Les aéroports africains à la recherche du temps perdu

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Les aéroports africains à la recherche du temps perdu
Les aéroports africains à la recherche du temps perdu

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Enregistrement en ligne, files prioritaires, salons, connectivité… Pour limiter l’attente des passagers et se développer, les aéroports du continent se modernisent.

Même lorsqu’ils ne prennent pas leurs billets via des agences d’entreprise, les voyageurs d’affaires sont facilement reconnaissables dans le flot des statistiques aériennes : s’ils se déplacent en groupe, c’est en semaine et pour deux nuitées maximum, et lorsqu’ils bougent en solo, leur séjour peut aller jusqu’à 12 nuitées. Tels sont du moins les standards qui les caractérisent, selon le cabinet d’analyse ForwardKeys.

Leur autre point commun ? Ils sont pressés et tolèrent avec peine, peut-être moins encore qu’à la fin des années 2010, les files d’attentes interminables et le temps « perdu » qui peut s’accumuler entre leur point de départ et leurs lieux de rendez-vous.

Le principal coupable identifié ? L’aéroport. De l’enregistrement, pas toujours possible en ligne ou qui ne permet pas de se soustraire à la file commune pour déposer son bagage, aux formalités douanières, sans oublier les embarquements qui peuvent traîner en longueur, ce sont plusieurs heures qui se volatilisent à chaque voyage.

Une réglementation contraignante

« Ce n’est pas seulement que la notion d’attente est moins bien supportée : il faut bien reconnaître que pour les générations les plus anciennes, qui ont connu le voyage d’affaires d’avant le 11 septembre 2001, les procédures réglementaires se sont drastiquement durcies, avec un réel inconfort », relève le sociologue Stéphane Hugon, président du cabinet Eranos, qui a notamment accompagné Air France et ADP dans l’amélioration de leur expérience relationnelle avec leurs usagers.

Selon lui, « le temps n’est pas une matière homogène, et son monitorage ne peut pas être le même tout au long du parcours du passager ». L’expérience des voyageurs est notamment très différente selon qu’ils se situent en amont ou en aval des contrôles de sécurité.

« C’est une véritable frontière. Avant, on est toujours dans le risque de ne pas pouvoir partir. Parce qu’il y a trop de monde, qu’on a oublié un papier, laissé une bouteille d’eau dans son bagage à main… Après, on arrive à une certaine sérénité. Le voyage en avion ramène à une espèce d’aristocratie fondamentale : on va voler au-dessus des autres. Cela ouvre un espace un peu irrationnel. C’est pour cela, par exemple, que les boutiques de luxe y sont si présentes. Le tarif n’y est pas toujours réellement intéressant mais, à ce stade, cela n’a plus vraiment d’importance. »

Alcool, tabac et parfum, stars du duty-free

D’où l’intérêt pour les aéroports de miser sur cet espace pour booster leurs recettes extra-aériennes. Selon Ali Tounsi, secrétaire général du Conseil international des aéroports pour la région Afrique (ACI Afrique), les revenus non aéronautiques sont un élément de plus en plus indispensable au modèle économique des aéroports. « En Afrique, ils représentent en moyenne 30 % des revenus, mais l’idéal serait de porter ce chiffre à 50 %. Cela permettrait de réduire la taxation sur les opérations aériennes, et donc d’attirer plus de compagnies », explique-t-il.

« Les boutiques au sein des aéroports sont devenues, ces dernières années, un réel business en Afrique. Les emplacements sont très demandés », poursuit Ali Tounsi, selon qui « à côté des trois produits de base que sont le parfum, l’alcool et le tabac, il y a beaucoup de diversité dans les articles proposés. Chaque enseigne gère très précisément son offre en fonction de la clientèle qui fréquente l’aéroport. »

Et tout est fait pour mettre le consommateur à l’aise. Frédéric Chevalier, directeur des opérations de Lagardère Travel Retail, qui gère six boutiques Aelia Duty Free sur le continent (deux au Sénégal, deux au Gabon, une en Gambie et une en Mauritanie), indique ainsi que l’enseigne attache une grande importance au « sense of place », à l’ambiance des lieux.

Moins de transit, plus de process

La plupart des aéroports du continent, à l’exception notable d’Addis-Abeba ou de Casablanca, ne sont cependant pas des hubs d’importance. À l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD) de Dakar, par exemple, seulement 5 % des passagers sont en transit et vont donc passer plusieurs heures dans cet espace, expliquait à Jeune Afrique, en décembre 2022, Askin Demir, directeur général de LAS (Limma-AIBD-Summa), la coentreprise qui gère l’aéroport sénégalais. « Nos passagers restent donc relativement peu de temps dans le terminal. »

En outre, les procédures sont plus lourdes, car moins dématérialisées, dans les aéroports africains que dans les grands hubs du Golfe, des États-Unis ou d’Europe. « À Dubaï ou à Doha, tout, y compris le dépôt des bagages, est automatisé », rappelle Ali Tounsi, selon lequel les acteurs aéroportuaires du continent ont tout intérêt à réduire ce qu’on appelle dans le jargon professionnel « le temps de traitement des passagers ».

« Sans cela, le besoin de surface devient énorme lorsque les capacités de l’aéroport progressent. Or, financièrement parlant, il vaut mieux investir dans la technologie que dans les infrastructures », souligne-t-il, ajoutant que la crise sanitaire due au Covid a donné une impulsion décisive à la modernisation du traitement des voyageurs en Afrique.

À l’AIBD, il y a actuellement « dix points de contact en moyenne pour un passager en partance, contre trois à Paris-Charles-de-Gaulle ou Istanbul », relève Askin Demir. Cette différence-là, estime-t-il, « c’est du temps dont les passagers vont profiter dans les autres aéroports pour manger, boire, acheter quelque chose ».

