « réformes électorales nécessaires et consensuelles ».
Pourtant, le chemin vers un rassemblement de l’opposition est encore semé d’embûches. Les appels à l’unité ont beau se multiplier depuis plusieurs mois, ils peinent à se concrétiser. Le 25 août, Abou Cissé, un proche de Laurent Gbagbo, est allé jusqu’à critiquer la démarche de Simone Gbagbo, l’accusant d’oublier un peu vite que Laurent Gbagbo avait lui aussi appelé à l’unité et de « créer la confusion au sein de l’opposition ivoirienne ».
De fait, le 14 juillet, lors d’un meeting à Bonoua, l’ancien président avait lui aussi lancé un appel solennel au rassemblement. « J’ouvre mes bras à tous ceux qui souhaitent voir partir le pouvoir du RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix] lors des prochaines élections présidentielles », avait-il déclaré. Un mois plus tard, le 13 août, le PPA-CI dressait un premier bilan des consultations menées auprès des autres formations politiques. « La presque totalité des responsables rencontrés ont accueilli favorablement cet appel et ont donné soit leur accord de principe soit leur accord total », affirmait alors Sébastien Dano Djédjé, président exécutif du parti.
Mais dans les faits, les réticences demeurent. Le PDCI, le Front populaire ivoirien (FPI) et le MGC ont été approchés. Sans avoir été directement consulté, le GPS s’est publiquement exprimé en faveur « d’une collaboration sincère avec le PPA-CI ». Le 22 août, Charles Blé Goudé a quant à lui dit prendre « acte de cet appel » mais a précisé qu’il lui donnerait « une suite en temps opportun ». Signe des relations très fraîches qu’entretiennent désormais Laurent Gbagbo et son ancien ministre de la Jeunesse ?
…mais des divergences stratégiques
Il faut dire qu’au-delà des déclarations d’intention, les divergences stratégiques entre les différentes composantes de l’opposition restent importantes. L’arrestation de Soumahoro Kando, cadre du GPS, le 13 août, a mis en lumière ces divisions. Si le PDCI a condamné une « arrestation arbitraire », il a dans le même temps tenu à préciser qu’il ne s’était « en aucun cas allié au GPS ».
Les temps ont-ils changé ? Le PDCI à l’époque d’Henri Konan Bédié n’hésitait pas à prendre fait et cause pour Guillaume Soro. L’ancien président de l’Assemblée nationale avait même rencontré l’ancien président ivoirien dans son fief à Daoukro, en février 2019. L’idée d’une plateforme réunissant plusieurs forces de l’opposition était même née ce jour-là.
Mais Tidjane Thiam n’est pas Henri Konan Bédié. Le 2 septembre, et même s’il avait accepté de recevoir Souleymane Kamaraté Koné – alias Soul to Soul, un proche collaborateur de Guillaume Soro – à sa sortie de prison, le nouveau président du PDCI n’a pas manqué de clarifier sa position sur la question des alliances. « On refuse de coopérer avec les tenants de la violence. La fin ne justifie pas les moyens. Tous les moyens ne sont pas bons pour arriver au pouvoir. Et moi je refuse de pactiser avec ceux qui ont recours à la violence. »
Utilisant une métaphore étonnante mais efficace, il a ajouté: « On nous dit qu’il faut faire un deal avec eux, et on verra ensuite… Ça, c’est la théorie du serpent dans le pantalon. Une fois que tu as mis le serpent dans le pantalon, ce n’est pas toujours facile de l’en sortir. On dit aussi qu’il faut faire alliance et après tu te débrouilles […]. Je ne sais pas comment on sort un serpent d’un pantalon. Je n’ai jamais essayé et je n’ai pas l’intention d’essayer. Je laisse ça à d’autres. Moi, je ne suis pas assez habile. Les serpents, je préfère les laisser à côté. »
Réticences
La question du leadership cristallise également les tensions. Si Laurent Gbagbo jouit toujours d’une certaine popularité, son âge avancé (79 ans) et ses démêlés judiciaires passés suscitent des interrogations. Tidjane Thiam tente de se poser en alternative, mais il doit composer avec les réticences d’une partie de la base militante ainsi qu’avec les ambitions de certains barons de son parti. Et notamment avec celles de Jean-Louis Billon, qui compte se présenter contre lui à la convention du PDCI, dont la date n’a pas encore été fixée, et qui a tenté d’occuper le terrain pendant son absence.
En coulisses, certains accusent la direction du PDCI de vouloir passer en force et imposer Tidjane Thiam comme seul candidat à la présidentielle de 2025. La prochaine convention pourrait bien n’être qu’une « convention d’investiture », dénoncent-ils. En tournée à Daloa, en août, l’ancien ministre Gnamien Yao s’est plu à rappeler les textes: « La désignation des candidats du parti pour toutes les élections d’État est effectuée par voie d’élections primaires, sauf cas de candidatures obtenues par consensus. Les élections primaires ont lieu avant la date officielle du dépôt des candidatures aux élections d’État. »
Face à ces divisions, le RHDP observe et temporise. Le président Ouattara, de retour à Abidjan le 1er septembre après un séjour privé dans le sud de la France, n’a pour l’instant pas réagi aux demandes de l’opposition concernant le processus électoral. Mais sous le couvert de l’anonymat, un cadre de son parti affiche sa confiance. « L’opposition est divisée et sans projet commun, tandis que nous, nous restons concentrés sur notre bilan et nos projets pour la Côte d’Ivoire. » Les prochains mois seront donc décisifs pour l’opposition. Saura-t-elle dépasser ses divisions pour présenter un front uni face au pouvoir en place ? La réponse à cette question pourrait bien déterminer l’issue du scrutin présidentiel de 2025.
En attendant, Tidjane Thiam entend bien occuper le terrain. Dès le 7 septembre, il se rendra à Yamoussoukro pour participer à l’ouverture des assises de la jeunesse du PDCI. L’occasion de mobiliser les troupes et d’affirmer son leadership au sein de l’opposition.
Source: JeuneAfrique
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