Aurélie M’Bida
Africa-Press – Côte d’Ivoire. L’Afrique du Sud est devenue le premier pays du continent à appliquer l’impôt minimum mondial de 15 %. Une avancée contre l’évasion fiscale qui pourrait changer la donne… à condition que les fonds ainsi récupérés profitent réellement aux citoyens.
Imaginez une ville où les routes ne seraient plus criblées de nids-de-poule, où les lampadaires illumineraient chaque rue, où les transports publics fonctionneraient avec une précision helvétique. Une ville où les écoles ouvriraient leurs portes à tous, à 8 heures précises, où les hôpitaux ne manqueraient ni de lits ni de médicaments, où les infrastructures suivraient enfin le rythme d’une population en pleine croissance. Ce rêve pourrait-il être une réalité en Afrique ? Sans doute, si les États parvenaient à capter les ressources fiscales qui leur échappent encore trop souvent.
C’est en tout cas l’ambition affichée par l’Afrique du Sud. En janvier, le pays a décidé d’instaurer l’impôt minimum mondial de 15 % sur les bénéfices des multinationales lorsqu’ils sont supérieurs à 750 millions de dollars sur un territoire donné, devenant ainsi le premier État africain à appliquer pleinement cette réforme. L’objectif ? Mettre un terme aux stratégies d’évasion fiscale, et forcer les grands groupes à contribuer équitablement au développement national. Une quarantaine d’entreprises, qui font de gros profits sur le sol sud-africain, sont directement concernées.
Le Nigeria tente d’aller dans la même direction. En mars, ses députés ont adopté des réformes fiscales qui visent les multinationales, mais avec une approche plus ciblée. Si le pays applique déjà une taxation minimale sur certaines entreprises, il n’a pas encore transposé intégralement le modèle – règles GloBE de l’OCDE – comme l’a fait l’Afrique du Sud.
Pretoria fera-t-il des émules ?
Cette jeune réforme (elle date de 2021 et est mise en œuvre depuis 2024), portée par l’OCDE et déjà adoptée par plus de 140 pays, pourrait bien rebattre les cartes fiscales sur le continent. Les flux financiers illicites font perdre chaque année à l’Afrique 88,6 milliards de dollars, soit l’équivalent de 3,7 % de son PIB, selon la Cnuced. Un manque à gagner significatif, qui limite les capacités de financement des infrastructures et des services publics. Face à ce trou béant, l’impôt minimum mondial apparaît comme un levier de souveraineté fiscale. Il s’agit non seulement de récupérer une partie des fonds détournés, mais aussi de rééquilibrer la charge fiscale entre entreprises locales et multinationales.
L’Afrique du Sud, en quête de recettes supplémentaires pour financer ses politiques sociales, veut montrer la voie. Mais difficile de prédire si ce modèle fera des émules. Dans d’autres capitales africaines, la marche semble même infranchissable, si toutefois les autorités envisageaient de l’inscrire à leur agenda. Au Togo ou au Maroc par exemple, où les zones franches et autres zones économiques spéciales offrent des avantages fiscaux compétitifs pour attirer les investisseurs, cette mesure n’aurait pas de sens puisqu’elle remettrait en question un modèle économique fondé sur l’exonération d’impôt. En outre, dans des pays où l’administration fiscale peine à identifier les contribuables et à collecter l’impôt, la priorité n’est-elle pas d’améliorer les outils de recouvrement avant d’aligner la fiscalité sur les normes internationales ?
Et, si l’impôt minimum mondial permet de rapatrier une partie des richesses produites sur le continent, est-ce pour autant une garantie que ces fonds seront bien utilisés à des fins de développement ? Une meilleure collecte fiscale n’a d’intérêt réel que si elle débouche sur des réalisations concrètes: des écoles fonctionnelles, des routes praticables et des services publics de qualité. À défaut, de révolution fiscale il n’y aura pas, hélas.
Source: JeuneAfrique
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