Les aéroports maîtres du jeu

Sur le continent, les lignes commencent pourtant à bouger. Air Côte d’Ivoire a ainsi annoncé, début mai, l’extension de l’enregistrement en ligne à l’ensemble de son réseau régional et pour les vols domestiques au départ d’Abidjan. « Pour cela, nous utilisons la solution du fournisseur de service Amadeus, qui doit d’abord être déployée par l’aéroport cible avant que les compagnies puissent l’implémenter », nous explique le transporteur ivoirien, qui vient d’ouvrir ce service au Ghana, au Nigeria, au Liberia et en Guinée.

Prochaine étape : négocier avec l’aéroport d’Abidjan, afin que les voyageurs ayant accompli cette formalité puissent bénéficier d’un comptoir dédié pour le dépôt de leurs bagages, plutôt que d’attendre au milieu des autres passagers. Un dispositif normalement prévu, par exemple, pour les clients Air France à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Mais, selon nos constatations, les passagers à destination de l’Afrique ne peuvent généralement pas accéder au service de dépose-bagage automatique, qui permet théoriquement de réduire le temps d’attente. Sollicitée sur ce point, la compagnie française n’a pas souhaité faire de commentaire.

Comme la plupart des transporteurs aériens, c’est surtout à son public premium (voyageurs des cabines Premium Economy, Business et La Première, ainsi que les membres des programmes de fidélité Flying Blue Gold et Platinum) qu’Air France propose l’offre SkyPriority, déclinée par l’ensemble des membres de l’alliance SkyTeam, dont Kenya Airways, pour un parcours prioritaire en aéroport.

Pour La Première, l’aspect privilégié du service atteint son paroxysme puisque « le passager arrive en voiture sur le tarmac, jusqu’au pied de l’avion, sans le moindre passage par un salon », précise Stéphane Hugon, du cabinet Eranos, qui a participé à la redéfinition du concept.

De manière plus générale « Air France met en place [le service Sky Priority] dès que possible au niveau de ses zones d’enregistrement, dépose-bagage, zones d’embarquement, comptoirs de correspondance et livraison bagage », nous indique la compagnie, qui précise toutefois que « ce sont les aéroports qui décident de mettre en place, ou non, des accès prioritaires aux filtres de sécurité et aux contrôles documentaires et d’en ouvrir ensuite l’accès aux compagnies aériennes ».

Temps incompressible

Des services qui sont facturés aux compagnies par les sociétés de services aéroportuaires, lesquelles n’hésitent d’ailleurs pas à proposer parfois directement aux usagers ces accès prioritaires. Dans les aéroports où l’opérateur Menzies (issu de la fusion entre Menzies et NAS en 2022) est présent, il est par exemple possible de souscrire différentes formules VIP : un service coupe-file de base, un service meet and assist, avec accès au salon, et même service VIP+, avec une voiture privée conduisant à la porte de l’avion – une formule qui n’est proposée que dans certains aéroports, comme Abidjan et Casablanca, car l’opérateur doit bénéficier pour cela d’un agrément spécial des autorités.

Le coût de ces services ? De 50 à plus de 150 euros, en fonction de la formule choisie et de l’aéroport. D’autres offres existent. Brussels Airlines propose par exemple aux voyageurs de s’enregistrer et de déposer leurs bagages dans ses bureaux du centre ville le jour du départ pour éviter les files d’attente dans les aéroports de Monrovia, Kinshasa et Kigali (où la solution doit être relancée à la fin de juin, après une interruption due au Covid). Ils n’ont alors plus qu’à se présenter aux contrôles avant l’embarquement.

Les files d’attente pour les formalités de police et processus de sécurité restent difficilement compressibles, les passagers devant s’y présenter en personne. « Il y aurait des solutions technologiques pour gagner du temps en évitant d’avoir à retirer ses chaussures, de sortir son ordinateur de son étui, etc. Mais pour l’instant, la réglementation ne le permet pas« , note Ali Tounsi d’ACI Afrique.

Pour Stéphane Hugon, ces temps incompressibles permettent de garder une certaine « sacralité » au voyage en avion. Et l’expérience post-contrôles est devenue d’autant plus agréable que le confort des salles d’embarquement s’est considérablement amélioré au cours des dernières années.

« L’arrivée du wifi, la mise à dispositions d’espaces de travail et de fauteuils plus confortables pour le grand public challenge l’offre de services qui doit être présente dans les salons business, où les passagers ont payé jusqu’à cinq ou six fois le tarif acquitté par les voyageurs en économie », estime le sociologue, pour qui tout se joue alors « sur l’expérience relationnelle entre la marque et son client ».

Le wifi, produit d’attraction clé

« Air France joue sur le récit. Dans leur salon, il n’y a pas de dorures partout, mais de la poésie, des clins d’œil, un certain rapport horizontal de connivence, plutôt que de soumission, entre le personnel navigant commercial et les voyageurs. » Certains aéroports ont également introduit de l’art dans leurs terminaux, allant de l’exposition de quelques œuvres à de véritables musées. Mais « cette démarche reste rare en Afrique, où les acteurs se concentrent en priorité sur les bases du confort, et notamment le wifi », explique Ali Tounsi.

Performant à Casablanca, Kigali, Tunis ou Dakar, celui-ci est désormais présent dans la plupart des aéroports du continent. « Mais il peut être de qualité médiocre, et parfois payant à partir d’une certaine durée, comme à Istanbul », note notre interlocuteur. Qui juge que « le wifi étant devenu un véritable produit d’attraction, c’est une très mauvaise stratégie de le vendre. Cela peut pousser les voyageurs à choisir une autre route, même plus longue ».

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