Minéraux critiques : l’Afrique face au piège des anciens traités bilatéraux

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Minéraux critiques : l’Afrique face au piège des anciens traités bilatéraux
Minéraux critiques : l’Afrique face au piège des anciens traités bilatéraux

Emiliano Tossou

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Alors que les perspectives autour du cuivre, du cobalt, du lithium alimentent une course mondiale à l’approvisionnement, plusieurs pays africains cherchent à s’assurer une place plus stratégique dans ces chaînes de valeur. Mais cette ambition se heurte à un ensemble de contraintes héritées des décennies passées.

Selon un rapport de l’IISD, une révision ou une résiliation des accords bilatéraux d’investissement (BIT) conclus par de nombreux pays africains dans les années 1990–2000 leur redonnerait la capacité d’imposer des politiques industrielles sur les minéraux critiques. Ces traités négociés entre États pour encadrer la protection des investissements étrangers, prévoient souvent des garanties juridiques étendues aux entreprises, comme le droit de transférer librement les capitaux ou de contester des mesures publiques devant des instances d’arbitrage internationales.

Intitulé « International Trade and Investment Agreements and Sustainable Critical Minerals Supply », le document publié en avril 2025 met en cause des dispositions qui protègent largement les investisseurs étrangers, parfois au détriment du pouvoir réglementaire des États. Il évoque notamment les cas où ces traités ont été utilisés pour contester des réformes minières, même adoptées selon les procédures nationales, et pour imposer un règlement des différends devant des juridictions internationales comme le CIRDI, au lieu des tribunaux nationaux.

À travers cet appel à réforme, l’IISD alerte sur le risque de voir des pays riches en ressources critiques enfermés dans un rôle de simples exportateurs de matières brutes, faute de pouvoir exiger localement la transformation, le contenu local ou une fiscalité mieux adaptée à leurs intérêts. Plusieurs exemples internationaux évoqués dans le rapport montrent les leviers disponibles pour les pays africains.

Le Chili, premier producteur mondial de cuivre, a choisi d’exclure certains minéraux stratégiques de ses nouveaux accords d’investissement. L’Indonésie a unilatéralement résilié plusieurs BIT pour mettre en œuvre une politique plus directive dans le secteur du nickel. Non évoquée dans le rapport, on peut aussi mentionner l’Afrique du Sud qui a mis fin depuis 2012 à plusieurs traités jugés déséquilibrés et les a remplacés par une législation nationale définissant un nouveau cadre de protection des investisseurs.

Ce rapport s’inscrit dans une dynamique déjà amorcée dans plusieurs pays africains. Ces dernières années, la RDC, la Zambie, la Tanzanie ou encore la Côte d’Ivoire ont engagé une révision de leurs codes miniers ou de leurs contrats afin de mieux encadrer l’exploitation de leurs ressources naturelles. Mais ces réformes se heurtent parfois à des accords bilatéraux encore en vigueur, qui compliquent la mise en œuvre des politiques publiques. En Tanzanie, deux entreprises étrangères ont obtenu gain de cause devant des tribunaux internationaux, après des décisions prises dans le cadre de la réforme du code minier. Le pays a été condamné à verser plus de 127 millions de dollars au total, sur la base de BIT conclus plusieurs décennies auparavant.

La situation n’est pas isolée. Le rapport de l’IISD cite également le cas de la République démocratique du Congo, où six accords bilatéraux d’investissement sont encore en vigueur, signés notamment avec la France, les États-Unis, la Chine, l’Allemagne, la Suisse et l’Union économique belgo-luxembourgeoise (Belgique-Luxembourg). Conclus entre les années 1970 et 1990, ces traités offrent aux investisseurs une protection juridique large sans inclure de clauses liées à la durabilité, à la transformation locale ou aux droits sociaux. Le rapport souligne que certains d’entre eux ne permettent même pas à l’État congolais d’invoquer l’intérêt public pour justifier une régulation, ce qui restreint aujourd’hui sa capacité à mieux encadrer l’exploitation de ses métaux stratégiques.

Au-delà de la seule question juridique, l’IISD indique que la révision de ces accords ne pourra produire d’effet durable que si elle s’inscrit dans une stratégie plus large. L’objectif n’est pas seulement de sortir de traités contraignants, mais aussi de bâtir une politique industrielle structurée, fondée sur des capacités nationales renforcées, des infrastructures adaptées et des partenariats commerciaux plus équitables.

Si des questions subsistent concernant la mise en œuvre concrète des recommandations de ce groupe de réflexion, la problématique elle s’inscrit dans une bataille plus vaste pour capter davantage de valeur dans l’économie mondiale des minéraux critiques. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ce marché pourrait atteindre 400 milliards de dollars d’ici 2050. Mais faute de leviers juridiques et industriels adéquats, les retombées risquent d’être limitées. La Banque africaine de développement estime que, cantonnés à l’exportation de minerais bruts, les pays africains ne capteraient qu’environ 55 milliards de dollars dans une chaîne de valeur bien plus vaste, évaluée à 8 800 milliards de dollars pour les batteries et les véhicules électriques.

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