Urgence d’un vrai dialogue après le drame de Mandakao

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Urgence d'un vrai dialogue après le drame de Mandakao
Urgence d'un vrai dialogue après le drame de Mandakao

Albert Pahimi Padacké

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Un dialogue franc et sincère est le meilleur antidote aux frustrations qui dégénèrent en déchirements sanglants entre citoyens d’une même nation. Il est urgent que les Tchadiens se parlent afin de trouver des solutions à ce malaise persistant, estime Albert Pahimi Padacké, ancien Premier ministre du Tchad.

Fort de la conviction que les urnes ne disqualifient pas le dialogue, le maréchal Idriss Deby Itno, durant ses années à la tête du Tchad, a toujours œuvré pour l’inclusion en dépit de ses victoires électorales, certes contestées. L’émergence de la démocratie consensuelle et participative, après le cycle électoral de 1996, qui a amené ses principaux opposants du moment, l’un à la présidence de l’Assemblée nationale et l’autre au gouvernement comme ministre d’État, répondait à cette exigence particulière de la gouvernance politique des sociétés multi-ethniques insuffisamment moulées dans la nation et traversées par des lignes de faille tant au niveau géographique que sociologique, religieux que psychologique.

Cette politique a été le fertilisant qui a contribué à maintenir une unité et une stabilité au Tchad et contribué à la longévité du pouvoir d’Idriss Deby Itno. De ce point de vue, la Ve République a démarré du mauvais pied avec une catéchèse aux antipodes des réalités d’un pays profondément fracturé et qu’il aurait fallu commencer par ressouder.

En décidant d’exclure tous ceux qui n’ont pas voté pour Mahamat Idriss Déby Itno à l’élection présidentielle du 6 mai 2024, les autorités ont choisi de tenir à l’écart 4,3 millions de Tchadiens au profit des 3,7 millions qui ont voté pour lui, selon les chiffres officiels. C’est comme cela qu’un gouvernement minoritaire dans le pays a été formé, loin des attentes du Tchad profond. L’inversion des résultats des élections législatives, sénatoriales et locales, met en surface une figure renversée de la représentation nationale et locale, et nourrit de ce fait une plus grande désaffection des populations vis-à-vis des élections.

L’exceptionnelle résilience dont a fait montre le Tchad après la disparition soudaine et tragique d’Idriss Deby Itno a surpris le monde entier, y compris les Tchadiens eux-mêmes. Les analystes les plus pessimistes prédisaient la désintégration du pays. Le Tchad et ses institutions sont demeurés debout, mais le Dialogue national inclusif et souverain aurait pu améliorer encore plus cet acquis, si l’application de ses résolutions déjà minimalistes n’avait pas connu un déraillement fort préjudiciable en raison de la cupidité de la classe politique.

« Nos élections de fin de transition ont été catastrophiques »

Malgré les insuffisances notables de ce Dialogue, nous ne serions pas parvenus à ce résultat si les Tchadiennes et les Tchadiens, dans la tradition séculaire de la palabre africaine, ne s’étaient pas réunis autour d’une même table. Les uns et les autres – malheureusement pas tous – ont eu cette conscience claire que l’histoire nous faisait l’obligation de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts individuels et catégoriels. Le contrat social qui en a résulté demeure la condition sine qua non pour un vivre ensemble prometteur. Cela est encore possible si tous les acteurs en ont conscience et consentent à une rectification.

L’exceptionnelle résilience dont a fait montre le Tchad après la disparition soudaine et tragique d’Idriss Deby Itno a surpris le monde entier, y compris les Tchadiens eux-mêmes.

Comparées aux grandes démocraties, nos élections de fin de transition ont été catastrophiques. Mais comparés aux autres États en transition militaire sur la même période où des mandats sont décrétés, les partis politiques dissous, la communauté internationale tend à citer les nôtres en exemple en s’appuyant sur la quantité au mépris de la qualité. « Eux au moins, ils ont organisé des élections », répète-t-on dans les milieux diplomatiques. Comme quoi, de mauvaises élections peuvent être réhabilitées par la non-élection chez le voisin.

En effet, au terme de ce processus de transition, nous avons connu les élections les plus décriées de notre histoire politique récente, mais dans un pays relativement stable et qui pourrait se consacrer aux chantiers urgents du développement, si les gouvernants, une fois la page des élections tournée, sortaient de leur bulle pour voir les fractures, silencieuses mais profondes, qui traversent le pays.

Tirer les leçons du drame de Mandakao

Nous avons le devoir patriotique de ne pas nous reposer sur nos lauriers. Les affrontements intercommunautaires survenus à Mandakao le 14 mai, dans lesquelles 41 personnes ont été tuées, sont une alerte suffisamment forte pour nous rappeler la nécessité d’un dialogue politique sincère et permanent entre le pouvoir et les forces vives du pays, incarnées par l’opposition politique. Un drame comme celui-ci n’est que la partie émergée d’un gigantesque iceberg. Il est urgent que nous nous parlions afin de trouver des solutions de fond à ce malaise social persistant que traduit cette série interminable d’affrontements intercommunautaires sur l’ensemble du territoire national.

Dans ce contexte, la création d’un cadre de concertation permanent entre le pouvoir et l’opposition arrive à point nommé, comme un moyen d’entretien de notre contrat social et de prévention de telles crises. Cela suppose que ce cadre soit celui d’un véritable dialogue patriotique et non une caisse de résonance, commode, de la stratégie des gouvernants.

Nos textes de loi, aussi avant-gardistes soient-ils, sont des cadres légaux d’action, qui ne remplaceront jamais la confrontation pacifique des différences et des points de vue dans la nécessaire conciliation des diversités. Un dialogue franc et sincère est le meilleur antidote contre les profondes frustrations dues aux exclusions qui se cristallisent en déchirements sanglants entre citoyens d’une même nation. Nous ne pouvons, sous aucun prétexte, refuser d’aller au dialogue. Son contenu, seul, pourra déterminer in fine, notre adhésion ou notre rejet.

Source: JeuneAfrique

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