Estelle Maussion
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Si le ministère du Commerce ivoirien assure de la disponibilité de l’or blanc sur le marché, l’approvisionnement est source de tensions entre producteurs et industriels, sur fond de crainte de flambée des prix.
« Au total, plus de 36 000 tonnes de sucre sont disponibles au cours de ce mois de novembre 2023 pour couvrir les besoins de 27 000 tonnes. Par conséquent, le ministre du Commerce et de l’Industrie rassure les populations de la disponibilité du sucre sur le marché et du retour à la normale de l’approvisionnement sur l’ensemble du territoire national. »
Le message, on ne peut plus clair, émane de Souleymane Diarrassouba, à la tête du portefeuille du Commerce en Côte d’Ivoire. Publié le 16 novembre, il se veut apaisant : il n’y a pas de pénurie d’or blanc dans le pays, et son prix, encadré par la loi, doit rester au niveau fixé par un arrêté interministériel en date du 13 juin 2022, à savoir 820 francs CFA (1,25 euro) le sachet d’un kilo de sucre blanc (770 pour le sucre roux) à Abidjan ; le ministère appelant à dénoncer tout abus de tarif constaté.
Mécontentement général
Ces déclarations apaisantes contrastent avec les tensions observées ces dernières semaines sur le marché ivoirien du sucre. Nombre de consommateurs se plaignent de hausses de prix « sauvages ». Le Syndicat des commerçants, artisans et opérateurs économiques de l’Afrique de l’Ouest (Sycaopao) et l’Union des commerçants des États de l’Afrique de l’Ouest (Uceao) ont dénoncé, le 14 novembre, des difficultés d’approvisionnement, n’hésitant pas à parler de pénurie. Les industriels, qui ont besoin de la denrée pour confectionner boissons, confiseries, biscuits et autres biens alimentaires, déplorent des arrêts forcés de production, synonymes de pertes sèches de chiffre d’affaires.
Quant aux sucriers, au nombre de deux dans le pays, Sucaf CI, filiale de Somdiaa qui appartient au groupe Castel, et Sucrivoire, filiale du groupe agro-industriel ivoirien Sifca dirigé par Alassane Doumbia, ils pointent « les actions de certains commerçants qui font de la rétention de stock en vue de créer une poussée inflationniste sur le prix du sucre », peut-on lire dans un communiqué du 18 septembre de l’Association des industries sucrières de Côte d’Ivoire (AIS CI), qui réunit les deux producteurs locaux.
Autrement dit, le système d’approvisionnement en vigueur dans le pays, instauré en 2021 via la signature de contrats-plans entre l’État et les deux sucriers et valable jusqu’en 2025, ne semble faire que des mécontents…
Selon ce système, les producteurs locaux d’or blanc se voient confier la responsabilité de servir le marché national, dont le besoin est estimé à au moins 240 000 tonnes par an, en échange de l’engagement à investir plus de 151 milliards de francs CFA sur la période 2021-2025 afin d’accroître leur production à 206 000 tonnes en 2021, et à 255 000 tonnes en 2025.
Un bon moyen, sur le papier, d’encourager l’agro-industrie et la création d’emplois localement, tout en consolidant la sécurité alimentaire du pays sur une denrée de base.
« Sucaf et Sucrivoire couvrent, à ce jour, 83 % du besoin national qui est de 240 000 tonnes. L’objectif visé est de faire en sorte qu’en 2023 ces unités permettent au pays d’être autosuffisant en sucre », avait ainsi souligné en 2019 le ministre Diarrassouba.
Difficile hausse de production
Sauf que ce plan se heurte à la réalité. Malgré les efforts des sucriers pour augmenter leur production – passée de 112 000 tonnes en 2021-2022 à 125 000 tonnes en 2022-2023 pour Sucaf CI, et de 92 000 à 102 000 tonnes sur la même période pour Sucrivoire –, celle-ci ne couvre pas la consommation locale, ce qui les conduit, chaque année, à importer pour répondre à la demande durant la période délicate, située entre fin août et novembre, d’entre-deux campagnes.
C’est cette difficulté que l’on observe cette année, Sucaf CI, dirigé par Roseline Baroan, passée par Nestlé, Ecobank et la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (BIAO) avant de rejoindre la filiale sucrière du groupe français fin 2010, faisant mieux face que Sucrivoire, piloté par Pierluigi Passera, ancien de Barry Callebaut au Cameroun et en Côte d’Ivoire, depuis février 2023.
Pour détendre la situation, le premier, qui a renforcé ses importations fin octobre après des réunions de crise au ministère du Commerce, a également avancé à cette même échéance le démarrage de sa campagne 2023-2024.
Ce n’est pas le cas du second, qui sort de deux campagnes décevantes en termes de volume, en raison des conditions climatiques, du faible niveau de rendement des cannes à sucre, et de retards de redémarrage de la production après des investissements dans des équipements.
Résultat, Sucrivoire ne doit débuter sa prochaine campagne que fin novembre, quand il a, en outre, été confronté à un retard de bateau sur le sucre importé – revendu selon les contrats-plans à marge zéro, une règle qui pèse sur les résultats financiers des sucriers et en premier lieu de Sucrivoire.
Bras de fer sur les importations
Sous pression, les producteurs locaux ont répliqué en mettant en avant, mi-septembre, des stocks consolidés de quelque 30 000 tonnes, un volume capable de répondre à la demande. C’est ce point que vient de reprendre le ministre ivoirien du Commerce.
Pour autant, sucriers et exécutif doivent composer avec le mécontentement des industriels, notamment Nestlé, Carré d’Or, Unifood, Premier Foods, Nouvelle brasserie de Côte d’Ivoire (NBCI) et Agroci, exprimé lors de plusieurs rencontres. « Nous militons pour des autorisations d’importations limitées dans le temps et en volume afin d’éviter la répétition de ces périodes de crise, en vain », déplore un industriel, critiquant également la fixation du prix de revente du sucre importé à marge zéro.
« Nous pouvons importer à un prix plus compétitif grâce à de meilleures négociations sur les marchés internationaux et à une meilleure gestion des frais de douane et de fret notamment », assure-t-il.
« La solution consiste à nous octroyer des autorisations d’importation avec quotas pour notre propre utilisation », reprend l’industriel, une vision qui ne peut qu’entrer en confrontation avec celle des sucriers locaux, qui ont rappelé, mi-septembre, « leur engagement à garantir à la population de Côte d’Ivoire un approvisionnement régulier répondant aux normes de qualité ivoiriennes en toutes circonstances ».
Source: JeuneAfrique
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