[Chronique] Côte d’Ivoire-Ghana : le goût si amer du chocolat

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[Chronique] Côte d’Ivoire-Ghana : le goût si amer du chocolat
[Chronique] Côte d’Ivoire-Ghana : le goût si amer du chocolat

Africa-PressCôte d’Ivoire. Pour les familles qui cultivent le cacao en Afrique de l’Ouest, le prix à la production est bas et la vie incertaine, relève Orla Ryan, journaliste au FT.

Pour Larbi Siaw, cultivateur de cacao de la région du nord-ouest du Ghana, la fin décembre est l’une des périodes les plus chargées de l’année. Comme des millions de petits exploitants en Afrique de l’Ouest, lui et sa famille coupent les cabosses jaunes et mûres, ramassent les fèves blanches pulpeuses et les laissent sécher sur des tapis de roseaux à la chaleur.

Mais cette année laisse un goût amer à l’agriculteur, qui a passé plus de la moitié de son existence dans les plantations de cacao, comme son père avant lui. D’abord parce que les pluies n’ont pas été aussi abondantes que prévu en juillet, de sorte que la production pourrait être faible. Mais aussi parce qu’il juge le prix de vente de sa production trop bas, malgré la hausse de près de 30 % du prix bord champ (à 1 800 dollars la tonne) décrétée par le gouvernement.

« Ce n’est pas un bon prix », juge Larbi Siaw, à qui le rapport du Baromètre 2020 du cacao sur la durabilité du secteur donne raison, estimant que les agriculteurs ont besoin d’au moins 3 100 dollars par tonne pour gagner décemment leur vie.

Selon certaines estimations, la rémunération des cacaoculteurs ghanéens et ivoiriens – qui produisent 60 % de la récolte mondiale – ne représente que 6 % du prix de vente d’une barre de confiserie. Pour soutenir leurs producteurs locaux, les gouvernements du Ghana et de la Côte d’Ivoire ont récemment ajouté un « différentiel de revenu vital » de 400 dollars par tonne au prix du cacao récolté au cours de cette campagne agricole.

Une initiative que la société Hershey – par exemple – a bien tenté de contourner en achetant du cacao sur le marché à terme, mais les deux pays ont mis fin aux programmes de durabilité de la société, la conduisant finalement à accepter de payer la surcoût.Mais le problème de savoir comment convenir d’un prix équitable pour la production des agriculteurs se pose.

Lorsque j’étais journaliste en Afrique de l’Ouest il y a près de quinze ans, je visitais régulièrement les exploitations, les entrepôts et les acheteurs de cacao. Travaillant au Ghana, deuxième plus grand exportateur de fèves au monde (après la Côte d’Ivoire), j’ai constaté la réalité du dicton populaire selon lequel « Le Ghana est le cacao et le cacao est le Ghana ». On disait souvent qu’environ un quart de la population du pays dépendait de l’argent du cacao.

J’ai visité de petits villages, qui manquaient souvent d’électricité, d’eau et d’écoles décentes, et j’ai parlé aux producteurs, aux migrants et aux familles sur le travail desquels repose l’industrie mondiale du chocolat. La récolte du cacao est un travail pénible et dur, effectué avec rien de d’autre qu’une machette.

Les officiels étaient méfiants à propos des rapports que j’écrivais dans le cadre du suivi des cours des matières premières, craignant qu’ils fassent bouger les prix. La sensibilité entourant une récolte qui rapportait des devises étrangères bien nécessaires était telle qu’une demande d’interview a reçu la réponse suivante : « Pourquoi est-ce dans l’intérêt du Ghana que nous vous parlions ? »

En vérité, il y a bien des raisons pour lesquelles les revenus des agriculteurs sont si faibles. Le gouvernement fixe le prix à la production et peut le taxer lourdement. Il s’efforce de donner aux petits exploitants au moins 70 % du prix à l’exportation, mais n’en a parfois payé qu’une fraction.

Des producteurs découragés Si Larbi Siaw parvient à compléter ses revenus en vendant de l’huile de palme, beaucoup ne dépendent que de quelques sacs de cacao pour leur revenu annuel. Avec des fermes petites et dispersées, les rendements sont faibles, sans oublier le risque que les maladies anéantissent la récolte.

Souvent peu instruits, les agriculteurs sont ont du mal à se familiariser avec les techniques agricoles modernes. Lorsque les prix augmentent, ils ont tendance à cultiver davantage, ce qui fait baisser les prix, selon un cercle vicieux auquel il est difficile d’échapper. Et comme la plupart des chocolats sont fabriqués à proximité du marché final des consommateurs occidentaux, ils n’ont guère de valeur ajoutée en Afrique de l’Ouest.

La question la plus pertinente de toutes est peut-être de savoir si les agriculteurs voudront continuer à cultiver à long terme. La plupart, comme Larbi Siaw, souhaitent un meilleur avenir à leurs enfants, loin des plantations de cacao.

Accra, la capitale ghanéenne, est aujourd’hui animée par l’argent du pétrole, et pleine d’énergie. C’est une perspective attrayante pour un jeune de la brousse.

Mais si les prix bas continuent de décourager les agriculteurs de travailler pendant la récolte du cacao, c’est toute l’industrie mondiale de la confiserie qui risque de s’effondrer.

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